Il ne faut pas se fier à son titre à la James Bond ; le dernier livre d’Anouar Benmalek est une plongée dans la douleur. Comment survit-on après la perte de sa mère ? D’un ton intimiste, quelquefois caustique, l’auteur du Rapt nous raconte l’inénarrable.
El Watan : Comment définir ce livre : une lettre à votre mère, une autobiographie … ?
Anouar Benmalek : J’aurais moi-même de la difficulté à définir mon dernier livre. Jamais texte ne fut plus imprévu pour moi, ni plus dur et, simultanément, plus doux, quoique amèrement, à écrire. Ce livre n’est certainement pas une autobiographie, je ne pense pas que ma vie personnelle soit à ce point captivante qu’il soit impératif d’en exposer sans plus attendre les détails les plus secrets au grand public. Et cependant, qu’y a-t-il de plus intime que les sentiments que l’on porte à ses parents et, en particulier, à sa mère ! Cette contradiction apparente, Tu ne mourras plus demain, l’assume sans essayer de s’en expliquer, peut-être parce que le deuil de la mère relève à la fois du drame le plus personnel et de la tragédie la plus universelle : nous avons tous une mère, que nous perdons un jour. Si nous avons de la chance, cette mère, son existence durant, nous a follement aimé — sans condition aucune, au point d’être prête à sacrifier sa vie, malgré notre ingratitude, nos défauts, nos oublis, notre indifférence parfois…
Le jour où cette mère disparait est celui, terrible, où vous découvrez alors, organiquement et non plus seulement intellectuellement, la foncière étrangeté de la condition humaine, sa cruauté également puisque son seul but, malgré sa réelle grandeur, se révèle être en fin de compte d’amonceler des années afin « de trépasser bêtement, sèchement, inutilement, sans avoir réussi à dénouer l’énigme de la coexistence de la durée infime de notre vie et de l’âge incalculable de nos sentiments ».
E. L : On voit défiler l’histoire de l’Algérie à travers votre famille, et en filigrane cette relation schizophrénique entre l’Algérie et le Maroc…
A.B : Mon père est algérien et ma mère marocaine, même si ma généalogie est en réalité beaucoup plus complexe et plus bigarrée que cela. Mon livre n’est pas consacré aux relations entre l’Algérie et le Maroc, même s’il m’arrive d’y regretter amèrement à plusieurs reprises que ces deux grands et fiers pays passent leur temps à se disputer pour de vieilles et picrocholines querelles de frontières, alors que tout, absolument tout, devrait les rapprocher ! Qui d’entre-nous se sent véritablement étranger quand il se trouve au Maroc ? Quant à l’histoire de l’Algérie qui est la véritable toile de fond d’une grande partie de mon livre, il est évident qu’il n’est pas « anodin » de vivre dans un pays aussi déchiré par l’Histoire, tant récente que lointaine… Tout destin individuel algérien porte au fer rouge la marque des errements de l’histoire contemporaine dans son pays !
E.L : Pourquoi un tel livre, vous nous avez habitués à des romans beaucoup moins intimistes ?
A.B : J’en suis le premier surpris. Avant la mort de ma mère, je travaillais sur un projet de saga où, m’inspirant de la généalogie tourmentée de ma famille, entre Afrique, monde arabo-berbère et Europe, je projetais de construire un long roman qui brasserait les siècles, les continents, les fureurs des peuples, et les destins d’individus aux prises avec des évènements les dépassant et qui tentent malgré tout de trouver un semblant de cohérence à leur propre aventure personnelle.
Quand ma mère est morte (dans les conditions terribles que je rapporte dans mon ouvrage), ce projet de récit au long cours m’est littéralement tombé des mains. J’ai su que, si je n’écrivais pas cette lettre à ma mère, jamais plus je n’écrirais. C’est aussi simple que cela. Mais, paradoxalement, cette lettre à ma mère est aussi une lettre ouverte à mes contemporains : récit intimiste, certes, mais qu’on ne s’y trompe pas, mon texte est aussi éminemment politique puisqu’il parle de la vie — difficile — de gens « ordinaires », avides d’amour, d’amitié et de bonté dans un pays « extraordinaire », l’Algérie, miné par la corruption, l’injustice, l’intolérance et la mal vie.
E.L : Cette rentrée littéraire est marquée par l’absence, la mort du géniteur. Comme vous, Boualem Sansal raconte le décès de sa mère tandis qu’Ali Magoudi part à la recherche du passé de son père. Que faut-il y voir : une coïncidence ironique ou que les écrivains algériens ont enterré leurs parents symboliquement — que nous sommes vraiment dans la société après-FLN, les pères de l’indépendance ?
A.B : Je ne souhaite la mort physique de personne, fut-il mon pire ennemi. Je désire cependant de tout mon cœur la disparition spirituelle, morale et politique du système qui a si mal géré l’Algérie après son indépendance. Ce père-là, le FLN des idéaux de liberté et de démocratie de la proclamation du premier Novembre, est mort depuis longtemps ; seul son fantôme grimaçant s’agite encore.
propos recueillis par Rémi Yacine
27 septembre 2011
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