Tu ne mourras plus demain, d’Anouar Benmalek, Éditions Fayard. 180 pages, 17 euros.
Le récit d’Anouar Benmalek commence par un cri, celui de la mère de l’auteur – « Ce matin de mai, vers dix heures, tu as hurlé de douleur, d’une voix particulièrement aiguë : “Écartez- vous de moi, écartez-vous de moi !”… » – juste avant qu’elle ne meure : « Et, d’un seul coup, dans une grande explosion de souffrance, tu es morte. » Ce cri de douleur, cette explosion de souffrance, ce sont aussi ceux du fils, on le comprendrait à moins, pourtant la suite du récit apportera d’utiles précisions sur son attitude.
C’est effectivement avec une rage non dissimulée qu’Anouar Benmalek jette tout cela sur le papier. Rage devant l’inéluctable de la nature humaine ? Sans doute, encore qu’il y a, chez lui, la parfaite acceptation de notre condition. Alors ? La mort de la mère et les souffrances la précédant auraient pu être différées si seulement son mal avait été détecté un peu plus tôt et si elle avait été correctement soignée, toutes choses impensables dans l’Algérie d’aujourd’hui, semble-t-il : les quelques épisodes « médicaux » que narre Anouar Benmalek sont terrifiants. Ils ne sont, hélas, que l’un des nombreux signes de la dégénérescence du pays qui a sombré, dans les années 1990, dans la folie meurtrière. Rage encore de l’auteur qui a « raté » la mort de sa mère : il était à l’étranger où il s’est exilé et il est arrivé trop tard (« Pardon, maman, je n’étais pas là quand tu as rendu ton dernier souffle », or c’était « le seul (moment) de ta vie que je n’avais pas le droit de rater »…), comme il est arrivé trop tard pour la mort de son père.
Pourtant Tu ne mourras plus demain, et à cet égard le titre est on ne peut plus clair, est avant tout une lettre d’amour – un amour qu’il n’a pas su dire comme il convenait, mais le peut-on jamais ? – de l’auteur à la disparue. Oui, l’amour comme envers de la rage. Anouar Benmalek s’adresse directement à sa mère. Cette lettre à la mère se doublera bientôt d’une lettre au père, bien moins féroce que celle de Kafka au sien, parce qu’empreinte malgré tout d’une immense tendresse.
À partir de là Benmalek remonte le temps dans des « pages affamées de passé », et reconstitue son roman familial, et quel roman ! Avec des protagonistes qui sont de véritables figures de fiction (« que d’invraisemblances dans nos vies ! ») : une grand-mère maternelle suisse autrefois trapéziste en tournée au Maroc, et qui épousera un enfant du pays tombé en admiration devant elle, l’artiste de cirque. Lui-même, probable fils d’une esclave peule, wolof ou soninké… Un père, passionné de théâtre, qui fuira Constantine pour s’installer au Maroc où il rencontrera de manière tout à fait romanesque celle qui deviendra sa femme, la mère d’enfants qui s’égailleront pour la plupart à l’étranger, en exil… et bien d’autres personnages tout aussi hauts en couleur. Ce qui se dessine en creux derrière ces descriptions volontairement laconiques, ce sont des pans entiers de l’histoire de l’Algérie et du Maroc contemporains.
Ce « petit » livre, aux antipodes des sagas coutumières de l’auteur, est précieux à plus d’un titre : il met au jour la tragédie d’exister, et son bonheur aussi, à travers la recherche d’une écriture qui, enfin, pour dire l’indicible, ne bégayerait plus. Mais est-ce possible ?
Jean-Pierre Han
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