dimanche 9 novembre 2025

 


Anouar Benmalek : « Écrire, c’est penser malgré l’évidence… »


Djamal Guettala
samedi 8 novembre 2025

Avec Irina, un opéra russe, paru le 22 août 2025 aux Éditions Emmanuelle Collas, Anouar Benmalek signe une œuvre où la mémoire, la douleur et l’exil s’entrelacent comme des fils invisibles d’une tragédie humaine. À travers Irina et Walid, il explore les tumultes de l’histoire russe et les fragilités de l’existence, où l’amour devient refuge et la fiction, un espace de liberté.

Pour Anouar Benmalek, « écrire, c’est penser malgré l’évidence » : chaque personnage devient miroir de nos propres blessures, chaque phrase tisse un pont fragile entre ce qui fut, ce qui souffre et ce qui persiste. Lire Irina, c’est se confronter à l’épreuve de vivre, sentir battre le pouls du passé et entrevoir, au cœur des douleurs, la lumière fragile de la réconciliation. Dans cet entretien accordé au Matin d’Algérie, l’écrivain revient sur les racines de son œuvre, son rapport à la mémoire et à l’exil, et cette quête de vérité qui traverse toute son écriture.



Le Matin d’Algérie : Votre roman met en scène des trajectoires multiples, marquées par l’exil, la mémoire et la douleur. Comment ces personnages se sont-ils imposés à vous ?

Anouar Benmalek : À mon sens, un roman répond d’abord à une question : que se passerait-il si… C’est la vieille question qui nous taraude tous, à laquelle l’être humain tente de trouver une réponse depuis l’aube de l’humanité. La mémoire et la douleur sont des composantes essentielles de la définition même du fait d’être humain. Sans mémoire, nous ne sommes rien ; sans douleur, il est peu probable de mener une vie digne de l’être, puisque toute vie digne d’être vécue suppose de se colleter avec ce qui l’empêche justement d’être digne. Quant au fait d’être exilé, nous le sommes tous d’une manière ou d’une autre : exilé de son pays dans le sens le plus littéral du terme, exilé de son enfance, exilé d’une époque où l’on a été heureux avec ses parents ou avec des êtres chers. Vivre est une tragédie, qui se termine toujours mal, comme aucun de nous ne l’ignore, malheureusement.

Dans Irina, un opéra russe, j’ai voulu rejouer cette tragédie de vivre avec les ingrédients propres à la Russie que j’ai connue à l’époque où je préparais une thèse de mathématiques. Je suis parti, comme toujours, d’un couple, Irina et Walid, dont l’histoire d’amour va évoluer dans le temps et dans l’espace dans cet immense monde soviétique, en me concentrant plus particulièrement sur sa partie russe. Comme la Russie ne se comprend pas sans un détour par son passé, il m’a fallu introduire un personnage, Vladimir, conçu au départ comme secondaire, mais qui, rapidement, s’est imposé à moi comme une pièce essentielle au cours de la construction du roman.

Le Matin d’Algérie : La transmission intergénérationnelle est au cœur du récit. Est-ce pour vous une manière de lutter contre l’oubli ou le silence imposé ?

Anouar Benmalek : En caricaturant, nous avons généralement une mémoire de moineau en ce qui concerne les grands événements historiques. Leur complexité est, très souvent, galvaudée, donc niée, en transformant le récit de cet événement en une espèce de « pitch » tenant plus du slogan publicitaire que de la vérité historique. Chaque État entend se construire son propre roman national, de préférence héroïque, qu’importe si le résultat ressemble plus souvent à un scénario de film hollywoodien qu’autre chose ! Si l’Histoire, la vraie, ne correspond pas aux desiderata du scénariste en chef du moment, eh bien, on change l’Histoire ! La lutte contre l’oubli ou, pire, la réécriture sans vergogne du passé est sans fin, harassante, un véritable labeur de Sisyphe, dont on ne sort pas vainqueur en règle générale.

Le Matin d’Algérie : Dans vos pages, l’intime croise toujours l’Histoire collective. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre ces deux dimensions sans sacrifier ni l’une ni l’autre ?

Anouar Benmalek : Je respecte infiniment le travail des historiens, mais je n’ai pas vocation à écrire des romans historiques. Ce qui m’intéresse, c’est la réaction individuelle, particulière, de quelqu’un d’ordinaire qui se trouve confronté à l’Histoire avec un grand H (ou, plutôt, avec une grande hache !) Les thèmes de mes livres sont souvent très graves, leur écriture me mobilise pendant de longues périodes et la seule manière pour moi de garder mon énergie littéraire est d’y introduire une histoire d’amour. Mais, somme toute, n’est-ce pas également le but de notre vie : que vaudrait cette dernière si l’amour lui demeurait étranger ?

Le Matin d’Algérie : Peut-on lire votre livre comme une fresque des blessures du siècle, mais aussi comme une tentative de réconciliation ?

Anouar Benmalek : Probablement. Au fond, je suis ce qu’Emile Habibi nommait un « peptimiste », c’est-à-dire un pessimiste qui ne demande qu’à être optimiste. Écrire, c’est penser malgré l’évidence que les deux à trois années passées à s’échiner sur un roman que personne ne vous a demandé peuvent valoir la peine que l’on s’est donnée parce que quelques lecteurs vous diront après la lecture : « Ah, cette Irina, j’en suis presque tombé amoureux ; et ce Vladimir, c’est un véritable salaud, mais, après réflexion, peut-être n’aurais pas été différent de lui, peut-être n’aurais-je pas eu à mon tour le courage d’être héroïque tout le temps ; et cette famine d’une si grande ampleur au Kazakhstan, pourquoi n’en ai-je jamais entendu parler, etc. »

Le Matin d’Algérie : On dit souvent de vos romans qu’ils sont portés par une écriture « incandescente », où la poésie côtoie la violence. Comment parvenez-vous à travailler cette tension dans la langue ?

Anouar Benmalek : J’applique au travail sur mes fictions la réponse de Joe Louis, l’immense boxeur du milieu du siècle dernier, à des journalistes qui lui avaient demandé sa recette pour avoir été aussi longtemps champion du monde toutes catégories : « J’ai fait du mieux que j’ai pu. »

Quant à moi, plus modestement, je me mets réellement à la place de chaque personnage, leur destin devient littéralement le mien et, comme le contexte dans lequel je les plonge est parfois abominablement compliqué, ma réaction et, par conséquent, mon écriture sont pleines de cette tension que nécessite la survie ! Faire de son mieux est la première obligation du romancier s’il entend faire œuvre nouvelle, originale, une obligation artistique et éthique à la limite du commandement religieux. À quoi bon écrire sinon ?

Le Matin d’Algérie : Y a-t-il, derrière cette écriture, un héritage littéraire précis qui vous accompagne encore aujourd’hui ?

Anouar Benmalek : Je suis l’héritier de tous les livres que j’ai lus, des plus médiocres aux plus remarquables. Et j’en ai lu beaucoup, des romans policiers de base aux ouvrages les plus sophistiqués, des comics tellement aimés de mon enfance à la science-fiction la plus échevelée. Et puis la poésie, ah, la poésie…

Le Matin d’Algérie : Votre livre convoque plusieurs temporalités et points de vue. Était-ce une contrainte narrative ou, au contraire, une liberté indispensable ?

Anouar Benmalek : Notre principal ennemi est le temps, cet assassin qui nous pousse sans arrêt dans le dos jusqu’à nous précipiter dans l’abîme à la fin. Qui résisterait à la possibilité magique, si elle lui était accordée, de remonter ce maudit temps afin de changer le passé et de repartir à l’assaut de l’avenir, à nouveau plein d’espoir et d’illusion ? L’auteur que je suis n’y a pas résisté, mais il a introduit dans son roman une contrainte : remonter le temps se paie toujours très cher, car l’univers n’est en rien conçu pour être tendre envers les créatures vivantes.

Le Matin d’Algérie : Quel rôle joue pour vous la fiction dans l’exploration de la mémoire historique ?

Anouar Benmalek : Je suis d’abord romancier, c’est donc le théâtre des sentiments des êtres humains qui est au centre de mon travail : la fiction est donc l’essentiel, la mémoire historique, le décor en quelque sorte où se meuvent mes personnages. J’ai à cœur cependant que cette restauration de la mémoire soit la plus précise possible ; ce scrupule de présenter l’histoire telle qu’elle aurait dû être présentée, de la débarrasser des oripeaux du mensonge, est pour moi la politesse minimale que l’on doit au lecteur.

Le Matin d’Algérie : Votre œuvre est traversée par des préoccupations politiques et morales. Pensez-vous qu’un écrivain puisse rester en retrait des grands drames contemporains ?

Anouar Benmalek : Un écrivain est aussi un citoyen. Mais il ne doit pas mélanger ses deux identités, car les exigences de l’une et de l’autre ne se sont pas interchangeables. D’un autre côté, j’ai toujours tenté autant que faire se peut de remplir mes devoirs de citoyen, en particulier de m’élever contre les trop nombreuses atteintes à la démocratie et à l’État de droit depuis l’indépendance de notre pays. Mais dans ce domaine, on est toujours très loin d’en faire assez, malheureusement.

L’Algérie est un pays « difficile », et les différents pouvoirs qui s’y sont succédé peuvent vous faire payer très cher vos velléités de participation à la vie de la nation…

De plus, la « compréhension » qu’ont les dirigeants de la nécessaire liberté qui accompagne la création est très relative, sinon nulle.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes vous-même exilé depuis longtemps. Quelle part de votre expérience personnelle irrigue ce livre ?

Anouar Benmalek : L’exil est formateur, dans le sens qu’il vous apprend à vous départir de vos habitudes de pensée et, partant, de nombre de vos préjugés. L’exil est parfois âpre, sinon douloureux. Mais je sais également que je n’aurai pas pu écrire les livres que j’ai écrits en restant en Algérie. L’accueil qui a été réservé en Algérie, par exemple, à mon roman Ô Maria, avec son cortège d’articles incendiaires et de menaces de mort, m’est resté en travers de la gorge, cette gorge qu’un groupe terroriste se promettait justement de trancher pour crime supposé, et absurde, d’atteinte aux « constantes spirituelles » du pays.

Le Matin d’Algérie : Dans un monde saturé de violence, où les guerres et les exils se multiplient, quel rôle attribuez-vous encore à la littérature ?

Anouar Benmalek : Un écrivain ne doit pas espérer changer le monde, tout au plus, s’il n’est pas trop maladroit, de créer un instant d’échange, parfois précieux, entre lui et une poignée de lecteurs. Si la littérature avait le pouvoir de changer le monde, cela se saurait.

Regardez la pléthore d’écrivains de génie qui ont traversé le vingtième siècle : cela n’a pas empêché ce siècle de subir plusieurs génocides, deux guerres mondiales, la barbarie coloniale sur tous les continents, l’impérialisme arrogant et meurtrier des uns et des autres, etc.

On continuera malgré tout à écrire des romans, des nouvelles, de la poésie parce que, comme le soutient une célèbre maxime, il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.

Le Matin d’Algérie : Enfin, que diriez-vous aux jeunes lecteurs algériens et francophones qui vous découvrent aujourd’hui avec ce roman ?

Anouar Benmalek : Lisez, et lisez autant que vous pouvez. C’est la meilleure hygiène morale et spirituelle qui soit dans ce monde décérébré par la propagande des chaînes de télévision et la bêtise souvent crasse des réseaux sociaux.

Entretien réalisé par Djamal Guettala 

À noter

Une rencontre avec Anouar Benmalek autour de son roman Irina, un opéra russe (Éditions Emmanuelle Collas, 2025) se tiendra le vendredi 14 novembre 2025 à partir de 18h30, à la librairie L’Île aux Mots, 7 rue Urbain V, Marseille 2ᵉ (quartier Joliette/Arenc).


Irina, un opéra russe : "Une puissante volonté d’interroger les zones obscures de nos existences", El Watan, 9 nov 2025

 


Irina, un opéra russe d’Anouar Benmalek : Le roman algérien d’un vertige russe (El Watan, 9 novembre 2025)

Qu’est-ce qu’être algérien aujourd’hui ?» Cette question que Mohammed Dib jugeait «enfermante» et «aliénante» (revue Apulée, n°8, éditions Zulma, 2023), poursuit encore toujours les écrivaines et les écrivains d’Algérie, au premier chef, ceux qui écrivent en français et publient à Paris.

A rebours de certaines plumes qui acceptent leur place d’«instrument» pour expliquer l’Algérie à l’observateur étranger, c’est-à-dire ceux qui signent des dissertations pseudo-historiques pour absoudre les crimes et le caractère inhumain du colonialisme dans le dessein de «rétablir la démocratie dans leur pays», l’œuvre d’Anouar Benmalek témoigne d’une puissante volonté d’interroger les zones obscures de nos existences selon un registre singulier, émancipé des fausses problématiques identitaires et linguistiques. Quand l’auteur du Rapt (Fayard, 2009) conçoit et écrit ses fresques romanesques, il part plutôt d’une question ouverte : «Qu’est-ce qu’un écrivain aujourd’hui ?» L’écriture de ce professeur de mathématiques bouscule.

Classique et limpide, sa densité historique et émotionnelle défait tous les manichéismes. Pour lui, il ne s’agit pas de désigner les coupables et les complices de tel ou tel désastre, mais de comprendre et surtout de voir et de sentir la bascule d’êtres ordinaires dans le gouffre du crime aveugle, de la déshumanisation jouissive. Par-delà l’appartenance nationale et les diverses assignations identitaires, l’auteur de Chroniques de l’Algérie amère (Fayard, 2003) saisit sans pathos aucun la douleur brute, les ambiguïtés et les ambivalences des êtres humains dans les torrents de l’histoire. Depuis ses précédentes publications dont on peut citer L’Enfant du peuple ancien (Pauvert / Casbah, 2000) ou L’amour au temps des scélérats (Emmanuelle Collas / Casbah, 2021), il ne cesse de complexifier son exploration fictionnelle des géographies et des formes de la violence. Pour cette rentrée littéraire, et plus de quarante ans après la publication de Ludmila ou le Violon de la mort lente (ENAL, 1986), l’écrivain revient dans Irina, un opéra russe, l’un des rares romans qui donnent à voir la Russie soviétique par le biais du regard d’un ancien boursier algérien, à une passion ancienne, intime : la civilisation russe. Loin de se limiter à l’histoire de l’amour empêchée entre Walid et Irina, ce livre investit deux questions fondamentales qui interpellent notre époque – affreusement lacérée par les sidérations que provoquent les entreprises annihilatrices et génocidaires menées par les puissances coloniales et impériales – : jusqu’à quel point mener le consentement à l’euphémisation et à la négation des crimes de masse ? Et quelles réceptions possibles pour une œuvre artistique quand se rencontrent, dans un contexte asymétrique, les descendants des victimes et des bourreaux ? Entretien avec Anouar Benmalek.

Propos recueillis par Faris Lounis (*)                                             

***

El Watan: Le personnage principal de votre histoire (Irina, un opéra russe) est un jeune doctorant qui mène une thèse sur Napoléon en Egypte dans l’ancienne URSS. Bien qu’Irina, un opéra russe, ne soit pas un roman strictement autofictionnel, votre parcours estudiantin ressemble fortement à celui de Walid, car vous avez également préparé une thèse de doctorat en mathématiques durant cinq ans entre Kiev, Odessa, Moscou et Leningrad. Je souhaiterais ouvrir notre échange en vous demandant quelques éléments de contexte : qu’est-ce qu’être un chercheur algérien dans l’empire russe durant les années 1970 ?

A.B: A l’époque, l’Etat algérien était assez généreux en matière d’envoi des étudiants nationaux à l’étranger afin qu’ils s’y spécialisent dans telle ou telle discipline ou, par exemple, y préparent des thèses de doctorat. Cela a été le cas de l’ensemble de ma promotion de mathématiques à l’université de ma chère ville de Constantine. Nous étions une douzaine d’étudiants concernés, tous bénéficiaires à la fin de notre dernière année de cette fameuse bourse à l’étranger. Mais, comme vous devez vous en douter, il y avait toujours une sorte de «loterie» dans le tirage du pays où vous deviez continuer vos études : les plus chanceux (ou les plus pistonnés) se voyaient envoyés aux USA, en Angleterre, en France ; les plus défavorisés par le sort devaient se contenter de pays dits de l’Est, dont l’URSS… C’était le temps de la blague, de mauvais goût, certes, mais révélatrice où le premier prix d’un concours fictif était un séjour d’une semaine à Moscou et le second prix d’un séjour de deux semaines à Moscou…
Dans cette promotion, nous avions été deux malchanceux à nous trouver dans cette situation inconfortable d’avoir à choisir entre perdre une année universitaire à nous tourner les pouces ou nous rendre dans un pays à la réputation pour le moins «austère» dont nous ne parlions pas la langue et dont le climat n’était guère rassurant pour les Méditerranéens que nous étions.

En fin de compte (ou, plutôt, en désespoir de cause…), j’ai été le seul de mon département de mathématiques, cette année-là, à me résigner au voyage dans l’empire du froid. Les premiers mois n’y furent pas très agréables, mais ce (long) séjour en URSS fut probablement et paradoxalement une des meilleures choses qui me soient arrivées dans la vie, tant du point de vue scientifique que du point de vue strictement personnel. $ Réglons d’abord la question des études : j’ai eu le privilège, inestimable, de soutenir une thèse dans un pays de grande tradition mathématique. Beaucoup d’avancées spectaculaires dans ma spécialité portent les noms de chercheurs de cette région du monde ! J’ajouterais, cela va de soi, un bémol, étant donné le contexte politique : j’étais mathématicien, et donc non concerné par l’allégeance idéologique que j’aurais eu nécessairement à montrer dans mon travail de thèse si j’avais été, par exemple, un chercheur en sociologie ou en économie…

Quant au reste, c’est-à-dire l’essentiel, j’ai fini par tomber amoureux, amoureux scandalisé certes, mais amoureux quand même de cet immense conglomérat de nations, de religions, d’histoires et de confrontations souvent sanglantes. Amoureux, singulièrement, de la partie russe de ce quasi-continent – et, bien sûr, de sa langue. J’insiste : profondément, rageusement épris, souvent avec indignation, de cette Russie dont la fille de Staline disait avec chagrin, elle dont la mère avait été «suicidée» : «Mon si merveilleux et si terrible pays !» 

Mon amour n’était pas un amour aveugle, loin de là, car, en même temps que le jeune provincial que j’étais découvrait la grande littérature russe, l’extraordinaire poésie russe, la merveilleuse musique russe, il prenait encore plus conscience de l’immensité des drames qui avaient jalonné le vingtième siècle de cette Russie : l’incroyable dictature de Staline et de ses semblables, l’épouvantable cauchemar des camps du Goulag et de leurs millions de morts, la trahison impardonnable des rêves de liberté et de démocratie de ceux qui s’étaient soulevés contre le régime inique des tsars, sans oublier les sacrifices (sur lesquels on n’insistera jamais assez) consentis pendant la Seconde Guerre mondiale.

E.W: «Galoubtchik, mon chéri, je ne t’ai pas fait trop attendre ? s’enquiert à voix haute, un peu trop joyeusement, la jeune femme qui s’est rangée à ses côtés. – Eh, c’est quoi ça, un peu de respect, demoiselle, on ne grille pas la queue ! se récrie avec acrimonie quelqu’un derrière eux.» Qu’est-ce qui va arriver à Walid quand, durant l’hiver 1978, à Leningrad, une jeune inconnue quelque peu intrépide s’agrippe à lui pour devancer les nombreuses personnes faisant la queue devant l’illustre musée de l’Ermitage ?

A.B: Mon livre n’est pas du tout autobiographique. Mais, comme tout romancier, je m’inspire souvent de faits réels en les triturant selon le besoin de la fiction. Cette scène de la queue devant le musée de l’Ermitage, j’ai eu la chance de la vivre presque de la manière dont je la décris dans le roman – et donc, de tomber amoureux, mais cette fois-ci non pas du pays, mais d’une jeune femme bien réelle. Ce qu’on appelle, parfois paresseusement, l’âme russe, est contagieuse à l’âge que j’avais ! On se met à écrire de la poésie au moindre battement de cœur, et l’on passe ensuite des ébauches de nouvelles plus ou moins réussies au roman presque sans s’en rendre compte. Depuis, je suis resté infiniment reconnaissant à celle ou, plus exactement, à celles qui m’ont permis d’oser pénétrer dans le monde magique de l’écriture de fiction : j’étais parti en URSS comme mathématicien, j’en suis revenu toujours mathématicien mais apprenti écrivain de surcroît…

E.W: Au début des années 1980, les autorités russes obligent Walid à quitter le pays. De quelle manière sa relation avec Irina va-t-elle évoluer après cette «quasi expulsion» ?

A.B: Le roman exigeait cette séparation, car mon propos n’était pas de décrire la chute de l’URSS, mais de «triturer» le temps de manière à aborder trois grandes périodes de la vie de cet empire : la période stalinienne à travers le personnage du grand-père d’Irina, celle des années soixante-dix de l’amour flamboyant que Walid éprouve pour Ia soprano, avant qu’il ne soit expulsé du pays, puis le retour de ce dernier dans la «nouvelle» Russie, quarante ans plus tard, à la recherche de celle dont il ne sait même plus si elle est encore de ce monde. La manipulation du temps, avec ses allers et retours se payant au prix fort, est essentielle dans ce roman cherchant à répondre à l’éternelle question qui nous tourmente tous, nous autres êtres humains à l’existence si fugitive : que serait-il advenu si l’on avait agi d’une manière différente, aurions-nous changé de destin, évité tel malheur, connu tel bonheur…

E.W: Membre d’une délégation officielle, Irina donne un spectacle à Alma-Ata, la capitale du Kazakhstan. Soudainement, une femme surgit du public et lui balance «à plusieurs reprises un seau d’eau colorée en rouge», tout en lançant des cris accusatoires. Cela s’est passé dans les années 1990. Qui était cette femme, et pourquoi a-t-elle agi de la sorte ?

A.B: J’ai longtemps hésité avant d’entreprendre l’écriture de ce livre. J’avais déjà écrit un roman sur l’URSS après mon retour en Algérie au début des années quatre-vingt. Publié par l’ENAL, le roman n’était resté en vente que pendant une dizaine de jours, avant d’être retiré de toutes les librairies d’Algérie à la suite d’une plainte de l’ambassade d’URSS jugeant le contenu un peu trop «sarcastique» à son goût. Quand, quarante ans plus tard, m’a de nouveau taraudé l’envie d’écrire sur cette Russie si importante pour moi, j’ai d’abord longuement hésité. En attendant une éventuelle décision, j’ai procrastiné avec ce que j’adore faire en pareil cas : réunir et lire de la documentation…

Le hasard faisant bien les choses, je suis tombé sur des articles évoquant des événements à peine croyables pour moi qui prétendais n’être pas totalement ignorant en matière d’histoire de l’Algérie : durant la Première Guerre mondiale, des paysans-soldats russes envoyés par le Tsar en renfort aux côtés de l’armée française avaient refusé de continuer à se battre en apprenant la chute des Romanov. Après des affrontements meurtriers avec l’armée française, beaucoup de ces rebelles russes s’étaient retrouvés en prison… près de Biskra, dans le sud de l’Algérie !

C’est la découverte d’une autre période de l’histoire de l’URSS, celle-là d’une ampleur à la dimension cataclysmique qui allait me précipiter définitivement dans le chantier de ce roman : l’Asharshylyk, le nom que donnent les Kazakhs à la famine organisée par le pouvoir de Staline afin de contraindre les nomades du Kazakhstan de rejoindre les nouvelles structures agricoles collectives soviétiques, famine qui dépassa, en proportion de victimes, l’autre famine beaucoup plus connue – le Holodomor en Ukraine.

Même si l’Asharshylyk est parfaitement documenté par de nombreux documents historiques, livres et travaux universitaires, il n’est pas au menu de la «mémoire commune», celle formée, par accrétions successives, par les romans, les poèmes, le chant, le cinéma… Pour ma part, je n’en avais jamais entendu parler ! Ce n’est pas chose nouvelle, nous le savons tous du côté sud de la Méditerranée : le devoir de mémoire tant invoqué en Europe ne concerne, ainsi que le rappelait vertement Aimé Césaire, que les massacres commis contre les peuples occidentaux, non contre ceux considérés comme trop «bronzés» !

E.W: Qu’est-ce qui va changer dans la carrière d’Irina quand elle découvre que son grand-père Vladimir Alexievitch, cet ancien agent du NKVD (un «agronome», selon le Parti !) qui incarne à ses yeux la droiture et la rectitude morale, est en vérité l’«exécuteur docile de la famine voulue par Staline», et le cynique meurtrier de l’arrière-grand-père de Bibigul Sartbaïeva ?

A.B: Les Russes ont cru se débarrasser à bon compte du souvenir des atrocités commises au nom de la construction du nouvel homme soviétique. Mon roman est basé sur l’idée de la transmission d’une malédiction proférée par un chef religieux kazakh contre Vladimir, devenu un assassin un peu malgré lui. Cette malédiction est léguée ensuite, par la magie sournoise de la fiction, à sa petite-fille Irina. Le livre expose comment la soprano, en rencontrant Bibigul, la descendante du chef kazakh, va devoir se colleter avec le passé de son grand-père bien-aimé ou, plus généralement, des crimes de son peuple contre un autre peuple.

E.W: Quand Irina énonce : «Bibigul m’a maudite dans la lettre qu’elle a laissée avant de se tuer. Alors, j’ai décidé de punir mon grand-père en me punissant. Vladimir avait voulu que je sois cantatrice, j’ai résolu que je ne le serais plus. Je ne voulais plus chanter au prix du malheur de cette jeune femme et de sa famille. Je me suis rendue sur la tombe de Vladimir avec une bouteille de vodka», a-t-elle réalisé par ce geste politique une réparation symbolique de la famine (l’Asharshylyk  en langue kazakhe) infligée par Staline au peuple du Kazakhstan ?

A.B: Un crime de la dimension de l’Asharshylyk ne peut être réparé. De même, par exemple, que les crimes de l’ampleur de ceux perpétrés, par exemple, contre les Hereros et les Namas, puis contre les Arméniens au début du siècle dernier, contre les juifs et les Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale, contre les Cambodgiens et les Tutsis à la fin du siècle dernier ou, actuellement, sous les yeux du monde entier, contre les Palestiniens à Ghaza. Si l’on se représente notre espèce tout entière, l’Homo sapiens, comme un grand corps vivant, les génocides équivalent purement et simplement à trancher au moyen d’un équarrissoir dans la chair vive de notre humanité commune. Ces parties arrachées manqueront à jamais à l’aventure biologique, intellectuelle et spirituelle de notre espèce sur notre planète. On doit aux peuples victimes de ces abjections de l’histoire au moins la consolation de la reconnaissance de leur incommensurable douleur : à ce charcutage de notre chair commune, n’ajoutons pas le crachat insupportable de l’indifférence ou, pire, du négationnisme.

E.W: Walid n’a plus revu les terres russes depuis le début des années 1980. Les décennies passent, mais il ne cesse de ruminer quelque chose qu’il hésite à appeler «un échec», à savoir les quarante longues années d’amertume qui le séparent d’Irina, cette jeune soprano qui était promise à un avenir radieux au célèbre théâtre de la ville de Pierre le Grand, le Mariinsky. Plus le temps l’éloigne de son amoureuse, plus il récite avec justesse, et en langue russe, un célèbre texte d’Alexandre Pouchkine, la «fameuse lettre de Tatiana à l’aristocrate dédaigneux, Eugène Onéguine, dont elle venait de tomber éperdument amoureuse : "Je vous écris – que vous faut-il de plus ? / Que puis-je ajouter à cela ? / Maintenant, je le sais, il est en votre pouvoir / De me punir par votre mépris !" Serait-il juste de dire que la passion de Walid pour Irina est le reflet de votre profond intérêt pour la culture russe ?

A.B: Ne pas lire Guerre et Paix, Anna Karénine ou Le Maître et Marguerite, Pouchkine ou Akhmatova, pour ne donner que quelques exemples, c’est se priver de grands bonheurs de lecture ! Depuis plusieurs années, je m’efforce de lire régulièrement de la poésie, le matin, en prenant mon café.

La poésie étant l’Himalaya de la littérature, en lire constitue pour moi quelque chose que je tiens pour de la «musculation cérébrale», exercice qui m’aide à renouveler ma foi dans le pouvoir des mots et à commencer ainsi ma journée d’écriture. Je lis cette poésie d’ailleurs en trois langues : en français, en russe et, depuis peu, en arabe. Je regrette d’ailleurs profondément qu’on ne m’ait pas fait plus et mieux découvrir à l’école algérienne la poésie arabe contemporaine, si vivante, si talentueuse malgré le monde sclérosé qui tente souvent de la réprimer. Je me délecte actuellement de Nizar Kabbani, de Mahmoud Darwich, de Taha Mohamed Ali, de Ghassan Zaqtan… Je dois dire, à ma grande honte, que j’ai lu pour la première fois de ma vie un poème de Darwich non en arabe, mais dans la langue de Pouchkine, durant un séjour d’apprentissage du russe à Odessa alors que j’avais bien dépassé les vingt ans !

E.W: Lors d’un «entretien amical en situation d’ébriété», un officier russe apprend à Vladimir les rudiments du langage totalitaire – c’est-à-dire le fait de ne jamais faire correspondre les mots et les choses – tout en l’avertissant que sa langue ne doit jamais fourcher sur les atrocités commises au Kazakhstan par le pouvoir russe :  «Il n’y a jamais eu de famine au Kazakhstan, tonne-t-il, et encore moins de morts dus à une famine imaginaire dans cette République ! Prétendre le contraire, c’est travailler pour le compte des ennemis de notre pays ! (…) Tout, même le pire, finit nécessairement par être oublié, il suffit de ne pas en parler. En réalité, nous avons rendu service à ces arriérés de nomades, nous les avons un peu bousculés, c’est vrai, mais ils nous seront éternellement reconnaissants de les avoir sortis de leur Moyen-Âge et de leur lait de jument fermenté». A l’ombre des crimes perpétrés en Ukraine, au Soudan et dans d’innombrables régions du monde, trouvez-vous des similitudes entre les langages totalitaires d’hier et les discours du consentement à l’anéantissement des Palestiniens de Ghaza aujourd’hui ?

A.B: Un massacre réussi, c’est celui dont on ne parle plus, ou presque pas ! Qui est capable, en France par exemple, de dire pourquoi le 8 Mai est une journée de deuil en Algérie tandis que l’année 1947 est, de son côté, une année d’épouvante à Madagascar ? Le souvenir des génocides passe souvent, lui aussi, à la trappe : il a fallu plus de cent ans pour que l’Allemagne reconnaisse officiellement le génocide commis par elle à l’encontre des Héréros et des Namas de Namibie. Espérons qu’il ne faudra pas plus de temps avant qu’on admette, en particulier dans les moyens d’information américains et européens, que l’anéantissement actuel des Palestiniens de Ghaza au vu et au su du monde entier n’est ni plus ou moins que le premier génocide avéré de notre vingt et unième siècle ? Il est sidérant toutefois, et tellement avilissant pour notre dignité commune, de voir autant de moyens juridiques et financiers, d’esprits réputés intelligents, de spécialistes autoproclamés, de talents supposés artistiques mobilisés à longueur de journaux et de chaînes de télévision pour soutenir le contraire et justifier l’injustifiable. Le langage sert aussi sinon à tuer, du moins à contribuer à tuer, affirmait en substance Orwell. Il faut croire que ces «tueurs» de la langue s’en sont fait une spécialité à propos de Ghaza…

E.W: Concluons notre entretien par l’évocation d’un art mis en exergue dans votre fiction, la peinture. «Le Joueur de luth», l’unique tableau du peintre Michelangelo Merisi, surnommé le Caravage, que le musée de l’Ermitage expose, suscite la curiosité des visiteurs. Irina le fixe et s’arrête sur un détail, les traits d’un chiot apparaissant entre les fleurs et les poires. Cette distance qu’exprime la lenteur du regard serait-elle l’appel du large qui permet à toute œuvre d’imagination de saisir la laideur de notre temps de façon singulière, un peu à la manière de l’«Angelus Novus» du peintre Paul Klee et de l’ange de l’histoire tel qu’imaginé par le philosophe Walter Benjamin : une puissance qui «donne l’impression de s’apprêter à s’éloigner de quelque chose qu’il regarde fixement. Il a les yeux écarquillés, la bouche ouverte, les ailes déployées» (Sur le concept d’Histoire, Payot & Rivages, 2013) ?

A.B: L’art reste la démonstration que l’homme peut ne pas être seulement l’assassin de son frère. L’art permet de garder une certaine forme d’optimisme quant à la destinée de l’humanité. Dans mon précédent roman, L’amour au temps des scélérats, le chant de la grande Asmahan, repris par la jeune Houda permettait aux deux amants syriens du livre de ne pas sombrer trop rapidement dans le désespoir. Dans Irina, l’opéra joue ce rôle, de même que l’extraordinaire joyau qu’est l’Ermitage. Le joueur de luth du Caravage est, dans mon livre, le symbole, magique, de la place dérisoire et vitale de l’art.


(*) Journaliste littéraire

Note: cet article figure également sur le site de Mediapart (9 novembre 2025)

https://blogs.mediapart.fr/faris-lounis/blog/091125/irina-d-anouar-benmalek-le-roman-algerien-d-un-vertige-russe

jeudi 6 novembre 2025

"𝙄𝙧𝙞𝙣𝙖, 𝙪𝙣 𝙤𝙥𝙚́𝙧𝙖 𝙧𝙪𝙨𝙨𝙚" (𝙀𝙙 𝙀𝙢𝙖𝙣𝙪𝙚𝙡𝙡𝙚 𝘾𝙤𝙡𝙡𝙖𝙨) 𝐚̀ 𝐥𝐚 𝐥𝐢𝐛𝐫𝐚𝐢𝐫𝐢𝐞 "𝐥'𝐈̂𝐥𝐞 𝐚𝐮𝐱 𝐦𝐨𝐭𝐬" 𝐚̀ 𝐌𝐚𝐫𝐬𝐞𝐢𝐥𝐥𝐞, 𝐯𝐞𝐧𝐝𝐫𝐞𝐝𝐢 𝟏𝟒 𝐧𝐨𝐯𝐞𝐦𝐛𝐫𝐞 𝐚̀ 𝟏𝟖𝐡𝟑𝟎

ㅤ𝐿𝑒𝑠 𝑙𝑖𝑏𝑟𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑐𝑒𝑡𝑡𝑒 𝑙𝑖𝑏𝑟𝑎𝑖𝑟𝑖𝑒 𝑚𝑎𝑟𝑠𝑒𝑖𝑙𝑙𝑎𝑖𝑠𝑒, 𝑀. 𝑁𝑎𝑑𝑖𝑟 𝑌𝑎𝑐𝑖𝑛𝑒 𝑒𝑡 𝑀𝑚𝑒 𝑌𝑎𝑠𝑚𝑖𝑛𝑎 𝑇𝑜𝑢𝑎𝑖𝑏𝑖𝑎, 𝑜𝑛𝑡 𝑒𝑢 𝑙'𝑒𝑥𝑡𝑟𝑒̂𝑚𝑒 𝑎𝑚𝑎𝑏𝑖𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒 𝑚'𝑖𝑛𝑣𝑖𝑡𝑒𝑟 𝑎̀ 𝑝𝑟𝑒́𝑠𝑒𝑛𝑡𝑒𝑟 𝑚𝑜𝑛 𝑟𝑜𝑚𝑎𝑛 𝑎̀ 𝑙𝑒𝑢𝑟 𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑐. J𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑒𝑛 𝑟𝑒𝑚𝑒𝑟𝑐𝑖𝑒 𝑣𝑖𝑣𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡.
ㅤ𝐴𝑛𝑜𝑢𝑎𝑟 𝐵𝑒𝑛𝑚𝑎𝑙𝑒𝑘
ㅤ𝙸𝚗𝚏𝚘𝚛𝚖𝚊𝚝𝚒𝚘𝚗𝚜 𝚙𝚛𝚊𝚝𝚒𝚚𝚞𝚎𝚜:
𝙻𝚊 𝚕𝚒𝚋𝚛𝚊𝚒𝚛𝚒𝚎 𝚕'𝙸̂𝚕𝚎 𝚊𝚞𝚡 𝚖𝚘𝚝𝚜 𝚎𝚜𝚝 𝚜𝚒𝚝𝚞𝚎́𝚎 𝚍𝚊𝚗𝚜 𝚕𝚎 𝚚𝚞𝚊𝚛𝚝𝚒𝚎𝚛 𝚍𝚎 𝚕𝚊 𝙹𝚘𝚕𝚒𝚎𝚝𝚝𝚎/ 𝙰𝚛𝚎𝚗𝚌. 𝙻’𝙸𝚕𝚎 𝚊𝚞𝚡 𝙼𝚘𝚝𝚜 𝚎𝚜𝚝 𝚞𝚗 𝚜𝚊𝚗𝚌𝚝𝚞𝚊𝚒𝚛𝚎 𝚙𝚘𝚞𝚛 𝚕𝚎𝚜 𝚎𝚗𝚏𝚊𝚗𝚝𝚜 𝚎𝚝 𝚕𝚎𝚜 𝚊𝚍𝚞𝚕𝚝𝚎𝚜 𝚊𝚖𝚘𝚞𝚛𝚎𝚞𝚡 𝚍𝚞 𝚕𝚒𝚟𝚛𝚎 𝚎𝚝 𝚊𝚟𝚒𝚍𝚎𝚜 𝚍𝚎 𝚌𝚞𝚕𝚝𝚞𝚛𝚎. 𝙲'𝚎𝚜𝚝 𝚞𝚗 𝚊𝚞𝚝𝚑𝚎𝚗𝚝𝚒𝚚𝚞𝚎 𝚕𝚒𝚎𝚞 𝚍'𝚎́𝚌𝚑𝚊𝚗𝚐𝚎𝚜 𝚎𝚝 𝚍𝚎 𝚍𝚎́𝚋𝚊𝚝.
𝟽 𝚛𝚞𝚎 𝚄𝚛𝚋𝚊𝚒𝚗 𝚅, 𝙼𝚊𝚛𝚜𝚎𝚒𝚕𝚕𝚎-𝟸, 𝙵𝚛𝚊𝚗𝚌𝚎
+𝟹𝟹 𝟺 𝟸𝟸 𝟿𝟷 0𝟼 𝟷𝟸
𝚒𝚕𝚎_𝚊𝚞𝚡_𝚖𝚘𝚝𝚜@𝚙𝚛𝚘𝚝𝚘𝚗𝚖𝚊𝚒𝚕.𝚌𝚘𝚖
𝚙𝚊𝚜𝚜𝚌𝚞𝚕𝚝𝚞𝚛𝚎.𝚊𝚙𝚙/𝚕𝚒𝚎𝚞/𝟷0𝟹𝟾𝟿𝟿
Librairie L'île aux mots | pass Culture

lundi 3 novembre 2025

𝚂𝚘𝚗 𝚌𝚘𝚎𝚞𝚛 𝚊𝚟𝚊𝚒𝚝 𝚝𝚛𝚎𝚜𝚜𝚊𝚒𝚕𝚕𝚒... Extrait: 𝗜𝗿𝗶𝗻𝗮, 𝘂𝗻 𝗼𝗽𝗲́𝗿𝗮 𝗿𝘂𝘀𝘀𝗲, 𝗔𝗻𝗼𝘂𝗮𝗿 𝗕𝗲𝗻𝗺𝗮𝗹𝗲𝗸, 𝗘𝗱. 𝗘𝗺𝗺𝗮𝗻𝘂𝗲𝗹𝗹𝗲 𝗖𝗼𝗹𝗹𝗮𝘀)ㅤ

 

ㅤㅤ𝚂𝚘𝚗 𝚌𝚘𝚎𝚞𝚛 𝚊𝚟𝚊𝚒𝚝 𝚝𝚛𝚎𝚜𝚜𝚊𝚒𝚕𝚕𝚒 𝚍𝚎𝚟𝚊𝚗𝚝 𝚕𝚊 𝚜𝚒𝚕𝚑𝚘𝚞𝚎𝚝𝚝𝚎 𝚏𝚛𝚎̂𝚕𝚎 𝚍𝚎 𝚌𝚎𝚕𝚕𝚎 𝚍𝚘𝚗𝚝 𝚒𝚕 𝚜’𝚎́𝚝𝚊𝚒𝚝 𝚎́𝚙𝚛𝚒𝚜 𝚊𝚟𝚎𝚌 𝚕𝚊 𝚟𝚒𝚘𝚕𝚎𝚗𝚌𝚎 𝚍’𝚞𝚗 𝚋𝚘𝚞𝚕𝚎𝚝 𝚝𝚘𝚖𝚋𝚊𝚗𝚝 𝚜𝚞𝚛 𝚜𝚘𝚗 𝚊̂𝚖𝚎. 𝙴𝚏𝚏𝚛𝚊𝚢𝚎́, 𝚒𝚕 𝚕’𝚊𝚟𝚊𝚒𝚝 𝚛𝚎𝚓𝚘𝚒𝚗𝚝𝚎, 𝚎𝚗𝚟𝚎𝚕𝚘𝚙𝚙𝚊𝚗𝚝 𝚕𝚎𝚞𝚛𝚜 𝚍𝚎𝚞𝚡 𝚌𝚘𝚛𝚙𝚜 𝚗𝚞𝚜 𝚊𝚟𝚎𝚌 𝚕𝚊 𝚌𝚘𝚞𝚟𝚎𝚛𝚝𝚞𝚛𝚎. 𝙳𝚎𝚑𝚘𝚛𝚜, 𝚕𝚊 𝚕𝚞𝚖𝚒𝚎̀𝚛𝚎 𝚍𝚞 𝚖𝚊𝚝𝚒𝚗 𝚎́𝚝𝚊𝚒𝚝 𝚐𝚛𝚒𝚜𝚎, 𝚒𝚕 𝚗𝚎𝚒𝚐𝚎𝚊𝚒𝚝 𝚊̀ 𝚐𝚛𝚘𝚜 𝚏𝚕𝚘𝚌𝚘𝚗𝚜 𝚎𝚝 𝚕𝚎 𝚋𝚛𝚞𝚒𝚝 𝚍𝚎𝚜 𝚛𝚘𝚞𝚎𝚜 𝚍’𝚊𝚌𝚒𝚎𝚛 𝚍𝚞 𝚝𝚛𝚊𝚖𝚠𝚊𝚢 𝚙𝚊𝚛𝚟𝚎𝚗𝚊𝚒𝚝 𝚊𝚜𝚜𝚘𝚞𝚛𝚍𝚒 𝚊̀ 𝚕𝚎𝚞𝚛 𝚏𝚎𝚗𝚎̂𝚝𝚛𝚎 𝚍𝚞 𝚚𝚞𝚊𝚝𝚛𝚒𝚎̀𝚖𝚎 𝚎́𝚝𝚊𝚐𝚎.
— 𝚃𝚞 𝚟𝚊𝚜 𝚙𝚛𝚎𝚗𝚍𝚛𝚎 𝚏𝚛𝚘𝚒𝚍, 𝚕𝚞𝚒 𝚊𝚟𝚊𝚒𝚝-𝚒𝚕 𝚍𝚒𝚝 𝚎𝚗 𝚕𝚊 𝚜𝚎𝚛𝚛𝚊𝚗𝚝 𝚌𝚘𝚗𝚝𝚛𝚎 𝚕𝚞𝚒.
ㅤ𝙻𝚊 𝚟𝚘𝚒𝚡 𝚋𝚛𝚞𝚜𝚚𝚞𝚎𝚖𝚎𝚗𝚝 𝚎𝚗𝚛𝚘𝚞𝚎́𝚎, 𝚒𝚕 𝚌𝚑𝚞𝚌𝚑𝚘𝚝𝚊 :
— 𝙹𝚎 𝚝’𝚊𝚒𝚖𝚎, 𝙸𝚛𝚒𝚗𝚊, 𝚓𝚎 𝚖𝚘𝚞𝚛𝚛𝚊𝚒𝚜 𝚙𝚘𝚞𝚛 𝚝𝚘𝚒 𝚜’𝚒𝚕 𝚕𝚎 𝚏𝚊𝚕𝚕𝚊𝚒𝚝.
— 𝙹𝚎 𝚝’𝚊𝚒𝚖𝚎 𝚖𝚘𝚒 𝚊𝚞𝚜𝚜𝚒. 𝙼𝚊𝚒𝚜 𝚗𝚎 𝚙𝚛𝚘𝚏𝚎̀𝚛𝚎 𝚙𝚊𝚜 𝚍𝚎 𝚙𝚛𝚘𝚖𝚎𝚜𝚜𝚎 𝚍𝚎 𝚌𝚎 𝚐𝚎𝚗𝚛𝚎, 𝚝𝚞 𝚗’𝚎𝚜 𝚙𝚊𝚜 𝚜𝚞𝚏𝚏𝚒𝚜𝚊𝚖𝚖𝚎𝚗𝚝 𝚛𝚞𝚜𝚜𝚎 𝚙𝚘𝚞𝚛 𝚌̧𝚊, 𝚊𝚟𝚊𝚒𝚝-𝚎𝚕𝚕𝚎 𝚛𝚎́𝚙𝚕𝚒𝚚𝚞𝚎́ 𝚊𝚟𝚎𝚌 𝚞𝚗 𝚍𝚎́𝚋𝚞𝚝 𝚍’𝚒𝚛𝚛𝚒𝚝𝚊𝚝𝚒𝚘𝚗.








Sais-tu à quelle condition... Extrait: 𝗜𝗿𝗶𝗻𝗮, 𝘂𝗻 𝗼𝗽𝗲́𝗿𝗮 𝗿𝘂𝘀𝘀𝗲, 𝗔𝗻𝗼𝘂𝗮𝗿 𝗕𝗲𝗻𝗺𝗮𝗹𝗲𝗸, 𝗘𝗱. 𝗘𝗺𝗺𝗮𝗻𝘂𝗲𝗹𝗹𝗲 𝗖𝗼𝗹𝗹𝗮𝘀)ㅤ

 

𝘓𝘦𝘯𝘪𝘯𝘨𝘳𝘢𝘥, 1981
— 𝚂𝚊𝚒𝚜-𝚝𝚞 𝚊̀ 𝚚𝚞𝚎𝚕𝚕𝚎 𝚌𝚘𝚗𝚍𝚒𝚝𝚒𝚘𝚗 𝚓’𝚊𝚌𝚌𝚎𝚙𝚝𝚎𝚛𝚊𝚒𝚜 𝚍’𝚎𝚗𝚍𝚞𝚛𝚎𝚛 𝚕’𝚎́𝚝𝚎𝚛𝚗𝚒𝚝𝚎́ 𝚍𝚞 𝚙𝚊𝚛𝚊𝚍𝚒𝚜 ? 𝚂𝚎𝚞𝚕𝚎𝚖𝚎𝚗𝚝 𝚜𝚒, 𝚙𝚊𝚛 𝚎𝚡𝚝𝚛𝚊𝚘𝚛𝚍𝚒𝚗𝚊𝚒𝚛𝚎, 𝙳𝚒𝚎𝚞 𝚊𝚟𝚊𝚒𝚝 𝚕𝚊 𝚜𝚘𝚖𝚙𝚝𝚞𝚎𝚞𝚜𝚎 𝚒𝚍𝚎́𝚎 𝚍’𝚢 𝚌𝚘𝚗𝚜𝚝𝚛𝚞𝚒𝚛𝚎, 𝚗𝚘𝚗 𝚕𝚘𝚒𝚗 𝚍𝚎 𝚕𝚊 𝚐𝚛𝚊𝚗𝚍𝚎 𝚋𝚒𝚋𝚕𝚒𝚘𝚝𝚑𝚎̀𝚚𝚞𝚎 𝚍𝚎 𝚕’𝚊𝚛𝚋𝚛𝚎 𝚍𝚎 𝚕𝚊 𝚌𝚘𝚗𝚗𝚊𝚒𝚜𝚜𝚊𝚗𝚌𝚎, 𝚞𝚗 𝚘𝚙𝚎́𝚛𝚊 𝚝𝚘𝚞𝚝 𝚙𝚕𝚎𝚒𝚗 𝚍𝚎 𝚍𝚘𝚛𝚞𝚛𝚎𝚜 𝚊𝚟𝚎𝚌, 𝚊𝚞 𝚙𝚛𝚘𝚐𝚛𝚊𝚖𝚖𝚎, 𝚕𝚎𝚜 𝚊𝚛𝚝𝚒𝚜𝚝𝚎𝚜 𝚕𝚢𝚛𝚒𝚚𝚞𝚎𝚜 𝚕𝚎𝚜 𝚙𝚕𝚞𝚜 𝚍𝚘𝚞𝚎́𝚜 𝚍𝚎𝚙𝚞𝚒𝚜 𝙴̀𝚟𝚎, 𝚕𝚊 𝚙𝚛𝚎𝚖𝚒𝚎̀𝚛𝚎 𝚙𝚛𝚒𝚖𝚊 𝚍𝚘𝚗𝚗𝚊.
𝙸𝚛𝚒𝚗𝚊 𝚊𝚓𝚘𝚞𝚝𝚊 𝚊̀ 𝚟𝚘𝚒𝚡 𝚙𝚕𝚞𝚜 𝚋𝚊𝚜𝚜𝚎, 𝚊𝚟𝚎𝚌 𝚞𝚗 𝚜𝚘𝚞𝚛𝚒𝚛𝚎 𝚍𝚎 𝚌𝚘𝚗𝚟𝚘𝚒𝚝𝚒𝚜𝚎
— 𝙴𝚝, 𝚖𝚒𝚎𝚞𝚡 𝚎𝚗𝚌𝚘𝚛𝚎, 𝚜𝚒 𝚕𝚎 𝙼𝚊𝚒̂𝚝𝚛𝚎 𝚍𝚎𝚜 𝚕𝚒𝚎𝚞𝚡 𝚙𝚘𝚞𝚜𝚜𝚊𝚒𝚝 𝚕’𝚒𝚗𝚍𝚞𝚕𝚐𝚎𝚗𝚌𝚎 𝚓𝚞𝚜𝚚𝚞’𝚊̀ 𝚙𝚘𝚛𝚝𝚎𝚛 𝚖𝚘𝚗 𝚗𝚘𝚖 𝚜𝚞𝚛 𝚕’𝚊𝚏𝚏𝚒𝚌𝚑𝚎 𝚎𝚝 𝚊̀ 𝚖’𝚊𝚞𝚝𝚘𝚛𝚒𝚜𝚎𝚛 𝚊̀ 𝚛𝚎́𝚙𝚎́𝚝𝚎𝚛 𝚊𝚞𝚝𝚊𝚗𝚝 𝚍𝚎 𝚏𝚘𝚒𝚜 𝚚𝚞𝚎 𝚓𝚎 𝚜𝚘𝚞𝚑𝚊𝚒𝚝𝚎 𝚊𝚏𝚒𝚗 𝚍’𝚊𝚌𝚌𝚎́𝚍𝚎𝚛 𝚊̀ 𝚕𝚊 𝚜𝚙𝚕𝚎𝚗𝚍𝚎𝚞𝚛 𝚍𝚎 𝚕𝚊 𝚟𝚘𝚒𝚡 𝚊𝚋𝚜𝚘𝚕𝚞𝚎… 𝙳𝚊𝚗𝚜 𝚕𝚎 𝚓𝚊𝚛𝚍𝚒𝚗 𝚍’𝙴́𝚍𝚎𝚗, 𝚝𝚞 𝚗’𝚊𝚜 𝚙𝚊𝚜 𝚍𝚎 𝚛𝚎́𝚞𝚗𝚒𝚘𝚗𝚜 𝚘𝚋𝚕𝚒𝚐𝚊𝚝𝚘𝚒𝚛𝚎𝚜 𝚍𝚎𝚜 𝚔𝚘𝚖𝚜𝚘𝚖𝚘𝚕𝚜, 𝚙𝚊𝚜 𝚍𝚎 𝚚𝚞𝚎𝚞𝚎𝚜 𝚍𝚎𝚟𝚊𝚗𝚝 𝚕𝚎𝚜 𝚖𝚊𝚐𝚊𝚜𝚒𝚗𝚜, 𝚙𝚊𝚜 𝚍𝚎 𝚍𝚒𝚜𝚙𝚞𝚝𝚎𝚜 𝚍𝚊𝚗𝚜 𝚕𝚊 𝚌𝚞𝚒𝚜𝚒𝚗𝚎 𝚌𝚘𝚖𝚖𝚞𝚗𝚎...



𝙴𝚕𝚕𝚎 𝚎́𝚝𝚊𝚒𝚝 𝚜𝚞𝚛 𝚜𝚌𝚎̀𝚗𝚎... Extrait: 𝗜𝗿𝗶𝗻𝗮, 𝘂𝗻 𝗼𝗽𝗲́𝗿𝗮 𝗿𝘂𝘀𝘀𝗲, 𝗔𝗻𝗼𝘂𝗮𝗿 𝗕𝗲𝗻𝗺𝗮𝗹𝗲𝗸, 𝗘𝗱. 𝗘𝗺𝗺𝗮𝗻𝘂𝗲𝗹𝗹𝗲 𝗖𝗼𝗹𝗹𝗮𝘀)ㅤ

 

ㅤㅤ
ㅤㅤㅤㅤㅤㅤㅤ

𝙾𝚄𝚅𝙴𝚁𝚃𝚄𝚁𝙴

𝙴𝚕𝚕𝚎 𝚎́𝚝𝚊𝚒𝚝 𝚜𝚞𝚛 𝚜𝚌𝚎̀𝚗𝚎 𝚎𝚝 𝚕𝚞𝚒, 𝚙𝚎𝚛𝚍𝚞 𝚙𝚊𝚛𝚖𝚒 𝚕𝚎 𝚙𝚞𝚋𝚕𝚒𝚌, 𝚊̀ 𝚞𝚗𝚎 𝚖𝚊𝚞𝚟𝚊𝚒𝚜𝚎 𝚙𝚕𝚊𝚌𝚎. 𝙲𝚎 𝚚𝚞’𝚎𝚕𝚕𝚎 𝚌𝚑𝚊𝚗𝚝𝚊 𝚌𝚎 𝚜𝚘𝚒𝚛-𝚕𝚊̀, 𝚕’𝚊𝚟𝚎𝚞 𝚍𝚎 𝙼𝚒𝚖𝚒 𝚊𝚟𝚊𝚗𝚝 𝚜𝚊 𝚖𝚘𝚛𝚝 – 𝙷𝚘 𝚝𝚊𝚗𝚝𝚎 𝚌𝚘𝚜𝚎 𝚌𝚑𝚎 𝚝𝚒 𝚟𝚘𝚐𝚕𝚒𝚘 𝚍𝚒𝚛𝚎… –, 𝚒𝚕 𝚕𝚎 𝚙𝚛𝚒𝚝 𝚙𝚘𝚞𝚛 𝚕𝚞𝚒, 𝚎𝚝 𝚌𝚎𝚕𝚊 𝚕𝚞𝚒 𝚕𝚊𝚒𝚜𝚜𝚊 𝚞𝚗𝚎 𝚖𝚊𝚛𝚚𝚞𝚎 𝚊𝚞 𝚌𝚘𝚎𝚞𝚛 𝚙𝚘𝚞𝚛 𝚕𝚎 𝚛𝚎𝚜𝚝𝚊𝚗𝚝 𝚍𝚎 𝚜𝚘𝚗 𝚎𝚡𝚒𝚜𝚝𝚎𝚗𝚌𝚎 :
ㅤㅤ𝐽’𝑎𝑖 𝑡𝑎𝑛𝑡 𝑑𝑒 𝑐ℎ𝑜𝑠𝑒𝑠 𝑎̀ 𝑡𝑒 𝑑𝑖𝑟𝑒,
ㅤㅤ𝑂𝑢 𝑝𝑙𝑢𝑡𝑜̂𝑡, 𝑢𝑛𝑒 𝑠𝑒𝑢𝑙𝑒, 𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑣𝑎𝑠𝑡𝑒 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒 𝑙𝑎 𝑚𝑒𝑟 ;
ㅤㅤ𝐶𝑜𝑚𝑚𝑒 𝑙𝑎 𝑚𝑒𝑟, 𝑝𝑟𝑜𝑓𝑜𝑛𝑑𝑒 𝑒𝑡 𝑖𝑛𝑓𝑖𝑛𝑖𝑒…








mercredi 22 octobre 2025

"Irina, un opéra russe" d'Anouar Benmalek: "Eminemment dense en émotions littéraires", En attendant Nadeau, Oct 2025






230

Journal de la littérature, des idées et des arts 22/10 

En attendant Nadeau




                        Un vertige russe
par Faris Lounis
21 octobre 2025



Anouar Benmalek | Irina, un opéra russe. Emmanuelle Collas, 484 p., 22,90 €


C’est le récit d’un renoncement. Le renoncement au chant lyrique, aux aspirations de la jeunesse, à l’engagement d’une vie. Ce jour-là, Irina Rostova, une soprano promise à un avenir radieux au théâtre Mariinsky, se heurte au présent d’un scandale encore toujours occulté dans son pays : la famine exterminatrice infligée par Staline au peuple kazakh durant les années 1930 : « l’Asharshylyk ».


Membre d’une délégation officielle, la jeune Russe donne un spectacle à Alma-Ata, la capitale du Kazakhstan, dans les années 1990. Soudain, une femme surgit du public et lui balance « à plusieurs reprises un seau d’eau coloré en rouge en mémoire de [son] ancêtre assassiné ». Elle porte le deuil de cet homme froidement assassiné, et « le prénom de son arrière-grand-mère, celle dont la voix était si belle qu’on l’avait surnommée le rossignol – Bibigul ».

Tout a vacillé dans la vie d’Irina durant cette soirée. L’homme qui incarne à ses yeux la droiture et la vertu, son grand-père, Vladimir Alexievitch, un ancien agent du NKVD (un « agronome », selon le Parti !), est en réalité l’ « exécuteur docile de la famine voulue par Staline », et le cynique meurtrier de l’arrière-grand-père de Bibigul Sartbaïeva. Après son agression au théâtre kazakh, l’histoire « avait tourné au vinaigre pour elle, car on l’avait rapidement soupçonnée de complicité avec les terroristes ». Elle sera définitivement exclue du Mariinsky. Et c’est durant cette année qu’elle décide de quitter Saint-Pétersbourg pour Ekaterinbourg, « certainement pour se faire oublier », avant de déménager à Oulan-Oudé, un bled perdu de Bouriatie, pas très loin de la frontière chinoise.

Cet exil de l’espace de l’opéra lyrique, Irina tente de le colmater en enseignant la musique et le chant dans des écoles pour gagner sa vie. Mais la souffrance demeure, terrible. Une plaie que même la répétition des « principaux opéras du répertoire du Mariinsky, dont le Lady Macbeth de Mzensk » ne soignera jamais. C’est une fatalité qui a fini par habiter l’esprit de la cantatrice pétersbourgeoise. Et de son parcours, elle ne cessera de dire : « Bibigul m’a maudite dans la lettre qu’elle a laissée avant de se tuer. Alors, j’ai décidé de punir mon grand-père en me punissant. Vladimir avait voulu que je sois cantatrice, j’ai résolu que je ne le serais plus ».

Radicale ou non, Irina semble être convaincue d’avoir agi avec justesse face à son échec au Kazakhstan, le surgissement des décombres de l’histoire à travers les cris enragés de Bibigul, celle qui répétait d’une voix éclaircie : « le héros, c’était mon arrière-grand-père, Apaq fils de Sabir, et le fanatique, votre salopard de grand-père ».

Loin des terres asiatiques de la Russie, Walid, universitaire et écrivain algérien installé en France, rumine une autre défaite : Irina « a été le plus grand échec amoureux de sa vie ». Quarante ans de séparation, une longue attente vertigineuse, un goût de bile dans la bouche se mêle aux rêves du visage aimé. Le cœur rongé par la colère, les chimères sont ses berceuses, une certaine manière de persévérer dans la quête d’espoir. Parfois, cet ancien étudiant algérien en URSS qui préparait une thèse sur Napoléon en Égypte, se persuade de l’idée contraire, Rostova n’était pas l’échec de son existence tourmentée. « Une des petites voix qui font parfois régner le chaos dans sa tête proteste : Elle est aussi ta plus grande réussite, vieil oublieux, si tu mesures en unités d’émerveillement les deux années que tu as passées avec ton Irina ! »Théâtre Mariinsky (2022) © CC BY-SA 4.0/Voltmetro/WikiCommons

Walid n’a plus revu Saint-Pétersbourg depuis sa quasi-expulsion en 1980. Au foyer des étudiants de son institut, un fonctionnaire du service des étrangers lui enjoint de déguerpir au plus vite du territoire de l’Union. Son autorisation officielle de séjour a expiré depuis au moins deux mois. « Nous n’aimons pas les étrangers qui ne respectent pas nos lois, lance-t-il d’un ton menaçant. Et nous avons appris d’expérience que, d’étranger irrespectueux à espion malfaisant, la distance n’est pas très grande. Un conseil, ne sous-estimez jamais nos capacités de vigilance : si l’Algérie, le pays dont vous êtes citoyen, est un pays ami de l’URSS, cela n’implique pas que vous, vous le soyez ! » Il aura passé deux ans avec cette femme pour laquelle il se disait « prêt à mourir ». Les images, les sons, les parfums et la poésie de ce moment hors du temps continuent de remuer sa mémoire. La scène de leur rencontre devant le musée de l’Ermitage, à Leningrad, est ineffaçable.

Dans la France du mois de février 2002, il est enfin capable de réciter par cœur et en russe un texte de Pouchkine que tous les Russes apprennent à l’école et que les plus illustres sopranos du monde se disputent l’honneur de chanter dans l’opéra, la « fameuse lettre de Tatiana à l’aristocrate dédaigneux, Eugène Onéguine, dont elle venait de tomber éperdument amoureuse : Je vous écris – que vous faut-il de plus ? / Que puis-je ajouter à cela ? / Maintenant, je le sais, il est en votre pouvoir / De me punir par votre mépris ! ». Avec un certain détachement, il feuillette les épreuves de son dernier roman de cinq cents pages, une exploration fictionnelle de l’Algérie durant la guerre fratricide des années 1990. Que va-t-il faire ? Va-t-il reprendre la route vers Saint-Pétersbourg ?

Se souvenant du policier qui, durant les émeutes de 1988, alors qu’il était enseignant à l’université d’Alger, lui donna une gifle tout en lui disant sarcastiquement que « l’espérance est la mère des imbéciles », Walid espère retrouver Irina dans son exil sibérien, l’embrasser et la revoir chanter, replonger à nouveau dans la fièvre envoûtante de son lyrisme débordant. Homme sans Dieu, renégat vis-à-vis de la supposée bonté du monde, il décide de retourner au territoire de l’amertume en emportant dans ses bagage un haïku russe ou persan qu’Irina avait découvert « du temps glorieux de leur amour » : « La vie toute simple, la vie toute vaine – puisqu’on vieillit, puisqu’on meurt ».

Agréablement riche en références historiques et éminemment dense en émotions littéraires, Irina, un opéra russe est l’un des rares romans qui donnent à voir la Russie soviétique par le biais du regard d’un ancien boursier algérien. Loin de se limiter à l’amour empêché entre Walid et Irina, Anouar Benmalek, enseignant-chercheur dans une université parisienne, membre fondateur, après les révoltes d’octobre 1988, du Comité algérien contre la torture, fin connaisseur de la langue et du monde russe (il a passé cinq ans dans l’ancienne URSS entre Kiev, Odessa, Moscou et Leningrad à préparer une thèse de doctorat en mathématiques), complexifie, comme dans ses précédentes publications dont on peut citer L’enfant du peuple ancien (Pauvert/Casbah, 2000) ou L’amour au temps des scélérats (Emmanuelle Collas/Casbah, 2021), son exploration romanesque des géographies et des formes de la violence. Dans cette nouvelle œuvre, deux questions fondamentales interpellent notre époque fortement marquée par les sidérations des entreprises annihilatrices et génocidaires : jusqu’à quel point mener le consentement à l’euphémisation et à la négation des crimes de masse ? Et quelles réceptions possibles pour une œuvre artistique quand se rencontrent, dans un contexte asymétrique, les descendants des victimes et des bourreaux ?



Deux forts passages du roman peuvent nous orienter pour mieux penser, nommer et représenter les barbaries qui se multiplient en Palestine, en Syrie, au Soudan, en Ukraine et dans bien d’autres régions du monde soustraites au droit international, à tout repère d’humanité commune.

Le premier est l’affirmation tonitruante de l’officier russe expliquant, lors d’un « entretien ‘‘amical’’ en situation d’ébriété », à Vladimir les rudiments du langage totalitaire – c’est-à-dire ne jamais faire correspondre les mots et les choses – tout en l’avertissant que sa langue ne doit jamais fourcher sur les atrocités qu’il a commises au Kazakhstan : « il n’y a jamais eu de famine au Kazakhstan, et encore moins de morts dus à une famine imaginaire dans cette République ! Prétendre le contraire, c’est travailler pour le compte des ennemis de notre pays ! […]. Tout, même le pire, finit nécessairement par être oublié, il suffit de ne pas en parler ». Les mutilations du réel ne doivent pas être dicibles.

Le second est un dialogue poignant qui illustre puissamment la quasi-impossibilité du pardon et du dépassement des taches noires de l’histoire tant que l’État meurtrier n’aura pas reconnu officiellement l’élimination intentionnelle de plus d’un million d’innocents : « – Je sais bien que vous n’êtes pour rien, Irina Rostova, dans le malheur qui a frappé mon peuple, mais je ne peux m’empêcher de vous en vouloir. Votre grand-père a tué les miens, mais il s’est apparemment bien occupé de vous puisque vous êtes devenue ce que vous êtes. Je suis sûr qu’il vous aimait, qu’il avait le cœur bon pour vous. Alors, il faut bien qu’il y ait quelque part une victime expiatoire pour racheter notre chagrin ». L’échange est empreint d’une grande gravité, et, sans se serrer la main, les deux personnages se quittent en silence, les yeux humides.



https://www.en-attendant-nadeau.fr/2025/10/21/irina-un-vertige-russe/