jeudi 18 septembre 2025

"𝑨𝒏𝒐𝒖𝒂𝒓 𝑩𝒆𝒏𝒎𝒂𝒍𝒆𝒌, 𝒖𝒏 𝒎𝒆𝒓𝒗𝒆𝒊𝒍𝒍𝒆𝒖𝒙 𝒓𝒐𝒎𝒂𝒏𝒄𝒊𝒆𝒓 𝒒𝒖'𝒐𝒏 𝒏𝒆 𝒔𝒆 𝒍𝒂𝒔𝒔𝒆 𝒑𝒂𝒔 𝒅𝒆 𝒍𝒊𝒓𝒆, 𝒆𝒏𝒄𝒐𝒓𝒆 𝒆𝒕 𝒕𝒐𝒖𝒋𝒐𝒖𝒓𝒔." (Kɪᴍᴀ Mᴏʀɪ, Aʀᴛs ᴇᴛ Lᴇᴛᴛʀᴇs ᴅᴜ ᴍᴏɴᴅᴇ, sᴇᴘᴛ. 2025)

                             Irina, un opéra russe d’Anouar Benmalek

                                                 
« 𝘌𝘭𝘭𝘦 𝘤𝘩𝘢𝘯𝘵𝘢𝘪𝘵 𝘣𝘪𝘦𝘯, 𝘮𝘢 𝘋𝘢𝘮𝘪𝘭𝘺𝘢. 𝘔𝘢𝘪𝘴 𝘴𝘦𝘶𝘭𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵 𝘲𝘶𝘢𝘯𝘥 𝘭'𝘦𝘯𝘷𝘪𝘦 𝘭𝘶𝘪 𝘦𝘯 𝘱𝘳𝘦𝘯𝘢𝘪𝘵. 𝘜𝘯 𝘴𝘰𝘪𝘳 𝘢𝘶𝘵𝘰𝘶𝘳 𝘥𝘶 𝘧𝘦𝘶 𝘱𝘢𝘳 𝘦𝘹𝘦𝘮𝘱𝘭𝘦, 𝘢𝘭𝘰𝘳𝘴 𝘲𝘶𝘦 𝘭𝘢 𝘯𝘦𝘪𝘨𝘦 𝘵𝘰𝘮𝘣𝘢𝘪𝘵 𝘥𝘳𝘶 𝘴𝘶𝘳 𝘭𝘢 𝘺𝘰𝘶𝘳𝘵𝘦 𝘦𝘵 𝘲𝘶𝘦, 𝘯𝘰𝘯 𝘭𝘰𝘪𝘯 𝘥𝘶 𝘤𝘢𝘮𝘱𝘦𝘮𝘦𝘯𝘵, 𝘶𝘯 𝘭𝘰𝘶𝘱 𝘩𝘶𝘳𝘭𝘢𝘪𝘵 𝘴𝘢 𝘴𝘰𝘭𝘪𝘵𝘶𝘥𝘦 𝘢𝘧𝘧𝘢𝘮𝘦́𝘦... 𝘑𝘦 𝘭'𝘢𝘱𝘱𝘦𝘭𝘢𝘪𝘴 𝘉𝘪𝘣𝘪𝘨𝘶𝘭, 𝘮𝘢 𝘧𝘦𝘮𝘮𝘦, « 𝘳𝘰𝘴𝘴𝘪𝘨𝘯𝘰𝘭 ». 𝘌𝘭𝘭𝘦 𝘦́𝘵𝘢𝘪𝘵 𝘱𝘦𝘳𝘴𝘶𝘢𝘥𝘦́𝘦 𝘲𝘶𝘦 𝘫𝘦 𝘮𝘦 𝘮𝘰𝘲𝘶𝘢𝘪𝘴 𝘥'𝘦𝘭𝘭𝘦, 𝘮𝘢𝘪𝘴, 𝘮𝘰𝘪, 𝘫𝘦 𝘭𝘦 𝘱𝘦𝘯𝘴𝘢𝘪𝘴 𝘷𝘳𝘢𝘪𝘮𝘦𝘯𝘵. »

Anouar Benmalek est un merveilleux romancier franco-algérien qui nous avait ébahi avec son précédent - et dix-septième - roman L'Amour au temps des scélérats, Grand Prix SGDL de fiction. Il est enseignant - chercheur dans une université parisienne.
Russophone, ayant résidé cinq ans dans l'ancienne URSS où il préparait un doctorat en mathématiques, il nous revient en cette rentrée littéraire 2025 avec Irina, un opéra russe. Ce nouveau livre, toujours aussi délectable, nous plonge dans un siècle de l'histoire de la Russie, depuis les années trente jusqu'à aujourd'hui et d'une grande histoire d'amour.
Walid est un étudiant algérien qui travaille à sa thèse en 1978 à Leningrad dans le cadre d'un programme d'échange instauré entre l'Algérie et l'URSS. Il va rencontrer Irina, jeune femme sulfureuse et soprano aux rêves de grandeur, par le plus fortuit des hasards. Il tombe éperdument amoureux d'elle mais dès la première page du roman nous savons qu'il va devoir repartir dans son pays et qu'Irina fera le choix de rester chez elle pour se consacrer à sa raison de vivre : le chant, le désir de devenir une soprano à la grande renommée. Dès le début nous savons aussi qu'en 2022 Walid, alors sexagénaire, veut partir en Russie sur les traces de son amour de jeunesse, Irina. Au fil du roman nous découvrirons ce que l'un et l'autre ont vécu ces quarante années durant et espérerons tout du longs qu'ils finiront par se retrouver.
Mais le roman se tisse aussi, et peut-être surtout, de l'histoire d'un troisième personnage : Vladimir, le grand-père d'Irina. La structure narrative se compose dès lors de trois temps différents qui se relaient tout du long : dans les années 30, en 1978 et en 2022. Pour comprendre le destin de la petite-fille, Irina, il est nécessaire de connaître la vérité sur l'homme qu'a été Vladimir, ce qu'il a vécu et ce qu'il a fait autrefois à l'insu de tous en agissant pour le compte des services secrets staliniens au Kazakhstan.
Irina, un opéra russe nous éclaire sur la Russie d'hier et d'aujourd'hui, notamment les exactions du régime stalinien à l'origine de vingt-cinq millions de morts. Mais tout comme dans son précédent roman, l'auteur instille de la magie dans cette œuvre hautement romanesque. Ici aussi une pointe de réalisme magique, une pincée de l'incroyable des contes et épopées anciennes parsèment l'histoire d'amour. Les réalités historiques dérangeantes, la lucidité sur les devenirs d'un système dont nous connaissons l'actualité s'offrent à nous avec délicatesse, profondeur et douceur. Anouar Benmalek est en effet un merveilleux romancier qu'on ne se lasse pas de lire, encore et toujours.
Irina, un opéra russe d’Anouar Benmalek

mercredi 10 septembre 2025

𝙄𝒓𝙞𝒏𝙖, 𝒖𝙣 𝙤𝒑𝙚́𝒓𝙖 𝙧𝒖𝙨𝒔𝙚 : "Un roman vaste, intense, qui s’écoute autant qu’il se lit ".

 𝓜𝓪𝓻𝓮 𝓝𝓸𝓼𝓽𝓻𝓾𝓶 - 𝓤𝓷𝓮 𝓶𝓮́𝓭𝓲𝓽𝓮𝓻𝓻𝓪𝓷𝓮́𝓮 𝓪𝓾𝓽𝓻𝓮𝓶𝓮𝓷𝓽 (2 sept. 2025)


𝐏𝐨𝐥𝐨𝐧𝐚𝐢𝐬𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐧𝐞𝐢𝐠𝐞𝐬, 𝐭𝐚𝐧𝐠𝐨 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐧𝐨𝐬𝐭𝐚𝐥𝐠𝐢𝐞, 𝐦𝐚𝐫𝐜𝐡𝐞 𝐟𝐮𝐧𝐞̀𝐛𝐫𝐞 𝐝𝐞 𝐥’𝐇𝐢𝐬𝐭𝐨𝐢𝐫𝐞 : "𝙄𝒓𝙞𝒏𝙖, 𝒖𝙣 𝙤𝒑𝙚́𝒓𝙖 𝙧𝒖𝙨𝒔𝙚" 𝐞𝐬𝐭 𝐭𝐨𝐮𝐭 𝐜𝐞𝐥𝐚 𝐚̀ 𝐥𝐚 𝐟𝐨𝐢𝐬.

𝑨𝒏𝒐𝒖𝒂𝒓 𝑩𝒆𝒏𝒎𝒂𝒍𝒆𝒌 nous prend par la main au milieu d’une file de l’Ermitage, devant un Caravage qui cligne d’un œil invisible, et ne nous lâche plus. Irina, soprano ardente, veut tout : la note absolue, l’ivresse des rappels, l’éternité de la voix. Walid, historien venu d’Algérie, veut l’amour, la Russie et un sens au chaos – il croit trouver une clé dans une salle bleue, entre un luth et des fruits. Et Vladimir, grand-père au passé de pierre, veut un pardon que l’Histoire n’octroie pas. La grande force du livre tient dans ce contrepoint : à la ferveur des répétitions répond l’aveu d’un ex-tchékiste, aux rougeurs des coulisses la nuit kazakhe des années 1930, à l’élan des corps la lourdeur des quotas et des archives. Benmalek compose un « opéra » en prose où chaque air est un dilemme, où toute beauté réclame son tribut. On y lit, haletant, la façon dont un siècle dévore les vies intimes – et comment la musique, parfois, impose à l’horreur la pudeur d’un vibrato. Un roman vaste, intense, qui s’écoute autant qu’il se lit.

https://www.youtube.com/watch?v=84OrFmFP79k

vendredi 5 septembre 2025

𝙄𝒓𝙞𝒏𝙖, 𝒖𝙣 𝙤𝒑𝙚́𝒓𝙖 𝙧𝒖𝙨𝒔𝙚, d’Anouar Benmalek: 𝐓𝐞́𝐥𝐞́𝐫𝐚𝐦𝐚 lui accorde la note 𝐥𝐚 𝐧𝐨𝐭𝐞 𝐓𝐓𝐓 (𝐓𝐫𝐞̀𝐬 𝐁𝐢𝐞𝐧)




“𝐈𝐫𝐢𝐧𝐚, 𝐮𝐧 𝐨𝐩𝐞́𝐫𝐚 𝐫𝐮𝐬𝐬𝐞”, 𝐮𝐧𝐞 𝐛𝐞𝐚𝐮 𝐫𝐞́𝐜𝐢𝐭 𝐝𝐞 𝐩𝐚𝐬𝐬𝐢𝐨𝐧 𝐚𝐦𝐨𝐮𝐫𝐞𝐮𝐬𝐞 𝐞𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐥’𝐔𝐑𝐒𝐒 𝐞𝐭 𝐥’𝐀𝐥𝐠𝐞́𝐫𝐢𝐞. Quand Walid, étudiant algérien, rencontre Irina, aspirante soprano, devant le musée de l’Ermitage, c’est le début d’une dense histoire d’amour sur plusieurs décennies, sur fond de turbulences politiques. (𝑝𝑎𝑟 𝐺𝑖𝑙𝑙𝑒𝑠 𝐻𝑒𝑢𝑟𝑒́, 𝑠𝑖𝑡𝑒 𝑑𝑒 𝑇𝑒́𝑙𝑒́𝑟𝑎𝑚𝑎)



Télérama, no. 3947
3 septembre 2025, Gilles Heuré
Irina, un opéra russe
Anouar Benmalek

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𝐓𝐓𝐓

Lorsqu'en 1978 une jeune femme fantasque s'agrippe à lui pour griller la politesse aux nombreuses personnes qui font la queue devant le musée de l'Ermitage, à Leningrad, Walid, jeune étudiant algérien, ne se rend pas compte tout de suite que l'amour vient de lui tomber dessus. Non pas une simple promesse de liaison, mais une passion qui lui fera dire qu'il est prêt à mourir pour elle. Irina est une jeune soprano promise à un bel avenir à l'opéra, alors que lui prépare une thèse sur Napoléon en Égypte. Ce roman d'Anouar Benmalek, mathématicien dans une université parisienne, qui a longtemps vécu en URSS, est le récit d'une fusion amoureuse qui s'étire sur plusieurs décennies. Irina verra sa vocation contrariée par les turbulences politiques de l'URSS ; et Walid poursuivra une carrière d'historien, elle aussi perturbée par les violences politiques en Algérie. Les amants seront séparés longtemps, mais la volonté de retrouver Irina ne faiblira pas chez Walid — même lorsqu'un policier algérien lui dira, tout en le tabassant : « L'espérance est la mère des imbéciles… »

D'autres protagonistes, aussi denses les uns que les autres, accompagnent cette histoire : Vladimir, le grand-père d'Irina, jeune agent du NKVD dans les années 1930, confronté à l'épouvantable famine au Kazakhstan après avoir été prisonnier en France pendant la Première Guerre mondiale ; Tamara, l'amie fidèle et mystérieuse des deux amants ; Sacha, le compagnon de Walid qui s'accommode de la vie en URSS grâce à une bonne dose de cynisme. Avec eux aussi, dans ce grand pays dont les habitants, toujours menacés par les purges soudaines et implacables, se disent « immensément fiers d'être russes, profondément malheureux de l'être », les grands auteurs, Pouchkine, Dostoïevski, Mandelstam, Tchekhov ou Akhmatova, témoins littéraires de la violence des sentiments qui fortifient ou broient les individus.

| Éd. Emmanuelle Collas, 482 p., 22,90 €.




mercredi 3 septembre 2025

Irina, un opéra russe ~A. Benmalek : "Tourbillon narratif assez vertigineux... Saluer la virtuosité de l’auteur..."

 


Lectures 2025

Irina, un opéra russe ~Anouar Benmalek… rentrée littéraire !

Voici encore un des titres, lus en mai et juin pour le prix des adhérents Fnac 2025. J’étais un peu inquiète, je l’avoue, de rentrer dans un tel pavé et d’éventuellement m’y ennuyer. Mais la couverture promettait un voyage en Russie et, dans les premières pages, c’est d’un bien joli duo dont nous faisons la connaissance.

Résumé
Irina et Walid forment un couple atypique. Nous sommes à Leningrad, à la fin des années 70. Lui est un étudiant algérien, féru d’histoire, elle est soprano. Ils se rencontrent devant le musée de l’Ermitage dans des circonstances amusantes et vont vivre une belle histoire d’amour. Mais Walid est contraint de quitter le pays et ne reviendra pas avant quarante années. En parallèle, nous suivons le parcours de Vladimir, le grand-père d’Irina, qui a participé à des exactions au Kazakhstan dans les années 1930. Tout cela serait bien factuel si le fantastique ne s’en mêlait pas. Quel est donc en effet ce chien qui apparaît à volonté sur le tableau du « Joueur de Luth » de Caravage ?

Mon avis
Le roman que je vous présente aujourd’hui souffre je trouve de quelques longueurs, surtout dans les parties qui concernent Vladimir, le grand-père. Nous quittons alors le joli couple pour un pan d’histoire sombre et violent. Pour autant, j’ai compris l’importance de ces moments un peu longs quand j’ai refermé ce livre avec émotion. En effet, lorsque tout finit par s’imbriquer ou s’envoler dans un tourbillon narratif assez vertigineux, on comprend le temps qu’il a fallu pour poser chaque élément. Tout fait alors sens et donne envie de saluer la virtuosité de l’auteur. Je n’ai donc pas regretté aller au bout de ce pavé de presque 500 pages qui laisse, après sa lecture, une belle empreinte. A lire sans faute si vous aimez l’histoire avec un grand H et que le fantastique se mêle à la réalité.

Editions Emmanuelle Collas – 22 août 2025

J’ai aimé ce livre, un peu, beaucoup… 

Sélection Prix Fnac 2025

https://leslecturesdantigone.wordpress.com/2025/08/22/irina-un-opera-russe-anouar-benmalek-rentree-litteraire/

mardi 2 septembre 2025

"𝐈𝐫𝐢𝐧𝐚, 𝐮𝐧 𝐨𝐩𝐞́𝐫𝐚 𝐫𝐮𝐬𝐬𝐞" : 𝒂𝒎𝒐𝒖𝒓, 𝒄𝒖𝒍𝒑𝒂𝒃𝒊𝒍𝒊𝒕𝒆́ 𝒆𝒕 𝑯𝒊𝒔𝒕𝒐𝒊𝒓𝒆 𝒆𝒏𝒕𝒓𝒆𝒎𝒆̂𝒍𝒆́𝒔. (Texte et Podcast)



 "𝐈𝐫𝐢𝐧𝐚, 𝐮𝐧 𝐨𝐩𝐞́𝐫𝐚 𝐫𝐮𝐬𝐬𝐞" : 𝒂𝒎𝒐𝒖𝒓, 𝒄𝒖𝒍𝒑𝒂𝒃𝒊𝒍𝒊𝒕𝒆́ 𝒆𝒕 𝑯𝒊𝒔𝒕𝒐𝒊𝒓𝒆 𝒆𝒏𝒕𝒓𝒆𝒎𝒆̂𝒍𝒆́𝒔.

𝑼𝒏𝒆 œ𝒖𝒗𝒓𝒆 𝒅𝒐𝒏𝒕 𝒍𝒂 𝒎𝒖𝒔𝒊𝒒𝒖𝒆, 𝒂̀ 𝒍𝒂 𝒇𝒐𝒊𝒔 𝒅𝒆́𝒄𝒉𝒊𝒓𝒂𝒏𝒕𝒆 𝒆𝒕 𝒍𝒖𝒎𝒊𝒏𝒆𝒖𝒔𝒆, 𝒄𝒐𝒏𝒕𝒊𝒏𝒖𝒆 𝒅𝒆 𝒓𝒆́𝒔𝒐𝒏𝒏𝒆𝒓 𝒃𝒊𝒆𝒏 𝒂𝒑𝒓𝒆̀𝒔 𝒒𝒖𝒆 𝒍𝒆 𝒓𝒊𝒅𝒆𝒂𝒖 𝒆𝒔𝒕 𝒕𝒐𝒎𝒃𝒆́. (Mare Nostrum, 01 septembre 2025)




Découvrez notre Podcast


Dans la vaste partition des littératures qui auscultent les cicatrices du XXe siècle, Irina, un opéra russe d’Anouar Benmalek se déploie comme une œuvre d’une ambition et d’une architecture singulières. Il s’agit d’un opéra total où les destins individuels, pris dans les glaces de la Neva ou les steppes funestes du Kazakhstan, deviennent les airs tragiques d’une Histoire dont les chœurs anonymes et brutaux résonnent encore. Le livre orchestre une polyphonie magistrale où la quête amoureuse d’un historien algérien à la retraite, Walid, à la recherche de son amour de jeunesse, la soprano Irina Rostova, devient l’ouverture d’une dramaturgie vertigineuse. Cette quête exhume les passés ensevelis, ceux de la violence d’État et de la culpabilité intime, révélant comment la voix d’une artiste peut porter, à son insu, le poids d’un monde fracturé.


        Leningrad, capitale des âmes et des fantômes

Le roman ancre sa narration dans deux temporalités que tout oppose et que tout relie secrètement. D’une part, le Leningrad des années 1970-1980, cité impériale figée dans la torpeur brejnévienne, où la splendeur de l’Ermitage et la ferveur artistique du Kirov coexistent avec la surveillance bureaucratique et la précarité du quotidien. C’est là que Walid, jeune doctorant venu d’Algérie, découvre l’amour et la complexité d’une société où chaque geste est scruté. D’autre part, le livre plonge dans les ténèbres des années 1930 au Kazakhstan, théâtre d’une collectivisation forcée et d’une famine orchestrée par le pouvoir stalinien. Anouar Benmalek restitue avec une précision documentaire la langue glaciale de l’administration de la terreur : celle des quotas d’arrestations et des catégories de suspects, où l’individu est dissous dans la statistique.

Soit tu remplis ton quota, soit tu te retrouves dans le quota.

Cette phrase, assénée par un supérieur du NKVD, résume à elle seule la logique déshumanisante qui broie les corps et les consciences, transformant les serviteurs de l’État en rouages d’une machine à anéantir. C’est dans ce creuset de violence que se forge le destin de Vladimir, grand-père d’Irina, dont le passé de tchékiste constitue le cœur secret et tragique du roman.

Une partition à plusieurs voix

La composition d’Irina, un opéra russe emprunte sa structure à l’art lyrique.

Le récit alterne les focalisations comme des airs solistes qui se répondent en contrepoint. La voix de Walid, en 2022, est celle de la mémoire et du regret, une longue élégie portée par quarante ans de silence. Celle d’Irina, dans ses jeunes années, est celle de l’ambition artistique, de la passion charnelle et d’une lutte constante pour que sa voix souveraine échappe aux contingences matérielles et politiques. Enfin, la narration plonge dans la conscience de Vladimir, archéologie d’une faute originelle qui contamine les générations. Cette polyphonie est scandée par des motifs récurrents qui agissent comme des leitmotive. La contemplation du Joueur de luth du Caravage à l’Ermitage devient une méditation sur le regard et la vérité latente, où l’apparition fantomatique d’un chiot dans la toile symbolise ce qui n’existe que pour ceux qui savent voir. Le cauchemar, loin d’être un simple ressort psychologique, devient le mécanisme par lequel le temps lui-même se fissure, ouvrant des brèches sur des passés alternatifs et des avenirs avortés. L’aria, enfin, est l’espace où la voix d’Irina atteint une forme de liberté absolue, un capital symbolique qu’elle tente de préserver face aux pesanteurs du monde.

    La tyrannie du temps et la dette de l’Histoire

Au cœur du roman palpite une interrogation philosophique sur la nature du temps. Le temps chez Benmalek est une matière dense, élastique, parfois réversible. À travers le personnage de Vladimir et ses “retours” dans le passé, le roman explore l’idée d’une histoire qui n’est pas une flèche mais une boucle, où chaque tentative de corriger le destin aggrave la tragédie initiale, comme si l’entropie du malheur était une loi physique inéluctable. Cette conception tragique du temps fait écho à la figure de l’ange de l’Histoire de Walter Benjamin, qui voit le passé comme une accumulation de ruines dont il ne peut se détacher. La culpabilité de Vladimir devient ainsi une dette qui se transmet, contaminant jusqu’à la vocation de sa petite-fille. La voix d’Irina, pure et transcendante, est aussi l’héritière inconsciente d’un silence criminel. L’art, dans cette perspective, est à la fois une rédemption possible et le lieu où se rejoue le drame. Cette dialectique trouve son apogée dans l’épisode du « double » de Staline, scène saisissante où la représentation du pouvoir expose sa propre duplicité, interrogeant la frontière entre la vérité historique et ses simulacres.

    J'ai tant de choses à te dire, / Ou plutôt, une seule, mais vaste comme la mer…

Cette confidence de Mimi dans La Bohème, que Walid reçoit comme une promesse au début du roman, devient la métaphore de l’œuvre entière : un récit qui, sous l’apparence d’une histoire d’amour, contient l’océan d’un siècle de fracas et de silences.    

Irina, un opéra russe est une fresque puissante sur la rémanence du passé et la manière dont les vivants portent, souvent sans le savoir, les fantômes de l’Histoire. En liant le destin d’une cantatrice de Leningrad à la mémoire de la famine kazakhe et à l’exil d’un intellectuel algérien, Anouar Benmalek tisse des correspondances inattendues entre les géographies et les époques. Le roman laisse une trace profonde par sa capacité à incarner dans des destins singuliers les grandes tragédies collectives, et par sa conviction que l’art, même s’il ne sauve de rien, demeure le lieu où la dignité humaine peut encore se chanter. C’est une œuvre dont la musique, à la fois déchirante et lumineuse, continue de résonner bien après que le rideau est tombé.




Chroniqueur : Raphaël Graaf



"Irina, un opéra russe" : Un des grands romans de cette rentrée littéraire par Jean-Jacques Bedu, de Mare Nostrum

 

"Un des grands romans de cette rentrée littéraire"





      "Un des grands romans de cette rentrée littéraire est signé par Anouar Benmalek. Située dans le Leningrad des années 1970, cette fresque raconte la rencontre d’un historien étranger et d’une soprano passionnée, tout en faisant résonner les blessures de l’Histoire soviétique. Publié par les Editions Emmanuelle Collas, le livre conjugue intensité amoureuse, mémoire collective et réflexion sur le prix de la beauté."
 

                                                               Jean-Jacques Bedu (Mare Nostrum)


𝑬𝒕 𝒔𝒊 𝒐𝒏 𝒍𝒊𝒔𝒂𝒊𝒕 « 𝗜𝗿𝗶𝗻𝗮, 𝘂𝗻 𝗼𝗽𝗲́𝗿𝗮 𝗿𝘂𝘀𝘀𝗲 », 𝙞𝒏𝙘𝒐𝙣𝒕𝙤𝒖𝙧𝒏𝙖𝒃𝙡𝒆 𝒅𝙚 𝙡𝒂 𝒓𝙚𝒏𝙩𝒓𝙚́𝒆 𝒍𝙞𝒕𝙩𝒆́𝙧𝒂𝙞𝒓𝙚 2025 (Le Matin d'Algérie)





Et si on lisait « Irina, un opéra russe », incontournable de la rentrée littéraire 2025

 :Djamal Guettala (samedi 30 août 2025)




La rentrée littéraire 2025 en France s’annonce sous le signe de la Russie et des passions intemporelles avec le nouveau roman d’Anouar Benmalek, « Irina, un opéra russe ».


Dès les premières pages, le lecteur est happé par la rencontre improbable entre Irina, soprano aux rêves de grandeur, et Walid, jeune étudiant franco-algérien en visite à Leningrad en 1978.

Devant l’entrée du musée de l’Ermitage, Irina lui demande son aide pour accéder à la « petite salle italienne » où se cache un Caravage mystérieux. Puis elle disparaît, laissant Walid épris et fasciné, lancé sur une quête qui traversera quarante années et des continents.

La force du roman réside dans la capacité de Benmalek à mêler romance intime et fresque historique. Walid tombe amoureux d’Irina Rostova, jeune chanteuse prometteuse, mais le destin décide de les séparer. Quarante ans plus tard, il revient à Saint-Pétersbourg dans l’espoir de retrouver son premier amour.

Entre-temps, Walid a traversé l’histoire : torturé par la police en Algérie, menacé par le terrorisme et contraint à l’exil en France. Ces épreuves, mêlées à ses souvenirs amoureux, nourrissent une réflexion sur le temps, la mémoire et la quête de bonheur.


Le roman s’ouvre sur des scènes d’opéra vibrantes où la musique devient langage de l’âme. Irina, sur scène, semble adresser à Walid un message unique : « J’ai tant de choses à te dire, ou plutôt, une seule, mais vaste comme la mer… » Ces phrases, simples et poétiques, condensent la profondeur du lien entre les deux personnages. Irina est présentée comme une femme ambitieuse, espiègle, et parfois audacieuse, capable d’humour et de réflexions philosophiques sur la réincarnation et le paradis. Walid, lui, oscille entre admiration, désir et mélancolie, conscient des obstacles à leur union et du titre de séjour qui approche de son terme.

Irina, un opéra russe ne se limite pas à une romance. Benmalek explore également les tragédies historiques du XXe siècle, en particulier la sombre période de l’URSS au Kazakhstan dans les années 1930, au travers de Vladimir, le grand-père d’Irina.

Les famines, les prisons, les exécutions clandestines du NKVD et la brutalité du pouvoir soviétique sont décrites avec un réalisme saisissant. Le roman juxtapose ainsi le fracas de l’histoire aux passions humaines, montrant comment le destin individuel se tisse au cœur des tragédies collectives.

La narration non linéaire est un autre trait distinctif du roman. Les allers-retours dans le temps, entre Leningrad des années 1980 et la Saint-Pétersbourg contemporaine, offrent une profondeur psychologique et une richesse émotionnelle uniques.

Certains personnages peuvent revenir dans le passé, changeant subtilement le cours de l’histoire, tandis que le lecteur navigue entre souvenirs, récits historiques et trajectoires imaginaires. Ce mélange de temporalités exige une attention soutenue, mais la puissance romanesque de l’histoire efface rapidement toute difficulté de lecture.

Saint-Pétersbourg, avec sa Neva glaciale, le Palais d’Hiver et ses monuments imposants, devient un personnage à part entière. La ville, immense et majestueuse, reflète l’intensité des émotions des protagonistes et la grandeur historique de la Russie. Benmalek parvient à conjuguer l’échelle intime et l’échelle historique, offrant au lecteur une immersion totale dans la cité et dans la mémoire des personnages.

En filigrane, le roman explore également la création littéraire de Walid adulte, devenu historien et écrivain. Entre fiction et réalité, ses livres retracent les tragédies et incohérences du monde arabe et tentent de donner un sens au chaos des sociétés humaines. Ces réflexions enrichissent le roman et montrent comment la littérature peut devenir un outil pour appréhender le hasard et l’injustice, tout en offrant une consolation face aux épreuves de l’existence.

Avec « Irina, un opéra russe », Anouar Benmalek signe une œuvre où romance, musique et histoire se rencontrent dans un style poétique et puissant. Les lecteurs amateurs de grands romans russes, d’émotions intenses et de fresques historiques y trouveront matière à voyager et à réfléchir sur l’amour, le temps et la mémoire.

Djamal Guettala

Mini-biographie

Né à Casablanca d’une mère marocaine et d’un père algérien, Anouar Benmalek est diplômé en mathématiques et titulaire d’un doctorat d’État en probabilités et statistiques soutenu à Kiev. Professeur universitaire et chroniqueur journalistique, il a participé à des reportages dans le Moyen-Orient en guerre et a été membre fondateur du Comité algérien contre la torture. Auteur de nombreux romans, il a exploré des thèmes difficiles tels que la Shoah et le génocide des Héréros et des Namas, et a parfois suscité des appels au meurtre pour ses œuvres. Son écriture mêle rigueur intellectuelle, sensibilité littéraire et engagement historique.

Irina, un opéra russe / Anouar Benmalek
Emmanuelle Collas éditions août 2025