dimanche 7 décembre 2025

De la Shoah, des Hereros et du « Monde arabe », Anouar Benmalek (2016)

 

De la Shoah, des Hereros et du « Monde arabe »

Anouar Benmalek

(Revue Apulée, 2016)

 

Cet article est dédié à un prisonnier d’opinion algérien, Slimane Bouhafs,  condamné ce mois-ci à trois ans de prison ferme par la justice algérienne pour le simple fait d’avoir usé pacifiquement de sa liberté d’expression, de conversion et de conviction religieuses, tous droits pourtant explicitement garantis par la Constitution de son pays.

 

 


Dans les lignes qui suivent, je voudrais expliquer à un lecteur éventuel l’enchaînement des événements qui m’ont conduit à l’écriture d’un roman, Fils du Shéol. Publié simultanément en France (Calmann-Lévy) et en Algérie (Casbah Editions), ce livre occupe, à son corps défendant, deux positions assez singulières :  être à la fois le premier roman consacré au génocide des Juifs d’Europe écrit par un écrivain dit « arabe » (algérien, plus précisément) et le premier, également,   à lier la Shoah, cet événement cataclysmique qui a brisé le vingtième siècle en deux, à un autre génocide, absolument méconnu celui-ci, inaugural pourtant de ce siècle de sang et de meurtres de masse, perpétré par le même (peu ou prou) État allemand à l’encontre de deux peuples africains, les Héréros et les Namas dans un pays connu plus tard sous le nom de Namibie.

Mais le quotidien d’un écrivain issu de cette région de notre planète qualifiée trop rapidement de « Monde arabe » ne se réduit pas, comme on peut le deviner,  à des préoccupations éthérées d’ordre strictement littéraire. Expliquer la genèse de Fils du Shéol  implique nécessairement d’aborder l’environnement « métalittéraire » de l’auteur de l’ouvrage.  Permettez-moi donc, avant d’attaquer mon propos principal, de montrer en quelques séquences fortes, à la manière d’un trailer de cinéma, comment peuvent s’entremêler, parfois de manière vitale, l’actualité (la « grande » : celle, terrible, obscène, des journaux et des télévisions) et le quotidien (banalement ordinaire) d’un écrivain se vouant et s’échinant à son art, à l’instar de milliers d’autres de ses confrères et consœurs de part le monde.

Première séquence : je reviens, au printemps 2016, d’Alger où l’Institut Français, dépendant du ministère des affaires étrangères français a eu l’amabilité d’organiser un hommage à ma personne (c’était le nom officiel de cette cérémonie) en partenariat avec un important journal algérien et le Syndicat national des éditeurs et du livre. Quand j’ai lu pour la première fois l’intitulé de la rencontre, "Hommage à Anouar Benmalek", j’ai éprouvé bien entendu un plaisir prévisible, traversé cependant par un instant de flottement dû à la sensation désagréable d’être un petit peu mort, les hommages s’accompagnant souvent de l’exigence collatérale d’être posthumes… J’ai apprécié d’autant plus ce geste d’amitié dans le contexte local que l’important journal était arabophone, confirmant ainsi et de belle manière qu’on peut être un écrivain algérien de langue française tout en demeurant attaché au pays de ses parents et à sa culture ancestrale.

Où est donc le problème ? me demanderait-on ?

Il m’a suffi de lire sur l’affiche de la cérémonie (et de relire, et jusqu’à présent toujours avec une identique sidération) le nom du journal qui a insisté pour participer à cet hommage.

Deuxième séquence : Voilà la une de ce même journal en septembre 2006, deux semaines après la publication chez Fayard de mon roman Ô Maria, donc bien avant sa parution annoncée en Algérie :   « Un écrivain algérien offense le prophète et insulte l’Islam et les Musulmans ».

Être à la une du journal à plus fort tirage de son pays est un rêve pour tout écrivain doué d’un ego normalement dimensionné, mais, dans ce cas précis, cela s’apparentait plutôt à un cauchemar car le journal précisait en termes ouvertement menaçants :

« On a l’habitude, en présentant des œuvres littéraires d’en citer quelques extraits ou témoignages, mais dans le cas du roman de l’écrivain algérien émigré Anouar  Benmalek,  paru récemment sous le titre de O Maria, nous n’osons pas le faire de peur de soulever une vague  de colère, sans précédent, autour de nous… Anouar  Benmalek a choisi comme à son accoutumée …  de suivre les traces  de  Salman Rushdie, l’Hindou, utilisant ainsi la ruse du mépris et remuant le  couteau empoisonné dans la sensibilité religieuse, à fleur de peau, de sa  communauté et de sa chair… Pour cela, il doit assumer la responsabilité de son choix jusqu’au bout, et ne pas  attendre de ses critiques et de ses lecteurs en Algérie et dans le monde  arabo-musulman  d’être neutres à l’égard de son texte… »

Troisième séquence : le soir même de ce jour de septembre 2006, deux chaînes satellitaires moyen-orientales Al Jazeera et Al Arabia reprennent le brûlot du journal. Sur le site de la chaîne Al Arabia, plus d’un demi-millier de messages ultraviolents se déverseront en moins de deux jours : « Je demande le versement du sang de ce scélérat ! », « L’Algérie doit le traduire en justice pour trahison suprême », « Si j’avais le pouvoir, je le brûlerais ! » et tutti quanti…

Quatrième séquence : toujours en septembre 2006, trois jours après la diffusion de l’article du journal arabophone, un  appel au meurtre est lancé par un groupe terroriste se réclamant d’Al Qaeda et d’un de ses chefs, l’irakien Zarkaoui (appel toujours présent sur Internet !) : « Voilà un nouveau haineux qui se nomme Anouar Benmalek qui attend que sa tête soit cueillie… Comme a dit le cheikh Abou Mossab Zarkaoui, aujourd’hui, nous n’avons nul besoin de livres ou d’écrits… Il n’y a de véritable parole qui tienne que celles des épées. Toi qui aspires au paradis… lève-toi et coupe la tête de ce chien ainsi que la tête de quiconque portera atteinte à Allah et son prophète ou offensera sa religion et son livre !» (Texte traduit par les soins de la police française…)

Cinquième séquence : en octobre 2015 (Internet a de la mémoire !), article furieux de l’influent journal cairote El Yom Sabaa à la sortie de Fils du Shéol : « A.B revient provoquer la controverse  après son attaque contre la religion musulmane et reconnaît l’holocauste dans son nouveau roman Fils du Shéol… On se rappelle son attaque contre l’Islam, sans précédent dans la littérature contemporaine ! »

Exit donc le trailer de « mise en bouche ». Dans la description du cheminement personnel ayant abouti à Fils du Shéol, des mots reviendront à plusieurs reprises : arabe, écrivain, censure, terrorisme, Shoah, génocide, Namibie, Hereros…

Commençons par le mot « arabe », si chargé politiquement à présent qu’il équivaut presque à une insulte dans la bouche de certains. Décrivons, par quelques exemples personnels, ce que peut signifier parfois le fait d’être ce qu’on appelle un « écrivain arabe » ou, plus exactement, un écrivain issu d’un monde en réalité protéiforme, mais qu’une certaine pensée simpliste caricature violemment en le réduisant à une seule « ethnie », à une seule « langue », à une seule « religion ». Or quoi de plus profondément divers que cette région de la planète qui va de l’océan Atlantique à l’océan Indien et autres mers et golfes chauds (dans tous les sens du terme : climatique et politique) ? Prenez les religions, par exemple, qui sont parfois si exclusives qu’elles servent de définition à des « ethnies ». Vous avez certes l’islam, religion de la majeure partie des habitants de ce monde, mais déjà lui-même divisé en versions chiites (avec deux sous-catégories : septicémain et duodécimain) et sunnites (avec ses quatre grandes interprétations juridiques). Le mot « divisé » est ici un euphémisme, tant les différences culturelles et cultuelles sont importantes entre ces deux visions de l’islam et se traduisent, dans les moments de tension politique, par des confrontations militaires meurtrières.

Mais les religions, dans le monde prétendument unifié rigidement par l’islam, ne se limitent pas, loin de là, à cet islam. Tout le monde a en tête, bien sûr, les Coptes d’Égypte ou les Juifs de Tunisie, du Maroc et d’autres pays de la région. Avec un peu d’effort, on peut se souvenir des Druzes qui croient en la réincarnation et dont la religion, complexe, inclut même des éléments pythagoriciens. Mais qui sait qu’en Irak, particulièrement le long des cours inférieurs du Tigre et de l’Euphrate et près du Chatt-el-Arab, se trouvent encore des croyants d’une des plus anciennes et mystérieuses religions du monde, celle des Mandéens qui croient à un ciel appelé Monde de Lumière, professent l’existence d’un esprit du mal, féminin, appelé Ruha et assurent que les bébés morts avant d’être baptisés dans l’eau seront portés pour l’éternité par des arbres portant des fruits ressemblant aux seins de leurs mères ? Qui avait entendu parler des Yézidis du mont Sinjar avant les massacres génocidaires commis contre eux par les bourreaux de Daech ? Pour eux, un Dieu unique a créé le monde, mais n’en est pas le conservateur, cette tâche ayant été déléguée aux sept anges dont le plus important, Malek Taous, l’ange-Paon, est à la fois une émanation et un serviteur du Tout-Puissant.

Un dernier exemple est celui, à peine croyable, des Samaritains— oui, ceux de la Bible ! Ils appartiennent à l’une des populations les plus petites du monde (environ 700 individus, partagés à parts égales entre la Cisjordanie et Israël) mais dotée d’une des plus anciennes histoires écrites attestées : bien que leur religion soit fondée sur le Pentateuque, ils ne se donnent pas le nom de Juifs, mais celui d’Hébreux, vénèrent le Mont Gerizim à la place du Mont Sinaï et considèrent le Temple Juif de Jérusalem comme une innovation impie du roi David !

Remarquons que je me contente de ne parler que du monde dit arabo-musulman. Je ne citerai pas, pour aller plus vite, les religions autres que musulmanes de l’Iran puisque celui-ci n’est pas arabe (contrairement à ce que beaucoup croient). Il faudrait alors citer, entre autres cultes, les Zoroastriens dont il reste moins d’une centaine de familles en Iran, sur un total de cent milles croyants de par le monde…

La même diversité, peut-être plus importante encore, existe pour les langues. Allez dire à un Kurde de Syrie, un Berbère d’Algérie ou du Maroc, un Arménien d’Irak, un Turcophone de Syrie, que leur langue nationale est l’arabe ! Pire, même en ce qui concerne l’arabe, il faut distinguer l’arabe dit classique (celui, disons, des journaux) et ses versions dialectales qui sont si différentes parfois que deux locuteurs situés chacun aux extrémités de ce monde arabe auront beaucoup de mal à se comprendre s’ils ne s’expriment que dans les versions dialectales propres à leurs pays.

L’unicité tant vantée des croyances et de la langue de ce monde arabo-musulman n’est donc qu’un mythe ou plutôt un fantasme bien utile pour les pouvoirs de toutes obédiences qui voudraient imposer un même moule de pensée politico-religieux à des centaines de millions de personnes ! Mais cette situation de diversité de facto n’est-elle pas, en réalité, une situation tout à fait normale et prévisible si l’on considère l’immensité de la région dont nous discutons ? Imaginerait-on, en effet, une langue unique utilisée par tous les Européens, fussent-ils Espagnols, Suédois ou Allemands ?

Mais il y un domaine où, malgré tout, cette unicité existe : c’est celle de la façon dont les différents régimes politiques traitent leurs populations respectives. Tous les types de régimes existent dans cette partie du monde : monarchies, républiques, émirats, mélanges audacieux et incestueux des systèmes précédents, tels que les républiques monarchiques de facto. Ajoutons, pour l’exotisme, le cas algérien où le devant officiel de la scène politique est occupé par un président le plus souvent en salle de soins intensifs, tandis qu’un cabinet noir exerce la réalité du pouvoir… Cette diversité de façade des pouvoirs n’empêche pas que tous ces pays (tous !) agissent semblablement avec leurs peuples : mépris, répression, censure des médias, intolérance extrême, militarisation de la société, répression policière, prédation des biens publics, corruption à tous les niveaux, élections truquées (quand il y en a), etc.

Reconnaissons cependant que certains pays arabes réussissent mieux que d’autres dans l’art de faire oublier leurs turpitudes : l’Arabie saoudite (un Daech qui a réussi) et le Qatar (un État coffre-fort corrupteur et fournisseur de moyens financiers aux groupes islamistes radicaux) ont plus d’alliés occidentaux que la Syrie du dictateur Bachar El Assad, fils de son père, le maître dictateur de fer et de sang, Hafed El Assad…

Comment donc se débrouille un simple citoyen, s’il prétend quand même faire œuvre d’écrivain dans ces conditions ? Eh bien, il aura d’abord à faire connaissance avec cette institution consubstantielle de toutes les dictatures et sociétés arabes, la censure, qu’elle soit d’ordre politique, religieuse ou sociale. La liberté de l’écrivain et de l’artiste en général y reste tributaire d’un axiome que les pouvoirs politico-religieux résument ainsi : « Je ne suis disposé à t’accorder la liberté d’expression que si tu prends l’engagement, sous peine des conséquences les plus redoutables, d’être toujours d’accord avec moi ! »

Mon premier exemple est presque amusant quand j’y repense. Je revenais de Kiev (Ukraine) où j’avais soutenu une thèse de doctorat en mathématiques et j’avais réussi rapidement à publier en Algérie un premier roman, Ludmila, chez une maison d’édition gouvernementale, roman qui racontait les tribulations d’un étudiant étranger portant un regard critique sur la société soviétique. L’URSS existait encore et était dirigée par un certain Gorbatchev. Quelques jours après sa parution en Algérie, le livre était retiré de toutes les librairies du pays, à la suite de fortes pressions de l’ambassade d’URSS à Alger. Le propre directeur de la maison d’édition gouvernementale qui m’avait publié s’est cru obligé d’écrire ensuite dans la presse algérienne un article de repentance (à la chinoise) m’accusant d’avoir écrit un livre qui portait atteinte, selon ses propres mots, aux « intérêts diplomatiques suprêmes de l’Algérie » ! Vous imaginez : moi, simple étudiant à l’époque… N’oubliez pas que c’est sa propre maison qui l’avait édité ! Un diplomate qui était en poste à Moscou à l’époque de la publication du roman à Alger m’a expliqué récemment que le gouvernement soviétique, partant de l’idée « raisonnable » que la liberté d’édition n’existait pas en Algérie et que, par conséquent, toute publication étatique n’y pouvait exister qu’avec l’aval des autorités algériennes, en avait déduit que mon roman était en réalité le signal inquiétant d’un imminent éloignement de l’Algérie de ses alliances géostratégiques traditionnelles…

Ma deuxième grande surprise en matière de censure a été la censure « socio-islamiste ». Ce n’est pas vraiment l’adjectif qui convient, mais je le garderai faute de mieux. J’avais publié en France un roman sur les Morisques d’Espagne, ces musulmans forcés de se convertir à la religion catholique après la chute de Grenade en 1492. Comme les Marranes, la plupart des Morisques continueront de croire à leur ancienne foi dans le secret de leurs cœurs, malgré le risque d’être brûlé vifs si l’Inquisition le découvrait. Au début du 17ème siècle, la couronne d’Espagne décidera d’expulser tous les descendants de Moriques : ce sera la première déportation d’État de l’histoire moderne. Le but de mon livre était, entre autres, de rendre hommage à la tragédie de ces Morisques oubliés par l’Histoire, encore trop musulmans pour les Chrétiens d’Espagne, encore trop chrétiens pour les Musulmans d’Afrique du Nord qui, souvent, mal les accueillirent après leur déportation. Les ennuis de ce livre en Algérie commencèrent avec les employés de la maison d’édition locale qui devait publier la version algérienne d’Ô Maria : ceux-ci menacèrent de démissionner en bloc si leur maison d’édition honorait le contrat signé et maintenait la publication de mon livre. Puis certains employés encore plus zélés envoyèrent le fichier du roman à la presse en soulignant ce qui leur apparaissait comme blasphématoire…

Cette époque de ma vie qui a suivi la publication d’Ô Maria a été très difficile à vivre. Après une campagne de dénonciations haineuses de mon livre en Algérie, reprise comme une trainée de poudre partout dans le monde arabe par des journalistes n’ayant pas lu une ligne de mon livre (et pour cause, celui-ci n’ayant pas été traduit en arabe), une condamnation à mort avait été lancée à mon encontre, comme je l’ai indiqué au début, par un groupe terroriste. Sur les conseils des services de sécurité français, ma famille et moi avons dû quitter le domicile familial (Notons au passage qu’il a fallu expliquer à mon jeune fils pourquoi nous quittions la maison : des problèmes de plomberie, ce qui l’avait ravi puisque cela voulait dire ne plus aller à l’école pendant quelques jours…).

Ah, vous vous retrouvez bien seuls en pareille circonstance… comme tant d’autres intellectuels à travers le monde arabe. Mais bon, tout cela est d’une terrible et féroce banalité dans cette région du monde dominée par l’idéologie et la peur des fanatiques de tout poil : vous pouvez être condamné à mille coups de fouets pour avoir osé émettre une opinion modérée sur l’égalité des religions ; vous pouvez être décapité sur la place publique, au choix, par un État membre de l’ONU parce que vous êtes un opposant politique, ou par un groupe terroriste parce que vous dirigez un département d’antiquités romaines ; vous pouvez être fusillé parce que vous n’avez pas répondu correctement à une banale question de théologie à un barrage routier ; vous pouvez être égorgés en groupe parce que vous appartenez à une autre religion ; vous pouvez être vendue comme esclave enfant à des combattants qui prendront d’abord la précaution de prier dévotement avant de vous violer, etc.

Tout cela sans provoquer d’indignations massives, sans que des foules scandalisées ne sortent dans les rues de toutes les villes arabes pour clamer : pas en notre nom !

Alors, pour les écrivains de cette région, il ne reste plus qu’une seule issue honorable : celle de s’obstiner à écrire puisque tout leur serait dorénavant interdit. Mais signalons au passage qu’il y a aussi, pour moi et pour beaucoup d’autres personnes issues de cette région du monde qui va de l’Atlantique au Golfe persique, des raisons d’espérer importantes dans ce monde d’obscurité. N’oublions pas, et ce n’est pas contradictoire avec ce que j’ai déjà dit, n’oublions jamais ces multitudes d’individus dans ce monde arabe qui persistent, au prix de leurs vies, à résister courageusement à l’oppression tant des régimes corrompus que des milices terroristes, alors que tout devrait les inciter à l’abandon et au désespoir le plus absolu.

Nous devons lire les poètes et les romanciers libres de ce monde arabe qui risquent littéralement leurs vies pour un mot de travers. Nous ne soutenons pas assez ces écrivains, ces journalistes ou ces blogueurs condamnés au fouet et à de longues années de prison par des régimes théocratiques. Nous restons trop souvent muets face à la puissance de l’argent du Golfe, Arabie saoudite en tête, et de sa propagande intégriste.

Qu’on ne se méprenne pas sur mes propos : je parle du monde arabe avec colère parce que j’aime passionnément ce monde, celui de mon père et de ma mère et des années les plus importantes de ma vie, celles qui vous forment au plus profond de vous-même. Une tristesse infinie me prend quand je réalise l’état de destruction, de chaos et de haine du monde arabe actuel. L’Irak, diverse dans ses croyances et ses cultures, héritière de la brillante civilisation des Abbassides, a peut-être fini d’exister. Entre terrorisme abject et cruelle dictature, la grande Syrie avec ses centaines de milliers de morts est en voie de balkanisation définitive. Que dire alors du petit Yémen, écrasé par l’affrontement entre les armées d’une coalition brutalement menée par l’Arabie saoudite et des Houthis au service de l’Iran ? L’intolérance absolue introduite par les mouvements terroristes à vision messianique du type de Daech tente d’ensauvager de manière uniforme une région dont la caractéristique capitale (et souvent dissimulée) a été d’abord, comme j’ai essayé de le montrer, la pluralité culturelle, langagière, ethnique et religieuse.

Venons maintenant à ce qui fait l’objet du cœur de ce texte : Fils du Shéol. La presse occidentale et arabe a dit de cet ouvrage que c’était le premier roman « arabe » sur la Shoah, en omettant systématiquement (cela est significatif aussi d’un certain racisme inconscient) de noter que Fils du Shéol se veut aussi le premier ouvrage de fiction (et pas seulement au niveau du monde arabe) à traiter d’un autre génocide, totalement méconnu, celui des Hereros.

J’ai toujours été passionné par ce type de littérature décrivant la confrontation terrible, parfois mortelle, toujours révélatrice, qui met aux prises des personnages « ordinaires » avec la grande broyeuse de l’Histoire. Dans mes romans, j’ai débuté évidemment par ce que je connaissais le mieux, l’Algérie, sa guerre d’indépendance, le vol de la démocratie par le pouvoir militaire, suivi par la terreur islamiste et ses deux cents milles morts ; puis de fil en aiguille, le Moyen-Orient avec ses interminables et désespérants conflits, l’Andalousie et la déportation des Morisques. Je suis même allé en Tasmanie pour évoquer le génocide « réussi » des Aborigènes de cette île australienne à la fin du 19ème siècle.

Dans mes romans, je me rends compte au fond que j’ai essayé sans relâche, plus ou moins consciemment, de répondre à l’interrogation qui nous taraude tous à certains moments : « Qu’aurais-je fait si… ? Que ferais-je si… ?»

Qu’aurais-je fait, par exemple, si j’avais été torturé pendant la guerre d’Algérie par l’armée française dans les années cinquante… ou par l’armée algérienne dans les années quatre-vingts ? Qu’aurais fait si j’étais tombé entre les mains d’un groupe terroriste algérien ? Qu’aurais-je fait si j’avais été le dernier aborigène de Tasmanie à la suite des massacres perpétrés par les colons anglo-saxons, etc. ?

À chacune de ces interrogations, j’ai tenté de répondre par un roman.

La question, qui allait mener à Fils du Shéol, s’est finalement imposée à moi avec une telle force que j’ai décidé de tenter d’y répondre, dans la mesure de mes moyens, et au moins partiellement : « Qu’aurais-je fait si j’avais été un Allemand juif, pris, ainsi que toute ma famille, dans les mâchoires de l’appareil nazi, en route vers les chambres à gaz ou, pire, destiné à devenir un esclave membre des Sonderkommandos, condamné à enfourner ses propres coreligionnaires dans les fours crématoires, avant d’y être précipité à son tour ? »

J’avais déjà lu et vu un nombre important de livres et de films sur la Shoah, j’en ai encore lu et vu des dizaines au cours de l’écriture de ce livre pour finalement m’en tenir à une unique ligne de conduite : raconter le seul point de vue d’une famille « ordinaire » de Juifs berlinois, ni plus ni moins héroïques que d’autres et n’ayant pas plus d’informations sur la suite des événements que n’importe quel citoyen banal du Troisième Reich.

Des appréhensions, j’en ai eu mon lot, bien sûr, mais ce n’était pas parce que j’étais probablement le premier « Arabe » ou plutôt « Arabo-Berbère » à consacrer un ouvrage de fiction à la Shoah. Ma crainte, constante, avait été de ne pas être à la hauteur d’un sujet sur lequel règne cette malédiction d’être « indicible ». Je récuse de toutes mes forces cette qualification d’ « indicibilité », de « sacralisation » de la Shoah, au point qu’il serait presque blasphématoire de s’en emparer par les moyens de la fiction : le génocide des Juifs et des Tziganes a été commis par des êtres humains sur des êtres humains, et, de ce simple fait, il peut et doit être raconté avec les mots des humains, aussi difficile que cela puisse être.

Le seul frein qui m’avait longtemps retenu d’écrire ce roman sur la Shoah a été un problème de « légitimité ». Non pas la légitimité intrinsèque de l’écrivain : j’affirme qu’un écrivain a le droit de s’emparer de n’importe quel sujet, nous faisons tous partie de la même communauté des Homo sapiens et n’importe quel malheur touchant une partie de cette communauté nous concerne ou devrait tous nous concerner. Je parle ici plutôt d’une légitimité vis-à-vis de moi-même : qu’apporterais-je de nouveau, moi Africain, à une histoire qui s’était produite loin de mon continent d’origine, qui n’avait a priori aucune relation avec celle de l’Afrique. Le déclic a été la lecture d’une biographie d’un des dirigeants les plus importants du système nazi, Hermann Göring. Au détour d’une phrase, j’y ai appris que son père, Heinrich Göring, avait été gouverneur de la German South West Africa, autrement dit : l’Afrique du Sud-Ouest Germanique (actuellement la Namibie). Intrigué, j’ai commencé à étudier l’histoire de cette colonie allemande, dont je ne soupçonnais même pas l’existence auparavant. J’ai découvert peu à peu l’ampleur des massacres commis par les soldats du Deuxième Reich pendant leur occupation, qui culmineront en 1905 avec le génocide des Hereros, puis des Namas. 80% des Hereros y perdront la vie dans des conditions épouvantables, suivis, peu de temps après, par 50% des Namas. Ma stupéfaction initiale vient de ce que je n’avais jamais entendu évoquer précédemment ce génocide inaugural du 20ème siècle. J’ai vérifié autour de moi, j’ai posé la question à nombre d’écrivains, africains et européens : partout la même extraordinaire ignorance de ce qui n’aurait jamais dû être ignoré. On pouvait donc avoir commis le premier génocide du siècle dernier et le faire disparaître du menu de la mémoire commune !

Des recherches plus attentives m’ont alors permis de comprendre que le génocide perpétré dans la GSWA avait été, en quelque sorte, un « brouillon » artisanal de que l’Allemagne nazi mettrait en œuvre, moins de quarante ans plus tard, de manière monstrueusement industrielle, contre les Juifs et les Tsiganes : mêmes obsessions raciales, premières expériences à visées pseudo génétiques, personnages ayant fait leurs premières armes dans la colonie et qui se retrouveront en dirigeants de premier plan dans le système hitlérien, même meurtrière philosophie pénitentiaire avec des camps de concentration (oui, c’était bien leur dénomination officielle !) où les prisonniers affamés et obligés de porter des plaques de cuivre numérotées autour du cou, se voyaient exploités comme main d’œuvre servile jusqu’à leur mort par exténuation…

Et, pour finir, en miroir à la décision de mettre en branle la Solution finale contre les Juifs prise par les Nazis à la conférence de Wannsee, le Vernichungsbefehl du général von Trotha ordonnant, au nom du Kaiser Wilhelm, que « Chaque Herero trouvé à l’intérieur des frontières allemandes, armé ou non, en possession ou non de bétail, sera tué »…

À ce moment, j’ai su que je tenais là ma légitimité personnelle en tant qu’écrivain « arabe » et, plus généralement « africain » : la Shoah nous concerne aussi, nous autres Africains, et de manière presque directe, parce qu’elle a, en quelque sorte, « un peu » commencé en Namibie.

Signalons que ce n’est qu’en juillet de l’année dernière que l’Allemagne a reconnu le génocide des Hereros et des Namas.

Je voudrais terminer par quelques réflexions sur le métier de romancier. Je crois que le roman correspond, au fond, à une expérience presque scientifique : on prend un certain nombre de personnages auxquels on impose des contraintes de différentes sortes, on les plonge dans des conditions extérieures ne dépendant pas d’eux (le pays, les événements historiques, les conditions sociales et politiques, les croyances religieuses) et l’on observe comment chacune de ces créatures virtuelles, munie de son lot de déterminisme et de libre arbitre, va se débrouiller pour mener à bien sa barque. Ma description est évidemment caricaturale, mais l’important est que le romancier possède, au départ, une liberté de choix s’apparentant à celle du scientifique qui hésite entre plusieurs hypothèses, envisage plusieurs expériences pour les tester, et qui se doit, à chaque étape, de rapporter impartialement les résultats de son travail.

À mon avis, un bon romancier (ou, en tout cas, le genre de romancier que j’aime) a l’obligation d’une certaine neutralité envers ses personnages. Même s’il lui arrive d’éprouver de l’affection pour ses personnages de papier, il ne doit pas oublier de garder également un regard presque cruel de lucidité dans la description de leurs comportements et de leurs motivations profondes.

Un être humain n’est pas façonné uniquement par les mâchoires cannibales de l’Histoire avec un grand H et leur insatiable appétit de sang humain. Un homme ou une femme peuvent aussi décider de vivre leurs petites destinées à côté de cette dévoreuse de destins humains, faire semblant de l’ignorer ou, plus exactement, de souhaiter de toutes leurs forces que cette dernière les ignore. Ils peuvent vouloir aimer, haïr, jalouser, faire preuve de bonté ou de mesquines et ordinaires ambitions alors que de grands et épouvantables événements projettent leurs ombres mortelles sur eux.

Ce que j’essaie de montrer dans mes romans, c’est cette bataille entre le déterminisme terrifiant de certains moments historiques et la liberté, chèrement payée parfois, que possède malgré tout l’être humain de ne pas être totalement défini par eux. Mes personnages ne sont jamais des héros, mais des êtres ordinaires révélés à eux-mêmes et aux autres par des conditions extraordinaires.

La vie est une expérience terrible : nous naissons pour mourir et nous le savons. Cette seule réalité fait de tout être humain un philosophe tragique : vous regardez une personne que vous aimez, une femme, un homme, des enfants et vous savez en toute certitude qu’ils vont mourir, que vous allez mourir ! Cela est insupportable et transforme toute existence humaine en un roman indépassable : aucune œuvre littéraire n’atteindra jamais la grandeur cruelle d’une vie humaine ; à peine commençons-nous à comprendre la vie qui nous est donnée que nous la perdons. D’une certaine manière, une vie n’est qu’une longue agonie : le premier cri d’un bébé est celui-là même qui déclenche le compte à rebours qui le mènera à la tombe.

Toute écriture est, en ce sens, une œuvre philosophique : tout rire, tout bonheur, toute exaltation créés par un roman ou un poème sont certes des victoires contre la mort, mais des victoires tout à fait provisoires, tout à fait dérisoires contre le seul vainqueur à être toujours présent seul sur le podium final : la mort. Mais la grandeur de l’être humain, seul animal doté de la connaissance de sa finitude sur terre, est justement d’accumuler ces victoires provisoires dans tous les domaines, le domaine de l’art et de la science en particulier, et de les transmettre à ses congénères, qu’ils soient actuels ou, surtout, futurs, transformant ainsi son minuscule présent éphémère en une sorte d’immortalité itérative, transmise par une longue chaîne remontant à l’apparition de notre espèce.

Au fond, la littérature n’a de justification que parce que nous mourons. Enlevez la mort et la littérature devient inutile, sinon ridicule.

Un écrivain s’octroie le droit d’écrire ce qu’il désire, là où il le désire, à charge pour lui d’assumer l’honneur ou le déshonneur de ses écrits. Être écrivain ne donne pas, par ailleurs, la certitude d’avoir raison. Ne pas l’être, également.

Je continuerai donc à faire apparaître des mots sur mon écran jusqu’à ce que la mort, un bon matin ou un mauvais soir, ne me tape sur l’épaule en me soufflant : « Allez, fiston, ton tour de piste est terminé… »

Un écrivain algérien, Mouloud Mammeri, a écrit un jour : « Ceux qui, pour quitter la scène, attendent toujours d’avoir récité la dernière réplique à mon avis se trompent : il n’y a jamais de dernière réplique – ou alors, chaque réplique est la dernière, on peut arrêter la noria à peu près à n’importe quel godet, le bal à n’importe quelle figure de la danse… »

Anouar Benmalek (2016)

 

 

 

 

vendredi 5 décembre 2025

Liberté d'expression en Algérie: interview en décembre 2021

 𝑵𝒐𝒖𝒔 𝒔𝒐𝒎𝒎𝒆𝒔 𝒆𝒏 𝒅𝒆́𝒄𝒆𝒎𝒃𝒓𝒆 2025. 𝑱'𝒂𝒊 𝒅𝒐𝒏𝒏𝒆́ 𝒄𝒆𝒕𝒕𝒆 𝒊𝒏𝒕𝒆𝒓𝒗𝒊𝒆𝒘 à Berbère TV en 2021 𝒍𝒐𝒓𝒔 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝒑𝒂𝒓𝒖𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒅'𝒖𝒏 𝒑𝒓𝒆́𝒄𝒆́𝒅𝒆𝒏𝒕 𝒍𝒊𝒗𝒓𝒆. 𝑸𝒖𝒆𝒍𝒒𝒖𝒆𝒔 𝒂𝒏𝒏𝒆́𝒆𝒔 𝒂𝒑𝒓𝒆̀𝒔, mon propos 𝒓𝒆𝒔𝒕𝒆 𝒎𝒂𝒍𝒉𝒆𝒖𝒓𝒆𝒖𝒔𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒆𝒏𝒄𝒐𝒓𝒆 𝒅'𝒂𝒄𝒕𝒖𝒂𝒍𝒊𝒕𝒆́...


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𝗜 𝗵𝗮𝘃𝗲 𝗮 𝗱𝗿𝗲𝗮𝗺... 𝗝'𝗮𝗶 𝘂𝗻 𝗿𝗲̂𝘃𝗲... 𝒑𝒂𝒓 Anouar Benmalek

 𝗜𝗻𝘁𝗲𝗿𝘃𝗲𝗻𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝘂𝗻 𝗰𝗼𝗹𝗹𝗼𝗾𝘂𝗲 𝗼𝗿𝗴𝗮𝗻𝗶𝘀𝗲́𝗲 𝗮̀ 𝗔𝗹𝗴𝗲𝗿 𝗽𝗮𝗿 𝗹𝗮 𝗟𝗶𝗴𝘂𝗲 𝗱𝗲𝘀 𝗗𝗿𝗼𝗶𝘁𝘀 𝗱𝗲 𝗹'𝗛𝗼𝗺𝗺𝗲 𝗲𝗻 𝗮𝘃𝗿𝗶𝗹 𝟭𝟵𝟴𝟴

𝐶𝑜𝑚𝑚𝑒𝑛𝑡𝑎𝑖𝑟𝑒 𝑑𝑒́𝑠𝑎𝑏𝑢𝑠𝑒́ 𝑞𝑢𝑒 𝑗𝑒 𝑓𝑜𝑟𝑚𝑢𝑙𝑒 𝑒𝑛 𝑐𝑒 4 𝑑𝑒́𝑐𝑒𝑚𝑏𝑟𝑒 2025: 𝑟𝑒̂𝑣𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑗𝑜𝑢𝑟𝑠 𝑎̀ 𝑙'𝑜𝑟𝑑𝑟𝑒 𝑑𝑢 𝑗𝑜𝑢𝑟...
𝗘𝘅𝘁𝗿𝗮𝗶𝘁𝘀: "𝙻𝚊𝚒𝚜𝚜𝚎𝚣 𝚖𝚘𝚒 𝚟𝚘𝚞𝚜 𝚏𝚊𝚒𝚛𝚎 𝚙𝚊𝚛𝚝 𝚍𝚎 𝚖𝚘𝚗 𝚞𝚝𝚘𝚙𝚒𝚎. 𝙻𝚎 𝚙𝚊𝚜𝚝𝚎𝚞𝚛 𝙼𝚊𝚛𝚝𝚒𝚗 𝙻𝚞𝚝𝚑𝚎𝚛 𝙺𝚒𝚗𝚐, 𝚍𝚘𝚗𝚝 𝚘𝚗 𝚊 𝚌𝚘𝚖𝚖𝚎́𝚖𝚘𝚛𝚎́ 𝚒𝚕 𝚢 𝚊 𝚚𝚞𝚎𝚕𝚚𝚞𝚎𝚜 𝚓𝚘𝚞𝚛𝚜 𝚕’𝚊𝚜𝚜𝚊𝚜𝚜𝚒𝚗𝚊𝚝, 𝚕𝚎 𝙳𝚛 𝙺𝚒𝚗𝚐 𝚊𝚟𝚊𝚒𝚝 𝚍𝚒𝚝 𝚍𝚊𝚗𝚜 𝚞𝚗 𝚌𝚎́𝚕𝚎̀𝚋𝚛𝚎 𝚍𝚒𝚜𝚌𝚘𝚞𝚛𝚜 : 𝙸 𝚑𝚊𝚟𝚎 𝚊 𝚍𝚛𝚎𝚊𝚖, 𝚓’𝚊𝚒 𝚞𝚗 𝚛𝚎̂𝚟𝚎. 𝙸𝚕 𝚍𝚒𝚜𝚊𝚒𝚝 𝚚𝚞𝚎, 𝚍𝚊𝚗𝚜 𝚜𝚘𝚗 𝚛𝚎̂𝚟𝚎, 𝚕𝚎𝚜 𝙴́𝚝𝚊𝚝𝚜 𝚄𝚗𝚒𝚜 𝚍’𝙰𝚖𝚎́𝚛𝚒𝚚𝚞𝚎 𝚍𝚎𝚟𝚎𝚗𝚊𝚒𝚎𝚗𝚝 𝚞𝚗 𝚙𝚎𝚞𝚙𝚕𝚎 𝚏𝚛𝚊𝚝𝚎𝚛𝚗𝚎𝚕, 𝚍𝚎 𝚓𝚞𝚜𝚝𝚒𝚌𝚎, 𝚍𝚎 𝚙𝚊𝚒𝚡, 𝚍’𝚎́𝚐𝚊𝚕𝚒𝚝𝚎́ 𝚎𝚗𝚝𝚛𝚎 𝚕𝚎𝚜 𝚛𝚊𝚌𝚎𝚜. 𝙱𝚒𝚎𝚗 𝚜𝚞̂𝚛, 𝚌𝚎 𝚗’𝚎́𝚝𝚊𝚒𝚝 𝚚𝚞’𝚞𝚗 𝚛𝚎̂𝚟𝚎.
𝙼𝚊𝚒𝚜, 𝚖𝚘𝚒 𝚊𝚞𝚜𝚜𝚒, 𝚙𝚘𝚞𝚛 𝚖𝚘𝚗 𝚙𝚊𝚢𝚜, 𝚓’𝚊𝚒 𝚞𝚗 𝚛𝚎̂𝚟𝚎. 𝙸 𝚑𝚊𝚟𝚎 𝚊 𝚍𝚛𝚎𝚊𝚖.
𝙹𝚎 𝚛𝚎̂𝚟𝚎 𝚚𝚞𝚎 𝚖𝚘𝚗 𝚙𝚊𝚢𝚜 𝚍𝚎𝚟𝚒𝚎𝚗𝚗𝚎 𝚞𝚗 𝚙𝚊𝚢𝚜 𝚘𝚞̀ 𝚒𝚕 𝚗𝚎 𝚜𝚘𝚒𝚝 𝚙𝚕𝚞𝚜 𝚍𝚊𝚗𝚐𝚎𝚛𝚎𝚞𝚡 𝚍’𝚎̂𝚝𝚛𝚎 𝚞𝚗 𝚌𝚒𝚝𝚘𝚢𝚎𝚗 𝚕𝚒𝚋𝚛𝚎, 𝚛𝚎𝚜𝚙𝚘𝚗𝚜𝚊𝚋𝚕𝚎, 𝚍𝚘𝚞𝚎́ 𝚍𝚎 𝚛𝚊𝚒𝚜𝚘𝚗, 𝚍𝚎 𝚓𝚞𝚐𝚎𝚖𝚎𝚗𝚝, 𝚍𝚎 𝚍𝚒𝚜𝚌𝚎𝚛𝚗𝚎𝚖𝚎𝚗𝚝 𝚎𝚝 𝚍𝚘𝚗𝚌, 𝚏𝚒𝚗𝚊𝚕𝚎𝚖𝚎𝚗𝚝, 𝚍𝚎 𝚌𝚑𝚘𝚒𝚡.
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𝙾𝚎𝚞𝚟𝚛𝚘𝚗𝚜 𝚍𝚘𝚗𝚌, 𝚎𝚗𝚜𝚎𝚖𝚋𝚕𝚎, 𝚍𝚊𝚗𝚜 𝚌𝚎 𝚜𝚎𝚗𝚜, 𝚙𝚘𝚞𝚛 𝚛𝚎́𝚊𝚕𝚒𝚜𝚎𝚛 𝚌𝚎 𝚛𝚎̂𝚟𝚎, 𝚙𝚊𝚛𝚌𝚎 𝚚𝚞𝚎 𝚗𝚘𝚞𝚜 𝚕𝚎 𝚍𝚎𝚟𝚘𝚗𝚜 𝚊̀ 𝚗𝚘𝚜 𝚒𝚗𝚗𝚘𝚖𝚋𝚛𝚊𝚋𝚕𝚎𝚜 𝚖𝚊𝚛𝚝𝚢𝚛𝚜 𝚚𝚞𝚒, 𝚙𝚎𝚗𝚍𝚊𝚗𝚝 𝚕𝚊 𝚐𝚞𝚎𝚛𝚛𝚎 𝚍𝚎 𝚕𝚒𝚋𝚎́𝚛𝚊𝚝𝚒𝚘𝚗, 𝚜𝚘𝚞𝚜 𝚕𝚊 𝚝𝚘𝚛𝚝𝚞𝚛𝚎 𝚕𝚊 𝚙𝚕𝚞𝚜 𝚜𝚊𝚞𝚟𝚊𝚐𝚎, 𝚗’𝚘𝚗𝚝 𝚙𝚊𝚜 𝚙𝚊𝚛𝚕𝚎́, 𝚊𝚏𝚒𝚗 𝚚𝚞𝚎 𝚗𝚘𝚞𝚜, 𝚖𝚊𝚒𝚗𝚝𝚎𝚗𝚊𝚗𝚝, 𝚕’𝚒𝚗𝚍𝚎́𝚙𝚎𝚗𝚍𝚊𝚗𝚌𝚎 𝚛𝚎𝚌𝚘𝚞𝚟𝚛𝚎́𝚎, 𝚗𝚘𝚞𝚜 𝚙𝚞𝚒𝚜𝚜𝚒𝚘𝚗𝚜 𝚙𝚊𝚛𝚕𝚎𝚛.
𝙼𝚎𝚛𝚌𝚒 𝚍𝚎 𝚖’𝚊𝚟𝚘𝚒𝚛 𝚎́𝚌𝚘𝚞𝚝𝚎́ 𝚓𝚞𝚜𝚚𝚞’𝚊𝚞 𝚋𝚘𝚞𝚝..."


mercredi 26 novembre 2025

𝐈𝐫𝐢𝐧𝐚, 𝐮𝐧 𝐨𝐩𝐞́𝐫𝐚 𝐫𝐮𝐬𝐬𝐞: "𝐕𝐄𝐑𝐓𝐈𝐆𝐄 𝐃𝐄 𝐋’𝐀𝐌𝐎𝐔𝐑... 𝐇𝐄𝐔𝐑𝐄𝐔𝐒𝐄 𝐒𝐔𝐑𝐏𝐑𝐈𝐒𝐄... 𝐁𝐈𝐄𝐍 𝐃𝐔 𝐓𝐀𝐋𝐄𝐍𝐓... 𝐂𝐀𝐏𝐓𝐈𝐕𝐀𝐍𝐓𝐄" (Le Figaro Magazine)

★★★ (𝕟𝕠𝕥𝕖́ 𝕋ℝ𝔼𝕊 𝔹𝕀𝔼ℕ) 𝐈𝐫𝐢𝐧𝐚, 𝐮𝐧 𝐨𝐩𝐞́𝐫𝐚 𝐫𝐮𝐬𝐬𝐞, 𝐝’𝐀𝐧𝐨𝐮𝐚𝐫 𝐁𝐞𝐧𝐦𝐚𝐥𝐞𝐤, 𝐄𝐦𝐦𝐚𝐧𝐮𝐞𝐥𝐥𝐞 𝐂𝐨𝐥𝐥𝐚𝐬, 𝟒𝟕𝟎 𝐩., 𝟐𝟐,𝟗𝟎 €.

Le Figaro Magazine, 𝟣𝟧 𝗇𝗈𝗏 𝟤𝟢𝟤𝟧

𝖯𝗈𝗎𝗋 𝗊𝗎𝗂 𝗅’𝖺 𝗉𝖾𝗋𝖽𝗎𝖾 𝖽𝖾𝗉𝗎𝗂𝗌 𝗅𝗈𝗇𝗀𝗍𝖾𝗆𝗉𝗌, 𝗅𝖺 𝗃𝖾𝗎𝗇𝖾𝗌𝗌𝖾 𝖾𝗌𝗍 𝗎𝗇𝖾 𝗍𝖾𝗋𝗋𝖾 𝖽𝖺𝗇𝗀𝖾𝗋𝖾𝗎𝗌𝖾, 𝗏𝗈𝗎𝗅𝗈𝗂𝗋 𝗅𝖺 𝗋𝖾𝗏𝗂𝗌𝗂𝗍𝖾𝗋 𝗇’𝖾𝗌𝗍 𝗉𝖺𝗌 𝗌𝖺𝗇𝗌 𝗋𝗂𝗌𝗊𝗎𝖾𝗌, 𝗌𝗎𝗋𝗍𝗈𝗎𝗍 𝗌𝗂 𝖾𝗅𝗅𝖾 𝗌’𝖾𝗌𝗍 𝖾𝗇 𝗉𝖺𝗋𝗍𝗂𝖾 𝖽𝖾́𝗋𝗈𝗎𝗅𝖾́𝖾 𝖽𝖺𝗇𝗌 𝗎𝗇 𝗉𝖺𝗒𝗌 𝖽𝖾𝗉𝗎𝗂𝗌 𝗅𝗈𝗋𝗌 𝖽𝗂𝗌𝗉𝖺𝗋𝗎 : 𝗅’𝖴𝗇𝗂𝗈𝗇 𝗌𝗈𝗏𝗂𝖾́𝗍𝗂𝗊𝗎𝖾. 𝖢𝗈𝗇𝖽𝗎𝗂𝗍 𝖺̀ 𝖫𝖾𝗇𝗂𝗇𝗀𝗋𝖺𝖽 𝗉𝖺𝗋 𝗎𝗇𝖾 𝗍𝗁𝖾̀𝗌𝖾 𝗌𝗎𝗋 𝖭𝖺𝗉𝗈𝗅𝖾́𝗈𝗇, 𝖶𝖺𝗅𝗂𝖽 𝗒 𝖺 𝖼𝗈𝗇𝗇𝗎 « 𝗅𝖾 𝗆𝗂𝗋𝖺𝖼𝗅𝖾 𝖽𝖾 𝗅𝖺 𝖼𝖺𝗅𝖺𝗆𝗂𝗍𝖾́ 𝖽𝖾 𝗅’𝖺𝗆𝗈𝗎𝗋 » 𝖾𝗇 𝗋𝖾𝗇𝖼𝗈𝗇𝗍𝗋𝖺𝗇𝗍 𝖨𝗋𝗂𝗇𝖺 𝖺𝗎 𝖬𝗎𝗌𝖾́𝖾 𝖽𝖾 𝗅’𝖤𝗋𝗆𝗂𝗍𝖺𝗀𝖾. 𝖬𝗒𝗌𝗍𝖾́𝗋𝗂𝖾𝗎𝗌𝖾, 𝖿𝖺𝖼𝖾́𝗍𝗂𝖾𝗎𝗌𝖾 𝖾𝗍 𝗌𝖾𝗇𝗌𝗎𝖾𝗅𝗅𝖾. 𝖴𝗇𝖾 𝗃𝖾𝗎𝗇𝖾 𝖿𝖾𝗆𝗆𝖾 𝖼𝗈𝗆𝗆𝖾 𝗂𝗅 𝗇’𝖾𝗇 𝖺𝗏𝖺𝗂𝗍 𝖼𝗋𝗈𝗂𝗌𝖾́ 𝗊𝗎𝖾 𝖼𝗁𝖾𝗓 𝖳𝗈𝗅𝗌𝗍𝗈𝗂̈. 𝖬𝖺𝗂𝗌 𝗅𝖾𝗌 𝖺𝗎𝗍𝗈𝗋𝗂𝗍𝖾́𝗌 𝗌’𝖾𝗇 𝗆𝖾̂𝗅𝖾𝗇𝗍, 𝗅’𝗂𝖽𝗒𝗅𝗅𝖾 𝗍𝗈𝗎𝗋𝗇𝖾 𝖼𝗈𝗎𝗋𝗍, 𝖾𝗑𝗉𝗎𝗅𝗌𝖾́ 𝖽𝗎 𝗃𝗈𝗎𝗋 𝖺𝗎 𝗅𝖾𝗇𝖽𝖾𝗆𝖺𝗂𝗇, 𝖶𝖺𝗅𝗂𝖽 𝗇𝖾 𝗌’𝖾𝗇 𝗋𝖾𝗆𝖾𝗍𝗍𝗋𝖺 𝗉𝖺𝗌. 𝖫𝖾𝗌 𝖺𝗆𝗈𝗎𝗋𝗌 𝖻𝗋𝖾̀𝗏𝖾𝗌 𝗉𝗋𝖾𝗇𝖺𝗇𝗍 𝗏𝗈𝗅𝗈𝗇𝗍𝗂𝖾𝗋𝗌 𝗅𝖺 𝗆𝖾́𝗆𝗈𝗂𝗋𝖾 𝖾𝗇 𝗈𝗍𝖺𝗀𝖾, 𝗂𝗅 𝖺𝗍𝗍𝖾𝗇𝖽𝗋𝖺 𝗅𝖾 𝗌𝖾𝗎𝗂𝗅 𝖽𝖾 𝗅𝖺 𝗏𝗂𝖾𝗂𝗅𝗅𝖾𝗌𝗌𝖾 𝗉𝗈𝗎𝗋 𝗆𝖾𝗍𝗍𝗋𝖾 𝗌𝗎𝗋 𝗉𝗂𝖾𝖽 𝗎𝗇 𝖽𝖾́𝗅𝗂𝗋𝖺𝗇𝗍 𝗉𝗋𝗈𝗃𝖾𝗍 𝖽𝖾 𝗋𝖾𝗍𝗋𝗈𝗎𝗏𝖺𝗂𝗅𝗅𝖾𝗌.

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𝖤́𝗅𝗂𝗌𝖺𝖻𝖾𝗍𝗁 𝖡𝖺𝗋𝗂𝗅𝗅𝖾́


vendredi 14 novembre 2025

Irina, un opéra russe, d'Anouar Benmalek : "Amour beauté et violence...", Christiane Chaulet Achour, nov. 2925





Anouar Benmalek : Amour, beauté et violence dans l’URSS du XXe siècle (Irina, un opéra russe)


par Christiane Chaulet Achour*
12 novembre 2025





« Je ne pourrais pas ne pas écrire. Quand je n’écris pas, j’ai une inquiétude presque métaphysique jusqu’à me demander ce que je fais sur cette terre. Je dois écrire, un peu comme le fumeur qui doit fumer ou l’ivrogne qui doit boire. Moi, je dois écrire. »
(Anouar Benmalek, RFI 25 septembre 2021)



Ce roman russe est un roman algérien… d’un des écrivains algériens parmi les plus talentueux qui signe ici son dixième roman. Pour Djamal Guettala du Matin d’Algérie du 11 septembre 2025, c’est un incontournable de la rentrée littéraire… et il a raison ! « La force du roman réside dans la capacité de Benmalek à mêler romance intime et fresque historique ». Par cette formule condensée, le critique dit bien les deux grandes lignes de force du roman et de ses romans antérieurs.


Une courte biographie pour introduire à ce romancier pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas : Docteur d’Etat en mathématiques, il est né en 1956 à Casablanca, de père algérien et de mère marocaine. Journaliste et écrivain, il a été, après octobre 1988, membre du Comité algérien contre la torture. Après un début de publications en Algérie entre 1984 et 1986 [ un recueil de poésie, un recueil de nouvelles et un essai ; ainsi que son premier roman, Ludmila qui ne fait pas long feu dans les librairies à la demande de l’ambassade de l’URSS, le roman portant, comme Irina, sur le séjour de formation de cet étudiant algérien à Kiev], c’est en France qu’il publie Les Amants désunis en 1998 ( Prix Mimouni 1999, traduit en 10 langues, sélections Fémina et Médicis) ; en 2000, L'enfant du peuple ancien, roman, (Prix des auditeurs de la RTBF 2001, Prix RFO du livre 2001, Prix BeurFM-Méditerranée 2001, Prix Millepages 2000 ; ainsi que dans différentes sélections d’autres prix et une traduction en 8 langues). Depuis ont été édités six autres romans, Irina, un opéra russeétant le dixième. Parallèlement ont été publiés un recueil de nouvelles, un recueil de poésie, un choix de chroniques journalistiques, des entretiens et un récit autobiographique après le décès de sa mère ( http://anouarbenmalek.free.fr/). On peut trouver ces romans, tous réédités en livre de poche.


Ce n’est pas la première fois que la Russie – et plutôt l’URSS (dissoute en décembre 1991 : il fait ses études de mathématiques à Kiev à la fin des années 1970) – est présente dans l’écriture romanesque d’A. Benmalek. Mais ici, elle prend toute la place, le romancier précisant que l’invasion de l’Ukraine a bousculé son projet et qu’il a choisi de terminer son roman à la veille de cette guerre. On note alors qu’il situe tous les événements dans la Russie de l’ex-URSS.


Dans la « Première partie », le « Prologue » se décline en deux chapitres. Nous sommes tout d’abord à Leningrad en 1981 puis en France en février 2022. Le romancier trace ainsi le début de sa liaison amoureuse et l’enclenchement de la fin de cette histoire d’amour, dans un style un peu « fleur bleue » que l’écrivain reconnaît volontiers avec un certain amusement néanmoins (entretien VLEEL 399 des Rencontres littéraires en ligne du 10-09-25) : Walid, le protagoniste, les jours de profonde nostalgie, relit les lettres d’Irina : « Les rares jours d’optimisme, il parcourait surtout les premières pages, en se laissant griser par les phrases banales et magnifiques de tous les Roméo et Juliette, ou, étant donné le contexte, les Wronski et Anna Karénine du monde : Mon chéri, tu me manques à un point que tu ne peux imaginer… » etc… Dans le même entretien, Anouar Benmalek cite Aragon et Prévert comme ses poètes préférés. Souvent des vers d’Aragon me sont venus à l’esprit à tel ou tel passage du roman, comme le thème profond de la fiction : rechercher, au seuil de la vieillesse, la femme aimée quarante ans avant : « Un beau soir l’avenir s’appelle le passé. / C’est alors qu’on se tourne et qu’on voit sa jeunesse ».


Dans la « Deuxième partie », la plus longue et le cœur même du roman (7 chapitres et un épilogue, presque la moitié du roman), on passe d’un lieu à l’autre, d’un temps à l’autre selon les besoins de la narration et la grande adresse du romancier à surprendre son lecteur sans le perdre, tout en le guidant pour qu’il se retrouve dans ce labyrinthe d’un passé à tiroirs.


La première strate du passé se décline en une dizaine de mini-récits situés à Léningrad en 1978. Elle concerne Irina et Walid mais aussi un certain Vladimir dont on va comprendre assez vite qu’il est le grand-père d’Irina. Du couple inattendu – cette jeune Russe soprano qui ne rêve que d’opéra et cet étudiant algérien boursier en train d’écrire une thèse d’Histoire sur Napoléon – on apprend toute l’évolution de leur histoire, depuis leur rencontre insolite à l’agonie du grand-père : « L'amour est un état de confusion du réel et du merveilleux ».


Toutefois, avant de développer le Leningrad de Vladimir, il faut dérouler toute son histoire, ce qui est fait dès le premier chapitre mais cette fois en introduisant un décrochement temporel et spatial : la fiction se déplace en 1932 au Kazakhstan, dans la prison annexe de l’oblast de Karaganda. Autour de ces années, 1932-1933, A. Benmalek déploie l’inexorable descente aux enfers du jeune Vladimir, envoyé dans ce lieu comme bras efficace de la répression stalinienne (le NKVD, de triste mémoire), la manière dont il échappe lui-même à la répression (ce qui aurait mis un terme à toute l’histoire ! d’où l’épisode moscovite en 1932 aussi), le face à face avec Apaq, le héros Kazakh qui lui fait un drôle de cadeau, sa mutation à Leningrad et son retour à une vie de famille, construite néanmoins sur un mensonge, une dissimulation.


Dans la « Troisième partie » moins longue mais conséquente (4 chapitres et un épilogue), nous sommes à Saint Pétersbourg en 1992, pour découvrir la prise de conscience d’Irina à laquelle est dévoilée la véritable personnalité de son grand-père, la gravité des actes qu’il a commis et en conséquence, le changement de vie de la protagoniste.


La « Quatrième partie » enfin, (3 chapitres et un épilogue) ne peut être que l’épilogue de l’histoire du couple : on revient à Walid et son projet un peu fou de retrouver quarante ans après la femme qu’il a aimée, dont il n’a pas eu de nouvelles et dont personne ne peut lui en donner. A Saint Pétersbourg en février 2022, il retrouve Sacha dont il partageait la chambre à la cité universitaire, puis dans le Transsibérien pour « pister » Irina, jusqu’aux retrouvailles éphémères mais qui remettent passé et présent en connexion. Encore Aragon : « Il y aura toujours un couple frémissant/ Pour qui ce matin-là sera l'aube première/ Il y aura toujours l'eau le vent la lumière/ Rien ne passe après tout si ce n'est le passant ».


Nous le constaterons plus loin – lorsque je rappellerai des romans précédents d’Anouar Benmalek qui m’ont particulièrement marquée –, il y a toujours chez ce romancier une histoire d’amour singulière (dont les protagonistes sortent des sentiers battus et qui vivent des moments intenses mais sans avenir… sur le long terme en tout cas, « il n’y a pas d’amours heureux ») et un épisode violent et sordide de la grande Histoire qui épaule la première et lui donne son relief et son ancrage. Dans Le Soir d’Algérie (7-10-2006), l’écrivain déclarait : « j’écris en général en me basant à la fois sur une recherche historique approfondie et sur l’idée simple que les êtres humains, à travers les siècles, demeurent fondamentalement les mêmes, surtout en ce qui concerne les émotions de base : l’amour, la haine, la peur, la compassion ».


Dans Irina, cet événement historique est la famine au Kazakhstan voulue par Staline au début des années 1930. Mais l’épisode ne doit pas être traité comme dans un manuel d’histoire : il doit l’être à hauteur humaine. Le personnage de Vladimir trouve alors toute sa justification. Il y a la documentation et la manière dont elle est mise au service de l’imagination mais dans les limites du « mentir-vrai » : en savoir assez pour ne pas inventer faux ! Le calvaire des Kazakh est vécu par la présence de celui qui est apprécié par eux comme un guide, Apaq, et que Vladimir affronte dans la prison puisque c’est lui qui doit l’exécuter : ce sont des scènes qui dépassent le simple récit factuel pour plonger dans les consciences ennemies. Plus tard, le conflit des années 1930 trouve sa duplication dans l’affrontement des petites filles.


Toutefois, il faut encore d’autres connexions. L’autre élément qui structure le livre et appartient aux deux histoires (la petite et la grande) est l’opéra, sa beauté et son tragique qui habite la personnalité incandescente d’Irina. Le romancier trouve alors les espaces narratifs pour dire, sur ce pays qu’il aime, sa beauté extraordinaire dans de nombreux domaines et sa noirceur… Staline vs Tchaikovsky ! Car ce n’est pas simple d’écrire sur la Russie au moment où commence une guerre actuelle. Ce n’est pas simple non plus, dit Anouar Bemalek, d’être citoyen algérien et il faut créer le roman avec tout cela ! Pour lui, l’Histoire est un roman et, dans l’Histoire, des faits sont écrits et d’autres effacés, chaque historien choisissant sa perspective ; on ne peut pas parler d’objectivité (NB - on peut se reporter aux analyses de Michel-Roph Trouillot rappelées dans Collateral du 6 octobre dernier). Mais lorsqu’un événement aussi dérangeant vous tombe dessus et qu’il a été « silencié », il faut en faire quelque chose de sérieux, de documenté. On comprend que le temps qu’Anouar Benmalek met à finaliser une fiction est une période d’intenses recherches et lectures pour créer ensuite une atmosphère qui soit proche de ce qui s’est passé.

Il y a enfin, dans ce roman, un ingrédient qui n’appartient pas aux deux lignes de force indiquées, en lien avec l’obsession de l’écrivain sur le temps et ses mystères : le « cadeau » que Apaq fait au jeune Vladimir, celui de pouvoir effacer un présent dérangeant en faisant un saut-arrière dans le passé, ce qu’il nomme « les dérèglements dans la trame du temps » :

« – Dis-moi, fier bourreau de mon peuple, as-tu fait de mauvais rêves ces derniers temps ? De très mauvais rêves qui ressemblent à des souvenirs… ?
Vladimir sursaute, presque effrayé devant l’étrangeté de l’interrogation :
–Des rêves… quels souvenirs… ?
–Tu m’as déjà posé cette question et je t’ai déjà répondu. Reviens hier, fils… et je t’expliquerai encore une fois.
–Revenir hier ! Qu’est-ce qui te prend, vieillard ? Je t’ai déjà posé cette question ? Tu es gâteux ou la peur te fait perdre la raison ? Tu sais bien que tu vas mourir maintenant ! »


Et plus loin, avec l’angoisse qui l’étreint, Vladimir, homme de main du NKVD, qui n’a pas encore accompli l’exécution, écoute Apaq : « Alors Vladimir écoute l’homme soudain exalté. Et ce que ce dernier raconte est simplement impossible : par il ne sait quel procédé, il est, depuis une certaine nuit, capable de " revenir " en arrière. Dans le temps, précise-t-il sans se démonter. Avec Vladimir, affirme-t-il, il est déjà " revenu " deux fois ».

Il suffit de savoir que « l’âme est un hôtel noir où des choses horribles sont tapies » ; mais l’être humain ne peut résister « à la terrible envie de changer (son) destin ». Cela a un prix : le bénéfice immédiat du retour en arrière se paie lourdement dans la suite de la vie de celui qui a succombé à l’envie de jouer avec son destin.

Vladimir va succomber, terrifié après avoir vu une scène qu’il n’aurait pas dû voir et qui, en URSS, se paie par la mort. Il échappera à ce qui était inéluctable mais au retour en Kazakhstan, il passe d’homme de main à un agent zélé de la famine : « A tout cela s’ajoutait la famine dans le Kazakhstan, aussi destructrice, cette fois, par la volonté de l’homme, qu’une épidémie de peste noire au Moyen Âge, famine dont tout le monde se fichait, à Moscou comme à Alma-Ata, les ordres demeurant toujours de confisquer jusqu’à la dernière tête de bétail pour nourrir les ouvriers des grandes ville industrielles du centre de l’URSS ».

L’histoire de Vladimir, de sa jeunesse à son agonie, véritable dysthanasie (dans l’épilogue premier de la seconde partie), est passionnante à suivre et le romancier en tire une morale : « On ne touche pas à l’unique loi inaltérable du Cosmos – Le Désordre est une fonction strictement croissante du Temps ! – sans le payer chèrement. Un Dieu ne s’y frotterait pas ». La recommandation qu’il croit laisser à Irina ne peut lui être d’aucun secours, dans le temps présent… : « ne jamais souhaiter changer le passé (…) sinon le passé te dévorera, le passé est une malédiction ».

Et pourtant, le don, Irina en a hérité… Comment peut-elle vivre après la découverte de la vraie nature de ce grand-père tant aimé et de ces rêves-retours qui bouleversent sa vie. Elle en sera la proie avec l’agression de la petite fille d’Apaq, la revivant plusieurs fois, dont elle connaît le nom : son grand-père l’appelant ainsi « Bibigul ». Peut-être en fait-elle un vrai rêve de bonheur dans la séquence en Crimée avec Walid qu’elle n’a pourtant jamais revu depuis son départ. C’est aussi le « Final » : le rêve d’Irina côtoie le cauchemar de Walid, leur permettant à tous deux de s’évader du présent de leur vieillesse et de leur séparation. Cette réflexion sur le temps, mise en fiction dans la trajectoire des protagonistes, est la projection heureuse de l’histoire et aussi, peut-être la manifestation du désir de s’évader de la grande Histoire qu’on ne peut gommer mais dont la mémoire doit être documentée.


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Difficile de ne pas indiquer, même brièvement, d’autres romans d’Anouar Benmalek dont la lecture m’a habitée longuement et vers lesquels il faut revenir. Tous ont des lignes de force semblables à celles que j’ai indiquées pour Irina, un opéra russe : une documentation solide avec, en son cœur, un événement tragique, effacé ou minimisé de la grande Histoire habituellement racontée ; et une histoire d’amour forte qui aboutit à une impasse.


                    


Les Amants désunis, en 1998, a été le premier grand succès auprès des lecteurs. Il raconte le destin d’un couple, Anna, une Suissesse et Nassredine, un Algérien, dont l’amour fusionnel a été fracassé par l’Histoire de l’Algérie. Le récit se déroule en 1997 mais des fragments d’histoire antérieure parsèment le texte, en 1928 et surtout entre 1945-1955. Leurs deux enfants, Mehdi et Meriem ont été assassinés par des combattants du FLN. Quarante ans se sont écoulés depuis ce drame et la séparation du couple. Anna envoie un télégramme à Nassredine pour lui donner rendez-vous sur la tombe de leurs enfants dans son village natal. Sur la route, elle se fait enlever par les combattants d’Allah. A la date de 1997, le romancier ne dévoile pas un passé « silencié » mais met en relation la violence à deux étapes de l’histoire algérienne du XXes.

                       



En 2000, c’est le second roman de l’écrivain à connaître un grand succès, L’Enfant du peuple ancien. L'intention première du romancier était de construire une fiction à partir d'un couple formé d'un Algérien et d'une Française, déportés en Nouvelle Calédonie, après les répressions de 1871, celle de la Commune en France et celle de la révolte d'El Mokrani en Algérie. Recherchant des informations sur les évasions des déportés vers l'Australie, il tombe sur une phrase qui réoriente complètement son projet : « "Le dernier loup de Tasmanie a disparu en 1870, en même temps que le dernier des aborigènes à la suite d'un massacre perpétré par les colons anglais"... Cette phrase m'a fait sursauter, car je venais d'apprendre incidemment le massacre de tout un peuple cité comme "détail" devant ce qui paraissait choquer l'auteur : la disparition d'un animal. Ce génocide, dans toute l'acception moderne du terme, devient à partir de ce moment le cœur du livre ».


C'est ce dernier des Aborigènes qui est l'enfant. Kader et Lislei, les deux déportés évadés, le trouvent sur le bateau de leur passage, enfermé dans une cage. Émus par la détresse extrême du jeune enfant, Tridarir, dernier représentant de la tribu de Tasmanie décimée par les colons, ils décident de le soustraire à la cupidité de ses ravisseurs qui veulent le vendre à d'étranges collectionneurs. Seule leur humanité commune les sauve de l'innommable. Notons que Tridarir, dépositaire à travers la mémoire de ses parents, de la mémoire de son peuple, refait les chemins des Rêves pour que sa terre ne disparaisse pas. Il n'entraîne pas ses "parents" adoptifs dans cette complicité culturelle-là. C'est une utopie autour de l'enfant "sauvage" que crée A. Benmalek en inventant cette famille métisse qui ne tente pas de syncrétisme mais qui, par amour, exerce sa tolérance.


Le roman d'Anouar Benmalek est un récit d'aventures fortement documenté où la prise de position de l'auteur est patente et voulue : « Les Australiens n'ont pas subi du tout le même opprobre au sujet de ce génocide que les Allemands au sujet du génocide juif. Les génocides ne sont pas égaux. Ma réaction a d'abord été la peur de parler de ce sujet auquel je ne connaissais rien. Puis une sorte de devoir éthique s'est mêlé à l'envie d'écrire. Il est alors devenu évident que j'avais à jouer le rôle de passeur de mémoire. J'ai dû tout réécrire en centrant le livre sur le génocide, avec la volonté de ne pas en faire un livre politique. »


                       



En 2002, nouveau couple et nouvelle géographie avec L’Amour loup. La fiction se situe en 1987. Un étudiant algérien, Chaïbane, bénéficie d’une bourse à Moscou, que l’URSS donnait à des étudiants d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Il rencontre une autre étudiante boursière, Nawel qui est palestinienne. Ils tombent amoureux. Mais, à la fin de ses études, Nawel décide de rejoindre les siens. Chaïbane rentre en Algérie mais ne pouvant oublier la jeune fille, il décide de partir à sa recherche : il va en Syrie, au Liban et découvre la réalité de ces pays en proie à la violence et à la guerre. Il prend conscience de l’actualité et de l’Histoire des Palestiniens. C’est aussi la guerre civile libanaise, la vie dans les camps. Chaïbane retrouve Nawel dans un camp de réfugiés mais elle se fait tuer par un milicien.



                      



En 2006, Ô Maria, est, pour moi, le roman majeur de l’écrivain. Cette fois, il s’intéresse aux derniers musulmans d’Andalousie qui, de 1492 à leur expulsion au début du XVIIe s. (1604-1614), ont subi une répression et une exclusion de différentes manières. Ceux qu’on appelle les Morisques (musulmans convertis à la religion chrétienne) ont été pourchassés. Celle qui est au centre du récit est Maria (comme la mère de Jésus) qui n’appprend que tardivement qu’elle est musulmane et que son vrai nom est Aïcha (nom de l’épouse préférée du prophète). Elle vit, dans la colère et la révolte, l’assimilation religieuse, linguistique et culturelle qu’impose le catholicisme au pouvoir. Elle découvre sa langue d’origine (algarabia) pour pouvoir lire l’alcoran (le Coran). D’amours consentis en viols, la vie de Maria est faite de violences en pleine Inquisition. Le roman est dédié à « Gerónima la Zalemona qui vécut.à Torrelas (Espagne) à la fin du XVIes et dont la destinée me suggéra en partie celle de María ». Le roman s’ouvre sur le bûcher où brûle Maria-Aïcha,sous les yeux de son fils : « Le royaume de Valence est à présent quasiment purifié de sa vermine morisque, ces juifs aggravés d’islamisme, commme ils disent ici avec une moue semblable à celle qu’on forme lorsqu’on crache ».




                        



En 2015, le romancier se lance en territoire miné pour un auteur d’un pays arabe avec Fils du Shéol. Il a dit s’être interrogé sur sa légitimité à écrire sur la Shoah, à la fois par son origine, ce qu’il conteste mais aussi par le nombre impressionnant de livres écrits à ce sujet. Que pouvait-il apporter ? « Cette légitimité, je l’ai trouvée le jour où j’ai appris que le père de Goering avait été gouverneur de ce qui est devenu la Namibie (…) brutalité de cette colonisation (…) le génocide du peuple herero est demeuré largement ignoré ». Il y voit une sorte de préparation, à plus courte échelle, de ce que sera la solution finale en Allemagne nazie. Mais ce génocide n’a pas eu de conséquences sur le peuple génocidaire.

Mais comme dans les autres romans d’Anouar Benmalek, cette documentation historique et incrustée dans la vie de personnages et, en particulier de trois couples à partir desquels se dit la violence du monde. En trois générations de la même famille, sont vécus deux génocides.

On entre dans le roman avec le jeune Karl, enfermé dans un wagon à bestiaux. Il y rencontre Helena qui sera son bref amour puisqu’ils sont gazés en arrivant en Pologne Du Shéol, il peut regarder les siens. D’abord son père, Manfred, devenu Sonderkommando, qui rêve à son Élisa, la mère de Karl, rencontrée et épousée en Algérie des années auparavant. Remontant les générations, Karl découvre que son grand-père, Ludwig, a servi dans l’armée allemande du Sud-Ouest africain. Et qu’il a un secret : Hitjiverwe, une jeune femme héréro passionnément aimée, victime avec son peuple.

Comme les autres romans, malgré la difficulté extrême de ce qui est raconté, on lit sans quitter les pages de ce récit à la fois poignant et matraquant.

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De roman en roman, Anouar Benmalek est un écrivain qui fait parcourir le monde et dépasse ainsi, par ses fictions, les frontières de son pays d’origine, ce qui n’est pas fréquent dans la littérature algérienne ; il n’oublie jamais ce pays, au détour d’une page, par un personnage ou une circonstance. Après de telles extensions géographiques et historiques, on suit la question que lui pose le journaliste Youcef Merahi, dans leurs entretiens, Vivre pour écrire, en 2006 :

« Quel est le pays où vous auriez aimé vivre ?
– J’aurais voulu vivre dans ce que j’appellerai, faute de mieux, le pays de mon enfance, quand je croyais encore que le sort du monde et de mon pays ne pouvait que s’améliorer, que la part du mal était condamnée à s’amenuiser, que la bonté était l’avenir de l’être humain. Je m’aperçois maintenant qu’un tel pays sur notre bonne vieille planète relève encore largement de l’utopie – et probablement, n’existera jamais.
Mais l’utopie est, bien sûr, nécessaire pour que nous puissions, vaille que vaille, accomplir le beau – en fin de compte – métier d’être humain ».




Anouar Benmalek, Irina, un opéra russe, Paris, éditions Emmanuelle Collas, 2025, 469 p., 22,90 €


*A propos de Christiane Chaulet Achour: Elle a été Professeur à l’Université d’Alger de 1967 à 1994, puis Professeur de Littérature comparée et francophone à l’Université de Cergy-Pontoise, de 1997 à 2015. Elle poursuit ses recherches dans ses domaines de prédilection et, particulièrement, sur la littérature algérienne. Voir son site :                                                                         http://www.christianeachour