mardi 22 novembre 2011

D’amour et de haine (Les Lettres Françaises, suppléments de l’Humanité, 6 octobre 2011)


 
 Tu ne mourras plus demain,   d’Anouar Benmalek, Éditions Fayard. 180 pages,   17 euros. 

  Le récit d’Anouar Benmalek commence par   un cri, celui de la mère de l’auteur – « Ce   matin de mai, vers dix heures, tu as hurlé de   douleur, d’une voix particulièrement aiguë : “Écartez-   vous de moi, écartez-vous de moi !”… » – juste   avant qu’elle ne meure : « Et, d’un seul coup, dans   une grande explosion de souffrance, tu es morte. »   Ce cri de douleur, cette explosion de souffrance,   ce sont aussi ceux du fils, on le comprendrait à   moins, pourtant la suite du récit apportera d’utiles   précisions sur son attitude.
  C’est effectivement avec   une rage non dissimulée qu’Anouar Benmalek jette   tout cela sur le papier. Rage devant l’inéluctable de   la nature humaine ? Sans doute, encore qu’il y a, chez lui, la parfaite acceptation de notre condition.   Alors ? La mort de la mère et les souffrances la   précédant auraient pu être différées si seulement   son mal avait été détecté un peu plus tôt et si elle   avait été correctement soignée, toutes choses impensables   dans l’Algérie d’aujourd’hui, semble-t-il : les   quelques épisodes « médicaux » que narre Anouar   Benmalek sont terrifiants. Ils ne sont, hélas, que l’un   des nombreux signes de la dégénérescence du pays   qui a sombré, dans les années 1990, dans la folie   meurtrière. Rage encore de l’auteur qui a « raté » la   mort de sa mère : il était à l’étranger où il s’est exilé   et il est arrivé trop tard (« Pardon, maman, je n’étais   pas là quand tu as rendu ton dernier souffle », or   c’était « le seul (moment) de ta vie que je n’avais   pas le droit de rater »…), comme il est arrivé trop   tard pour la mort de son père.

   Pourtant Tu ne mourras plus demain, et à cet   égard le titre est on ne peut plus clair, est avant tout   une lettre d’amour – un amour qu’il n’a pas su   dire comme il convenait, mais le peut-on jamais ? –   de l’auteur à la disparue. Oui, l’amour comme   envers de la rage. Anouar Benmalek s’adresse   directement à sa mère. Cette lettre à la mère se   doublera bientôt d’une lettre au père, bien moins   féroce que celle de Kafka au sien, parce qu’empreinte   malgré tout d’une immense tendresse.
   À   partir de là Benmalek remonte le temps dans des   « pages affamées de passé », et reconstitue son   roman familial, et quel roman ! Avec des protagonistes   qui sont de véritables figures de fiction   (« que d’invraisemblances dans nos vies ! ») : une   grand-mère maternelle suisse autrefois trapéziste   en tournée au Maroc, et qui épousera un enfant du   pays tombé en admiration devant elle, l’artiste de   cirque. Lui-même, probable fils d’une esclave peule,   wolof ou soninké… Un père, passionné de théâtre,   qui fuira Constantine pour s’installer au Maroc où   il rencontrera de manière tout à fait romanesque   celle qui deviendra sa femme, la mère d’enfants   qui s’égailleront pour la plupart à l’étranger, en   exil… et bien d’autres personnages tout aussi hauts   en couleur. Ce qui se dessine en creux derrière ces   descriptions volontairement laconiques, ce sont des   pans entiers de l’histoire de l’Algérie et du Maroc   contemporains.

  Ce « petit » livre, aux antipodes des   sagas coutumières de l’auteur, est précieux à plus   d’un titre : il met au jour la tragédie d’exister, et son   bonheur aussi, à travers la recherche d’une écriture   qui, enfin, pour dire l’indicible, ne bégayerait plus.   Mais est-ce possible ? 
Jean-Pierre Han 

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