mardi 22 novembre 2011

"Tu ne mourras plus demain": Un texte bouleversant (Culture Sud, novembre 2011)

Tu ne mourras plus demain
(Fayard, 2011)




Un texte bouleversant. L’écrivain franco-algérien, Anouar Benmalek, auteur de Les Amants désunis, Ô Maria, Le Rapt , romans remarquables et remarqués, entre autres, abandonne la distance et la fiction pour livrer une part intime de lui-même, de son histoire familiale.

 
Sous forme d’une lettre à sa mère, décédée dans un hôpital d’Alger, l’écrivain s’effondre, « comment des poussins, même au poil parsemé de fils d’argent, sauraient-ils vivre sans une mère pour les aimer, les défendre, les dorloter, les sermonner au besoin ? » La perte de sa mère est insurmontable, « …Toi, maman, dont l’absence me vide le cœur, avec qui dîneras-tu alors ce soir et les autres soirs de l’infini ? »

L’ouvrage n’est pas cependant qu’une longue complainte. Il est aussi l’occasion de revisiter les origines familiales et, par delà même, poser la question des origines. C’est quoi être algérien ? Qu’est-ce que l’identité algérienne ? La mère de l’écrivain est marocaine, fille d’un marocain dont la mère était une esclave –peule, wolof, soninké ?- et d’une trapéziste suisse, fille d’une union entre un Suisse et une Allemande. Quant à son père algérien, jeune acteur de théâtre qui, après l’indépendance, dirigea le théâtre municipal de la ville, il a pour ancêtre un prince et chef spirituel de Constantine qui avait combattu les envahisseurs turcs avant d’être trahi par les siens. De quoi étouffer les partisans de la pureté !
En revisitant l’histoire de sa famille, avec une grande sincérité et beaucoup de pudeur, Anouar Benmalek pourfend les pesanteurs et les failles de la société algérienne. Ainsi en est-il du statut de sa mère, pendant plusieurs années clandestine en Algérie, sans papiers, de peur d’être éloignée de son mari et de ses enfants. Au milieu des années soixante-dix, en effet, nombre de ressortissants marocains ont été renvoyés chez eux. De l’autre côté, le tarif était pareil. L’auteur dresse un tableau noir de la santé en Algérie où les soins palliatifs n’existent pas et le malade à la merci de l’humeur d’un infirmier qui « surgira, une grimace d’impatience aux commissures des lèvres. Après avoir accroché la nouvelle poche (qui contient le produit morphinique), il jettera l’ancienne sur ton lit en un geste de colère, à quelques centimètres seulement de ton visage. Puis, il sortira de ta chambre, nous défiant du regard d’émettre la moindre protestation. » Anouar Benmalek revient sur la guerre civile, appelée décennie noire en Algérie, et son lot d’assassinats, l’intolérance qui a recouvert de son hideux manteau toute la société algérienne, la précipitant dans un traumatisme terrifiant.

Le portrait de la mère, douce, généreuse, aimante, déracinée, s’oppose à celui du père, « Le sévère…, à l’autisme brutal », qui a, cependant tout fait pour que ses enfants réussissent leurs études, capable aussi, à soixante ans, de chanter besame mucho pour son épouse.

Anouar Benmalek, émouvant, questionne sa mère par delà la mort : « Qu’adviendra-t-il de ce livre, notre livre, maman ? » Et les mots sanglotent « reconstituer une partie de ton livre à partir de fragments glanés çà et là, afin de respecter une promesse que je m’étais faite alors que je portais ton corps dans son dernier logis :
Non, tu ne mourras plus demain, maman. »

 Yahia Belaskri

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