lundi 22 décembre 2025

Irina, un opéra russe: "Puissant et poétique... Dans la plus pure tradition des grands romans russes", RFI, 21 décembre 2025



Le roman russe de l’Algérien Anouar Benmalek

ᴘᴀʀ Tɪʀᴛʜᴀɴᴋᴀʀ Cʜᴀɴᴅᴀ, Publié le : 21/12/2

CHEMINS D'ÉCRITURE, RFI

Avec son nouveau roman, Irina, un opéra russe, paru cet automne, le Franco-Algérien Anouar Benmalek poursuit son exploration de romance et d’effusions sentimentales en temps de répressions et de violences politiques. Dans la plus pure tradition des grands romans russes, l’écrivain raconte dans cet opus l’épanouissement d’un amour passionnel dans l’ancienne Union soviétique des années 1980, sur fond des révélations sur les ténèbres staliniennes. Puissant et poétique.




Leningrad 1981. « Sais-tu à quelle condition j'accepterais d'endurer l'éternité du paradis ? Seulement, si, par extraordinaire, Dieu avait la somptueuse idée d'y construire, non loin de la grande bibliothèque de l'Arbre de la Connaissance, un opéra tout plein de dorures avec au programme les artistes lyriques les plus doués depuis Ève. La première prima donna. »
Irina ajouta à voix plus basse, avec un sourire de convoitise : « Et mieux encore, si le maître des lieux poussait l'indulgence jusqu'à porter mon nom sur l'affiche et à m'autoriser à répéter autant de fois que je souhaite afin d'accéder à la splendeur de la voix absolue... »

Ainsi s’ouvre Irina, un opéra russe, le nouveau roman du Franco-Algérien Anouar Benmalek. C’est un récit d’une grande intelligence narrative, de près de 500 pages où se mêlent romance intime et fresques historiques, sexe, musique et violences, sur fond de quête de bonheur perdu.

Auteur de nombreux romans, Anouar Benmalek nous a habitués à sa plume tragique qui explore la vérité de l’humain au cœur des violences de l’histoire, à travers sa fiction campée. Tantôt chez les Aborigènes en Tasmanie victimes de génocide (L’enfant du peuple ancien, 2000), ou dans les camps des réfugiés palestiniens pendant la guerre civile libanaise (L’amour loup, 2002), mais aussi chez les Hereros décimés par la colonisation allemande (Fils du Shéol, 2015) ou encore au sein de la communauté morisque dans l’Andalousie médiévale (O Maria, 2006).

Irina, opéra russe, son nouveau roman ne déroge pas à la règle. Il nous plonge dans les tragédies de l’histoire russe postrévolutionnaire, dans ses fracas et ses tumultes, ce qui n’exclut pas l’admiration pour la civilisation russe millénaire, comme le dit si bien Anouar Benmalek : « Ce pays est grandiose, extraordinaire par tous les aspects, par sa beauté, son immensité, sa littérature et aussi par l'étendue des crimes qui ont pu être commis pour faire naître l'homme soviétique nouveau. La Russie a eu beaucoup d’influence sur moi. Je crois que ce qu'on pourrait appeler ma vocation d'artisan romancier vient de cet éblouissement que m'a fait la grandeur de ce pays. Grandeur en tout, c'est quelque chose qu'on résume assez facilement par l'âme russe, chose qui est un vocable un peu trop facile, mais il y a quand même un peu de ça. »


Les années russes
L’écrivain aime revenir sur ses années russes et raconter comment son séjour entre Odessa, Kiev, Moscou et Léningrad dans une Union soviétique qui n’avait pas encore dit son dernier mot, a profondément marqué son imaginaire. C’est en 1978 qu’il a quitté l’Algérie, son pays natal, et a débarqué dans l’ancienne Union soviétique, avec une bourse du gouvernement hôte en poche pour préparer un doctorat en mathématiques.

Anouar Benmalek : « Je venais d’une petite ville provinciale que j’aime beaucoup, Constantine. Je ne connaissais quasiment rien au monde. Et là-bas, je tombe dans le fracas de l’histoire et de la culture, et de la musique, et de la littérature et de la poésie. Quand on m’a donné la bourse pour l’URSS, je me rappelle, on était deux à l’avoir. On ne savait pas à l’époque s’il fallait pleurer ou en être content. Mon collègue, lui, a refusé d’y aller, mais moi j’y suis allé parce que je n’avais pas assez de piston pour partir ailleurs. Mais a posteriori, je n’ai jamais regretté d'y être allé. J’ai beaucoup beaucoup aimé être en URSS. »

 

Irina, un opéra russe
Le roman s’inspire de l’expérience russe de l’auteur. L’étudiant étranger s’appelle dans ces pages Walid, principal protagoniste de l’histoire. Il est le double de l’auteur à la fois par ses origines et par sa sensibilité. Lui aussi étudiant, il prépare une thèse, à la différence près que ses recherches ne portent pas sur les mathématiques, mais sur l’histoire et plus précisément sur l’expédition en Égypte de Napoléon.

Amoureux de l’histoire mais aussi de l’art occidental, Walid profite de son séjour en Russie pour visiter les musées et les monuments. Un matin, en faisant la queue à l’entrée du musée de l’Ermitage, son chemin croise celui de la belle Irina Rostova, par le plus romanesque des hasards. C’est le début d’une histoire d’amour passionnelle entre la talentueuse soprano qui ambitionne de faire carrière dans l’opéra lyrique et le bel Algérien. Le roman est bâti autour de leur amour-passion qui survivra à leur séparation lorsqu’à la fin de ses études, Walid est contraint de quitter la Russie. Au terme de 40 années d’absence, il revient fouler la terre russe dans l’espoir de retrouver son Irina.

Brutalités et rédemption
Construite comme un opéra avec une ouverture et un final dramatique, le récit ici se partage entre passion, tragédie et drames historiques. La dimension historique est incarnée par un certain Vladimir, le grand-père tendrement admiré d’Irina. C’est lui qui a donné à sa petite-fille le goût pour la musique, mais se révèle avoir été un bourreau pendant les années sombres de la dictature stalinienne. C’est un tournant dans la vie d’Irina, sa découverte du rôle terrible et cynique joué par son grand-père dans les années 1930 au Kazakhstan, où il fut le bras armé du dictateur et fit régner famines, répressions et moult brutalités sur le peuple kazakh. À partir de ce moment, elle va abandonner sa carrière qui s’annonçait radieuse pour essayer de racheter les crimes de son aïeul.

Les 40 années d’éloignement n’ont pas été un long fleuve tranquille pour Walid, non plus. Prisonnier d’un mariage de raison, victime lui aussi des épreuves de l’histoire lorsque l’Algérie s’enflamme dans les années 1980 et dérive vers la guerre civile sous les coups de boutoir des islamistes, l’Algérien vit dans le ressassement de ses souvenirs d’un Éden perdu. Pourra-t-il regagner l’Éden, reconquérir son Ève et colmater les brèches créées par l’éloignement et la séparation : telles sont les questions auxquelles répond le final explosif du roman, dans le plus pur style des pièces d’opéra.

Avec Irina, un opéra russe, le Franco-Algérien Anouar Benmalek signe un grand roman des temps modernes, puissant et poétique, dans les pages duquel le réalisme social se mêle au merveilleux du quotidien, dans la veine de la tradition des Tolstoï, Pouchekine, Boulgakov et autres grands romanciers russes.


Irina, un opéra russe, par Anouar Benmalek. Editions Emmanuelle Collas, 475 pages, 22,90 euros.




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Here is the English translation of the text by an AI. Consequently, contextual inaccuracies or errors in meaning may occur.


The Russian Novel of Algerian Author Anouar Benmalek

BY Tirthankar Chanda, Published on: 21/12/21 CHEMINS D'ÉCRITURE, RFI

With his new novel, Irina, un opéra russe (Irina, a Russian Opera), published this autumn, Franco-Algerian author Anouar Benmalek continues his exploration of romance and sentimental outpourings amidst times of repression and political violence. In the purest tradition of the great Russian novels, the writer recounts the blossoming of a passionate love in the Soviet Union of the 1980s, set against the backdrop of revelations regarding the darkness of the Stalinist era. Powerful and poetic.

Leningrad, 1981. "Do you know on what condition I would agree to endure the eternity of paradise? Only if, by some extraordinary chance, God had the magnificent idea of building—not far from the Great Library of the Tree of Knowledge—an opera house dripping in gold, featuring the most gifted lyric artists since Eve. The first prima donna." Irina added in a lower voice, with a covetous smile: "And even better, if the Master of the house was indulgent enough to put my name on the poster and allow me to rehearse as many times as I wish to achieve the splendor of the absolute voice..."

So begins Irina, un opéra russe, the new novel by Franco-Algerian author Anouar Benmalek. It is a narrative of great narrative intelligence, spanning nearly 500 pages, where intimate romance mingles with historical frescoes, sex, music, and violence, all set against a quest for lost happiness.

The author of numerous novels, Anouar Benmalek has accustomed us to a tragic pen that explores human truth at the heart of historical violence through his grounded fiction. This has taken place among Tasmanian Aborigines victims of genocide (L’enfant du peuple ancien, 2000), in Palestinian refugee camps during the Lebanese Civil War (L’amour loup, 2002), among the Hereros decimated by German colonization (Fils du Shéol, 2015), or within the Morisco community in medieval Andalusia (O Maria, 2006).

Irina, un opéra russe, his latest novel, is no exception to the rule. It plunges us into the tragedies of post-revolutionary Russian history, its clashes and upheavals, which does not exclude an admiration for a thousand-year-old Russian civilization. As Anouar Benmalek aptly puts it: "This country is grandiose, extraordinary in every aspect—its beauty, its immensity, its literature, and also the extent of the crimes that were committed to give birth to the 'New Soviet Man.' Russia had a great influence on me. I believe that what one might call my vocation as a 'novelist-craftsman' comes from the dazzle that the greatness of this country cast upon me. Greatness in everything—something easily summarized by the 'Russian soul,' a term that is perhaps a bit too convenient, but there is still some truth to it."

The Russian Years

The writer enjoys looking back on his Russian years, recounting how his stay between Odessa, Kyiv, Moscow, and Leningrad—in a Soviet Union that had not yet spoken its final word—profoundly marked his imagination. It was in 1978 that he left Algeria, his native country, and landed in the former Soviet Union with a host government scholarship in hand to prepare a doctorate in mathematics.

Anouar Benmalek: "I came from a small provincial town that I love dearly, Constantine. I knew almost nothing of the world. And there, I fell into the clash of history, culture, music, literature, and poetry. When I was given the scholarship for the USSR, I remember there were two of us who received it. At the time, we didn't know whether to cry or be happy about it. My colleague refused to go, but I went because I didn't have enough 'pull' to go elsewhere. But in hindsight, I have never regretted going. I very, very much loved being in the USSR."

Irina, a Russian Opera

The novel is inspired by the author’s Russian experience. The foreign student in these pages is named Walid, the story's main protagonist. He is the author’s double, both in his origins and his sensibility. He, too, is a student preparing a thesis, with the slight difference that his research is not in mathematics but in history—specifically, Napoleon’s expedition to Egypt.

A lover of history but also of Western art, Walid takes advantage of his stay in Russia to visit museums and monuments. One morning, while queuing at the entrance to the Hermitage Museum, his path crosses that of the beautiful Irina Rostova by the most romantic of chances. It is the beginning of a passionate love story between the talented soprano, who aspires to a career in lyric opera, and the handsome Algerian. The novel is built around their "amour-passion" which survives their separation when, at the end of his studies, Walid is forced to leave Russia. After 40 years of absence, he returns to Russian soil in the hope of finding his Irina.

Brutalities and Redemption

Constructed like an opera with an overture and a dramatic finale, the narrative here is divided between passion, tragedy, and historical drama. The historical dimension is embodied by a certain Vladimir, Irina's tenderly admired grandfather. It was he who gave his granddaughter a taste for music, yet he is revealed to have been an executioner during the dark years of Stalin's dictatorship. This is a turning point in Irina’s life: her discovery of the terrible and cynical role played by her grandfather in the 1930s in Kazakhstan, where he was the dictator’s iron fist, overseeing famines, repressions, and countless brutalities against the Kazakh people. From that moment on, she abandons her promising career to try and redeem her ancestor's crimes.

The 40 years of separation were not a smooth journey for Walid either. Trapped in a marriage of convenience and himself a victim of historical trials—as Algeria went up in flames in the 1980s and drifted toward civil war under the onslaught of Islamists—the Algerian lives in a constant rumination of his memories of a lost Eden. Can he regain Eden, win back his Eve, and mend the rifts created by distance and time? These are the questions answered by the novel’s explosive finale, in the purest style of operatic works.

With Irina, un opéra russe, Franco-Algerian Anouar Benmalek delivers a great modern novel, powerful and poetic, in which social realism blends with the "marvelous" of everyday life, in the tradition of Tolstoy, Pushkin, Bulgakov, and other great Russian novelists.

Irina, un opéra russe, by Anouar Benmalek. Editions Emmanuelle Collas, 475 pages, 22.90 euros.




jeudi 11 décembre 2025

Irina, un opéra russe": "Une œuvre de résistance et de mémoire" (D. Guettala, Kapitalis)

 


    Anouar Benmalek, l'opéra de la mémoire et de l'exil

 Avec "Irina, un opéra russe'' (Éditions Emmanuelle Collas, 2025), Anouar Benmalek signe un roman ample et bouleversant, traversé par la douleur de l'exil, la fidélité à la mémoire et la fragile beauté de l'amour. L'écrivain algérien, dont l'œuvre est marquée par la quête de vérité et l'épreuve de la lucidité, poursuit ici son exploration du tragique humain à travers les destins croisés d'Irina, de Walid et de Vladimir, dans une Russie tourmentée où résonnent les échos d'autres histoires et d'autres silences.

Djamal Guettala, Kapitalis, 10 décembre 2025



 

L'histoire commence à Leningrad, en 1978. Irina, soprano aux rêves de grandeur, aborde Walid, étudiant algérien, devant l'entrée du musée de l'Ermitage. Elle sollicite son aide pour accéder à la «petite salle italienne», où se trouve un étrange tableau du Caravage, puis disparaît. Walid se prend d'une passion pour l'opéra russe, espérant retrouver cette belle inconnue. Commence alors une longue histoire d'amour qui survivra à l'absence, pendant quarante années, jusqu'au retour de Walid à Saint-Pétersbourg en février 2022, décidé à retrouver Irina.

 

Fiction, drame et poésie

 

Dans ce livre, la Russie devient un miroir, celui des nations blessées, traversées par les violences de l'Histoire et par le mensonge institutionnalisé. Benmalek y interroge la manière dont les États fabriquent leurs mythes, effacent leurs fautes et travestissent la mémoire collective pour mieux régner sur les consciences. À travers le destin de Vladimir, le grand-père d'Irina, il nous plonge dans la sombre histoire de l'URSS au Kazakhstan dans les années 1930, mêlant splendeur et misère, drame et poésie. La fiction, chez lui, ne se contente pas de raconter : elle rétablit une justice poétique et redonne voix à ceux que l'Histoire officielle a condamnés au silence.

 

''Irina, un opéra russe'' n'est pas seulement une fresque politique ou historique. C'est aussi une méditation intime sur la condition humaine. Chaque personnage porte en lui une part de solitude, d'espoir brisé, de vérité retenue. L'exil — qu'il soit géographique, affectif ou intérieur — devient la métaphore d'un monde où tout être est séparé de ce qu'il aime. Et face à cette séparation, Benmalek oppose la seule force invincible qu'il reconnaisse : l'amour. Cet amour qui, loin d'être refuge, devient résistance — la dernière forme de dignité quand tout vacille.

 

Son écriture, tendue, poétique, incandescente, reflète cette tension entre la beauté et la violence. On y sent le poids de l'Histoire, mais aussi la musique du désespoir. Rien n'est apaisé dans son style : chaque phrase semble arrachée au silence, chaque mot pèse d'une mémoire.

 

Lire Benmalek, c'est entrer dans un univers où la langue elle-même devient combat — contre l'oubli, contre la lâcheté, contre la bêtise triomphante.

 

Résistance et mémoire

 

L'auteur, fidèle à lui-même, ne dissocie jamais l'acte d'écrire de la responsabilité morale. Loin des slogans et des illusions, il affirme que l'écrivain n'a pas à changer le monde, mais à témoigner de son désordre. Écrire, c'est penser «malgré l'évidence», affronter le réel dans sa complexité et ses blessures.

 

Au fil de ces pages, Benmalek déploie une lucidité sans complaisance. Il observe la barbarie contemporaine, les guerres, les exils, la perte du sens, et en tire cette conclusion simple : la littérature ne sauve pas, mais elle empêche la mort spirituelle. Elle maintient vivante la possibilité d'un regard libre, d'une conscience éveillée.

 

''Irina, un opéra russe'' est ainsi bien plus qu'un roman : c'est une œuvre de résistance et de mémoire, un opéra intérieur où la douleur s'accorde à la tendresse, où la vérité se conquiert mot après mot. Benmalek, fidèle à son exigence, rappelle que la seule noblesse de l'écrivain est de «faire de son mieux» — c'est-à-dire de ne jamais céder à l'oubli ni à la facilité.

 

Dans un monde saturé d'images et vidé de sens, son livre résonne comme un acte de foi dans la lecture elle-même : lire pour penser, lire pour ne pas disparaître.


adresse  de l'article: https://kapitalis.com/tunisie/2025/12/10/anouar-benmalek-lopera-de-la-memoire-et-de-lexil/


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Here is the English translation of the text by an AI. Consequently, contextual inaccuracies or errors in meaning may occur.



Anouar Benmalek: An Opera of Memory and Exile

With Irina, un opéra russe (Éditions Emmanuelle Collas, 2025), Anouar Benmalek delivers a sweeping and deeply moving novel, shot through with the pain of exile, loyalty to memory, and the fragile beauty of love. The Algerian writer, whose work is defined by a quest for truth and the trial of lucidity, continues his exploration of human tragedy through the intertwined destinies of Irina, Walid, and Vladimir, set in a tormented Russia where the echoes of other histories and other silences resonate. Djamal Guettala, Kapitalis, December 10, 2025

The story begins in Leningrad in 1978. Irina, a soprano with dreams of greatness, approaches Walid, an Algerian student, at the entrance of the Hermitage Museum. She asks for his help to find the "small Italian room" housing a strange painting by Caravaggio, then disappears. Walid develops a passion for Russian opera, hoping to find this beautiful stranger again. Thus begins a long love story that will survive forty years of absence, leading to Walid’s return to Saint Petersburg in February 2022, determined to find Irina.

Fiction, Drama, and Poetry

In this book, Russia becomes a mirror—one reflecting wounded nations scarred by the violence of History and institutionalized lies. Benmalek examines how states manufacture their myths, erase their faults, and distort collective memory to better control the public conscience. Through the fate of Vladimir, Irina’s grandfather, he plunges us into the dark history of the USSR in Kazakhstan during the 1930s, blending splendor and misery, drama and poetry. For Benmalek, fiction does not merely tell a story: it establishes a poetic justice and gives a voice back to those whom official History has condemned to silence.

Irina, un opéra russe is not just a political or historical fresco. It is also an intimate meditation on the human condition. Every character carries a share of solitude, broken hope, and withheld truth. Exile—whether geographical, emotional, or internal—becomes the metaphor for a world where every being is separated from what they love. Against this separation, Benmalek pits the only invincible force he recognizes: love. This love, far from being a mere refuge, becomes a form of resistance—the final stand of dignity when everything else falters.

His writing—tense, poetic, and incandescent—reflects this tension between beauty and violence. One feels the weight of History, but also the music of despair. There is nothing placid in his style: every sentence seems wrung from silence; every word is heavy with memory. To read Benmalek is to enter a universe where language itself becomes a struggle—against forgetting, against cowardice, and against triumphant stupidity.

Resistance and Memory

True to form, the author never separates the act of writing from moral responsibility. Eschewing slogans and illusions, he asserts that the writer’s job is not to change the world, but to bear witness to its disorder. To write is to think "despite the obvious," confronting reality in all its complexity and its wounds.

Throughout these pages, Benmalek deploys an uncompromising lucidity. He observes contemporary barbarism, wars, exiles, and the loss of meaning, drawing this simple conclusion: literature does not save, but it prevents spiritual death. It keeps alive the possibility of a free gaze and an awakened conscience.

Irina, un opéra russe is thus much more than a novel: it is a work of resistance and memory, an internal opera where pain harmonizes with tenderness, and where truth is conquered word by word. Benmalek, faithful to his own high standards, reminds us that the only nobility of the writer is to "do one’s best"—that is, to never yield to oblivion or to the easy way out.

In a world saturated with images and emptied of meaning, his book resonates as an act of faith in reading itself: reading to think, reading so as not to disappear.


Source: https://kapitalis.com/tunisie/2025/12/10/anouar-benmalek-lopera-de-la-memoire-et-de-lexil/



lundi 8 décembre 2025

(Ou comment j'ai su, après un rêve, que je "tenais" le roman qui allait devenir "Irina, un opéra russe"...)

 

De l’épiphanie profane en matière de construction de romans

Anouar Benmalek, décembre 2021 

(revue Apulée n°7)


 


Une des périodes les plus difficiles pour un écrivain, du moins  à l’aune de ma modeste expérience, est celle qui suit la publication d’un livre. Après avoir peiné pendant des années  à écrire celui qui vient juste de paraître, avoir attendu avec une impatience inquiète les réactions médiatiques, après avoir été inévitablement et naïvement déçu de ce que le livre n’ait en rien changé ne serait-ce que de manière très marginale ce qui vous a poussé à sacrifier  autant de cette chair  irremplaçable qu’est le temps, substance même de votre existence,  il faut déjà reprendre le collier, car déjà les affres du « manque » vous assaillent.

« Le manque », le terme employé par les alcooliques ou les accrocs aux drogues dures…

Pourquoi écrit-on, au fait ? Pourquoi ai-je écrit, par exemple, L’amour au temps des scélérats en y sacrifiant quatre années de ma vie ? Et pourquoi ai-je déjà commencé à travailler sur le suivant ? Je ne sais pas répondre honnêtement et de manière convaincante à cette question.  

Essayons de décrire le processus d’écriture par le début. Il y a d’abord l’étape du projet où vous tentez, pas convaincu pour un sou, de dresser la liste, vague et contradictoire des raisons plus ou moins péremptoires qui rendraient impérative la « fabrication » d’un nouveau roman, le vôtre, différent, lui, de tous ceux qui encombrent des milliers de kilomètres d’étagères à travers le monde, la plupart inutiles, redondants, verbeux, destinés à la poussière et à l’oubli.

Pour un être doué de rationalité, il y a toutes les raisons du monde de ne pas écrire : dans un sens, tout aurait déjà été écrit ! L’écrivain se figure, à chaque nouvelle tentative, partir à la découverte d’un continent inconnu. Quand il y accoste (s’il n’a pas fait naufrage avant, ce qui est le sort le plus fréquent), et s’il n’est pas trop vaniteux (ou sot, mais, dans ce cas d’espèce, les termes sont à peu près équivalents), il aura bien assez tôt à se rendre à l’évidence que d’autres voyageurs l’ont déjà précédé sur sa prétendue Terra nullius, y construisant  depuis longtemps et avec autrement de talent vies, œuvres et civilisations sans aucunement avoir eu besoin de lui !

Mais il faut croire qu’en tant qu’écrivain, je dois faire partie de cette sous-espèce de l’humanité têtue et rétive à tous ces arguments de bon sens, car, même répétés ad nauseam, ces derniers n’arrivent décidément pas à m’empêcher de récidiver.

Et tant pis pour la nécessaire vertu de modestie, tant pis pour les arbres et la déforestation… À propos, quelqu’un aurait-il déjà calculé le bilan carbone d’un roman « inutile » ?

Je sais qu’en ce qui me concerne,  l’écriture d’un roman se décompose grossièrement en deux phases.

La première est composée de balbutiements, de retours en arrière, d’abandons, de reprises de passages « mal foutus », durant laquelle on accumule des pages et des pages sans être assuré que le livre qu’on prémédite (à l’instar d’un crime)  mérite de venir au monde et, surtout, d’être soumis au regard impitoyable des autres. On écrit à ce moment pour une raison quasi biologique : parce qu’on a besoin d’écrire, tout comme l’ivrogne a besoin de boire ou le croyant de croire.

Pendant cette phase d’incubation du roman, la tentation de tout laisser tomber et de revenir à une vie plus « saine », débarrassée de cette stupide ambition d’écrire « le grand livre », est omniprésente. La vie, n’est-ce pas ? est si courte et tout concourt à vous rappeler combien est forte la probabilité de l’avortement ridicule de votre « superbe » projet.

Je ne passe à la seconde phase que si j’ai la chance, presque au sens mystique, de « connaître une épiphanie ». Ce mot-là, épiphanie, dérivant du grec par l’intermédiaire du latin, signifie « apparition » ou « manifestation » selon les dictionnaires. Il appartenait déjà au registre religieux de l’antiquité romaine avant de prendre le sens de « l’apparition du Christ dans le monde » pour les chrétiens et, de manière plus profane : « manifestation soudaine de ce qui était caché. »

Je m’explique, en prenant l’exemple de l’Amour au temps des scélérats (E. Collas). Il me suffit de feuilleter mes notes d’avant-roman pour retranscrire l’espèce de cahier de charge que je m’étais fixé alors.

En voici certaines, un peu dans le désordre, remises perpétuellement à jour tout le long de l’écriture du roman, présentées sous la forme de réponses à une question pompeuse que je me suis posée à moi-même dès le début et pendant de longs mois : « Pourquoi donc tiens-tu tellement à écrire ce roman dont l’essentiel se passerait en Syrie, dans un contexte qui ne peut être a priori qu’effroyable, après avoir traité de tant d’évènements terribles écrasant ceux que tu appelles les « gens ordinaires », de la Shoah au génocide des Hereros, de la guerre d’Algérie à l’expulsion des morisques d’Espagne, de l’anéantissement des Aborigènes de Tasmanie à la barbarie des GIA algériens ?»

Les réponses qui suivent  ne diffèrent de celles que j’avais gribouillées à l’époque sur un grand cahier que par un peu d’apprêt syntaxique et l’introduction de noms de personnages que je n’avais pas encore choisis (et pour cause !) :

1)                     « Parce que je voudrais écrire une version mésopotamienne, à la fois antique et contemporaine, de  Tristan et Yseult, Qaïs et Leïla, Roméo et Juliette ;

2)                     Parce que je voudrais écrire une histoire d’amour absolue, intemporelle,  entre un être, Tammouz,  qui jouirait de la malédiction de la vie éternelle et une femme de l’époque de Sumer, condamnée, elle,  à la tragédie de la finitude humaine ;

3)                     Parce je voudrais raconter la recherche désespérée de la trace de cet amour à travers les siècles par cet être-djinn étrange Tammouz  aimé des chats, qui n’est pas le diable, qui lui ressemble néanmoins, au moins par la punition invraisemblable que lui a infligée son « Patron » (Dieu, en l’occurrence »)  de coexister  avec les humains et d’y découvrir, à chaque fois renouvelés, les ravages de la  réitération du sacrifice d’Abraham ;

4)                     Parce que je voudrais écrire sur la fascination morbide qu’éprouvent les croyants des religions monothéistes envers le personnage d’Abraham  poussant la soumission  jusqu’à accepter l’impensable : assassiner le fils tant aimé ;

5)                     Parce que je voudrais écrire  sur la justification par Abraham de son effarante attitude  et sur celle qu’en tirent  les  fanatiques de toute époque à propos de leurs propres crimes, en particulier ceux de Daech et leurs semblables ;

6)                     Parce que je voudrais écrire sur la recherche de rédemption d’un pilote de drone, indien lakota pourtant, fonctionnaire maigrement payé de la mise à mort quotidienne à partir d’un fauteuil ;

7)                     Parce que je voudrais écrire sur la douleur des adeptes d’une vieille religion minoritaire, les Yézidis, cruellement exterminés au milieu du silence du monde, arabe en particulier — d’une Yézidie en particulier, Zayélé, dont les deux enfants sont enlevés par Daech ;

8)                     Parce que,  d’un côté, tel Houda l’apprentie diva, je n’ai pas oublié la férocité du régime d’Assad et que, de l’autre, tel Tammouz l’amoureux trahi de Dieu,  il m’est impossible de pardonner  aux anciens et aux nouveaux Abraham leur si insupportable docilité. »

 

Quelle a été l’épiphanie responsable de ce roman, c’est-à-dire le passage à ce que j’appelle, faute de mieux, la seconde phase ? Je crois pouvoir dater ce moment de manière assez précise : j’écoutais sans attention précise une chanson de la grande cantatrice Asmahan, figure romanesque s’il en est, belle, libre, extraordinairement talentueuse et morte tragiquement à trente-deux ans. Mon humeur était mélancolique, car mon travail n’avançait pas assez, je sentais bien qu’il manquait à mon livre ce quelque chose de sacré, de miraculeux, qui transcende l’existence banale soumise à la dure loi de l’entropie,  cet invraisemblable qui fait la grandeur des romans universels par excellence tels, par exemple, la Bible ou les Upanishad.

Et puis, brusquement, j’ai eu comme une illumination — une épiphanie, vous dis-je : dans le contexte avilissant de mon roman, la Syrie contemporaine, ce dernier devrait  montrer la puissance de l’art (du chant ici) dans la volonté de survie de l’apprentie artiste que j’avais créée. Et c’est ce fameux Tammouz, diable peut-être,  qui allait lui donner (au sens de don) une voix infiniment plus belle que celle d’Asmahan, d’Oum Kelthoum et de Faïrouz, une voix qui pourrait même « lutter » contre la barbarie des assassins  ! De cette manière invraisemblable (mais crédible !), la vie de Houda — et sa mort — pouvait être justifiée, car, au fond, seuls l’amour et l’art légitiment, au moins provisoirement, l’ existence insignifiante que  nous menons sur notre petite planète au sein d’un univers abominablement  immense et sourd.

Dès le lendemain, j’ai su que je « tenais » mon roman, qu’il venait d’être doté d’une « âme », et que le reste, la deuxième phase,  n’était plus qu’une question de travail acharné, de discipline et de foi monastique dans la religion du roman !

C’est ce qui vient de m’arriver avec mon nouveau livre. Je remue depuis plusieurs mois des bouts de textes mêlant la Russie, l’Algérie, la répression dans l’un et dans l’autre des deux pays. J’ai vécu plusieurs années dans l’ex-URSS pour préparer une thèse de mathématiques, j’aime infiniment la littérature russe, sa poésie, j’ai toujours été abasourdi par le caractère excessif de tout ce qui concerne l’histoire de ce pays, la monstruosité de ses malheurs, l’incroyable cruauté du système pénitencier communiste et des assassinats collectifs du régime stalinien confinant au génocide au Kazakhstan et en Ukraine, le sacrifice inimaginable de la population soviétique durant  la Seconde Guerre mondiale…

Mais l’épiphanie (décidément, j’aime de plus en plus, ce mot !) qui m’a permis de ressentir (de manière violente, à vrai dire) que mon nouveau roman allait « exister » par lui-même  a été, cette fois-ci,  une expérience extrêmement désagréable, dont le simple ressouvenir me met encore profondément mal à l’aise.

Voilà comment ce cauchemar s’est inscrit de lui-même, presque à mon insu, dans mon nouveau travail. J’ai écrit le premier jet de ce passage la nuit même du rêve, car je n’osais plus me rendormir. Peut-être m’a-t-il révélé, au passage, que le roman « vrai » que je tente d’écrire sur la Russie ne saurait s’apparenter qu’à l’ascension de l’Himalaya par un alpiniste  naïf auquel feraient défaut et l’expérience de l’alpinisme et la connaissance des innombrables dangers de pareille entreprise.

 

 

… Irina et lui se trouvent en vacances quelque part dans un pays de soleil, en Crimée peut-être, il n’en est pas assuré mais elle parlait souvent avec envie du climat enchanteur de la Crimée. Leur première nuit à l’hôtel a été merveilleuse. Le matin, il fait tellement chaud qu’Irina a préféré rester paresser dans la chambre, lui optant pour une promenade dans ce qui ressemble à un marché. À cet instant du songe, peu d’êtres humains pourraient se vanter d’être plus heureux que l’homme en proie au songe dans son lit algérois. Puis se produit un échange assez vif avec un marchand à propos d’une broutille, le vendeur se calmant aussitôt après l’intervention d’un policier  en uniforme russe, mais arborant une casquette et des épaulettes algériennes. L’absence de définition du lieu alarme le dormeur, la masse gélatineuse de son cerveau conservant le souvenir apeuré des précédents cauchemars. Même si le double uniforme du milicien prête à rire, l’inquiétude gagne le prisonnier du rêve. Il prend le parti de rejoindre au plus vite son amie. Mais les pas du cauchemar le dirigent contre son gré vers un autre immeuble, un grand hôtel de luxe. Une femme de ménage  y procède sans ménagements au lavage de l’entrée à grandes eaux savonneuses. Il est tout trempé quand il pénètre dans la cabine de l’ascenseur – avec un autre touriste, visiblement tout aussi préoccupé que lui.   Au dernier étage, tous deux se retrouvent dans un hall où des hommes font sortir avec brutalité des clients d’une chambre ; l’un de ces clients, un  vieil Asiatique transporté par les pieds et les épaules, se révèle un cadavre. Affolé, le rêveur ne pense plus qu’à son amoureuse sans défense dans l’autre établissement. Les cris dans le hall redoublent, se transforment en braillements de terreur, comme si le massacre de tous ceux qui se trouvent à l’étage a débuté. Pris d’une ignoble panique, il se réfugie dans un cabinet de toilette ; les bruits se rapprochent, il soulève alors une sorte de trappe et, se glissant par l’ouverture miraculeuse, se retrouve dans une autre cabine d’ascenseur, celle-là aux parois transparentes. Il a à peine le temps de se sentir à l’abri qu’il aperçoit un individu à grandes moustaches qui le fixe d’un air furieux depuis un escalier. Le tueur — car c’en est, il en est certain à présent — se met à descendre à grandes enjambées pour le rattraper, beuglant à un acolyte : « Occupe-toi de sa pute ! »

Le dormeur — mais il a déjà les yeux ouverts à mi-parcours de son hurlement — se met à son tour à glapir : « Irina, sauve-toi ! Irina…»

 « Le Lucifer des cauchemars » : ainsi le désigna-t-il au petit matin, moulu de fatigue  d’avoir lutté avec force cafés contre le sommeil et son hôtel de sinistres tueurs. Ce rêve-là, il ne prit pas la peine d’en garder une trace écrite — il jeta d’ailleurs le carnet des rêves précédents. C’était inutile tellement était tenace la peur nauséeuse qu’il lui causa : d’abord, essaya-t-il d’argumenter, ce n’était qu’un vulgaire salmigondis de réactions électrochimiques entre neurones fatigués et  il n’y avait pas lieu d’en faire tout un plat. Une partie de sa raison lui soufflait pourtant que ce n’était pas une simple bulle malodorante s’élevant du marécage d’un endormissement contrarié par un dérangement intestinal ; peut-être même, osa-t-elle suggérer, qu’une répétition du même cauchemar où ce dernier parviendrait à son terme  concourrait, va savoir ! à le faire accéder à la réalité, lui permettant du coup d’attenter pour de vrai cette fois-ci à sa vie et à celle de sa chère et maudite Irina.

Oui, c’était plus que ridicule, ce soupçon superstitieux qu’un cauchemar pût recéler autre chose qu’une hallucination onirique, peut-être même s’avérer l’équivalent d’une prémonition en attente de réalisation — mais il lui fallut néanmoins plusieurs mois pour s’en délivrer. En s’accommodant, en particulier, d’une explication psychanalytique cousue de fil blanc : « Ton âme veut se libérer définitivement de la passion maladive que tu éprouves pour Irina, alors ton subconscient a trouvé un expédient radical pour en finir avec elle : tuer l’objet de cet amour …»




Here is the English translation of the text by an AI. Consequently, contextual inaccuracies or errors in meaning may occur.



On the Secular Epiphany in the Crafting of Novels

Anouar Benmalek, December 2021 (Apulée, No. 7)


One of the most arduous periods for a writer—at least by the measure of my own modest experience—is that which follows the publication of a book. After toiling for years to write the volume that has just appeared; after waiting with a restless, anxious impatience for the media’s response; after being inevitably and naively disappointed that the book has changed nothing, not even in the most marginal way, of what drove you to sacrifice so much of that irreplaceable flesh we call time—the very substance of one's existence—one must already take up the yoke again, for already the throes of "withdrawal" begin their assault.

"Withdrawal": the term used by alcoholics or those enslaved to hard drugs.

Why do we write, in truth? Why did I write, for instance, Love in the Time of Scoundrels, sacrificing four years of my life to it? And why have I already begun work on the next? I cannot answer this question honestly or convincingly.

Let us attempt to describe the writing process from its inception. First comes the project stage, where you attempt—not convinced for a single penny—to draw up a vague and contradictory list of more or less peremptory reasons that might render the "fabrication" of a new novel imperative: your novel, which will be different from the thousands of miles of shelves cluttering the world, most of them useless, redundant, verbose, destined for dust and oblivion.

For a being endowed with rationality, there is every reason in the world not to write: in a sense, everything has already been written! With every new attempt, the writer imagines himself setting sail to discover an unknown continent. When he makes landfall (provided he has not been shipwrecked beforehand, which is the more frequent fate), and if he is not too vain—or foolish, though in this instance the terms are nearly equivalent—he will realize soon enough that other travelers have preceded him upon his so-called Terra nullius, having long since built lives, works, and civilizations there with far greater talent, without having had any need of him at all!

Yet, one must believe that as a writer, I belong to that stubborn subspecies of humanity, restive to all such common-sense arguments; for even when repeated ad nauseam, they fail to prevent me from reoffending.

And so much for the necessary virtue of modesty; so much for the trees and deforestation... By the way, has anyone yet calculated the carbon footprint of a "useless" novel? 

In my own case, I know that the writing of a novel breaks down roughly into two phases.

The first is composed of stammers, retreats, abandonments, and the reworking of "botched" passages, during which one accumulates page after page without any certainty that the book one is premeditating (much like a crime) deserves to be born—or, above all, to be subjected to the pitiless gaze of others. One writes at this moment for an almost biological reason: because one needs to write, just as the drunkard needs to drink or the believer needs to believe.

During this incubation phase, the temptation to abandon everything and return to a "healthier" life—stripped of this stupid ambition to write "the great book"—is omnipresent. Life, is it not, is so short; and everything conspires to remind you how high the probability is of the ridiculous abortion of your "superb" project.

I only pass into the second phase if I am fortunate enough, in an almost mystical sense, to "experience an epiphany." That word, epiphany, deriving from Greek via Latin, means "appearance" or "manifestation," according to the dictionaries. It belonged to the religious register of Roman antiquity before taking on the meaning of "the appearance of Christ in the world" for Christians, and in a more secular sense: "the sudden manifestation of that which was hidden."

Let me explain, using the example of Love in the Time of Scoundrels. I need only leaf through my pre-novel notes to transcribe the sort of mandate I had set for myself then. Here are some of them, somewhat jumbled, perpetually updated throughout the writing of the novel, presented as answers to a pompous question I posed to myself from the start and for many months thereafter:

"Why do you insist so much on writing this novel, the bulk of which would take place in Syria, in a context that can only be, a priori, appalling—after having dealt with so many terrible events crushing those you call 'ordinary people,' from the Shoah to the Herero genocide, from the Algerian War to the expulsion of the Moriscos from Spain, from the annihilation of the Tasmanian Aborigines to the barbarity of the Algerian GIA?"

The following answers differ from those I scribbled at the time in a large notebook only by a bit of syntactical polish and the introduction of character names I had not yet chosen (and for good reason!):

  1. Because I should like to write a Mesopotamian version, at once ancient and contemporary, of Tristan and Iseult, Qays and Layla, Romeo and Juliet;

  2. Because I should like to write an absolute, timeless love story between a being, Tammouz, who enjoys the curse of eternal life, and a woman from the era of Sumer, condemned to the tragedy of human finitude;

  3. Because I should like to recount the desperate search for the trace of this love across centuries by this strange jinni-being, Tammouz—beloved of cats, who is not the devil, yet resembles him at least in the improbable punishment inflicted upon him by his "Boss" (God, in this instance): to coexist with humans and to discover therein, renewed each time, the ravages of the reiteration of the sacrifice of Abraham;

  4. Because I should like to write of the morbid fascination that believers of monotheistic religions feel toward the figure of Abraham, pushing submission to the point of accepting the unthinkable: murdering the dearly loved son;

  5. Because I should like to write of Abraham’s justification for his staggering attitude, and of the justification drawn from it by fanatics of every era regarding their own crimes, particularly those of Daesh and their ilk;

  6. Because I should like to write of the quest for redemption of a drone pilot—a Lakota Indian, nonetheless—a meagerly paid civil servant of daily execution from an armchair;

  7. Because I should like to write of the suffering of the followers of an ancient minority religion, the Yazidis, cruelly exterminated amidst the silence of the world—the Arab world in particular—and of one Yazidi woman in particular, Zayélé, whose two children are abducted by Daesh;

  8. Because, on one hand, like Houda the apprentice diva, I have not forgotten the ferocity of the Assad regime; and on the other, like Tammouz, the betrayed lover of God, it is impossible for me to forgive the Abrahams of old and new for their insufferable docility.


What was the epiphany responsible for this novel—that is, the transition to what I call, for lack of a better term, the second phase? I believe I can date this moment quite precisely: I was listening, without any particular focus, to a song by the great cantatrice Asmahan, a novelistic figure if ever there was one—beautiful, free, extraordinarily talented, and tragically dead at thirty-two. My mood was melancholy, for my work was not progressing enough; I felt clearly that my book lacked that something sacred, something miraculous, which transcends a banal existence subject to the harsh law of entropy—that implausibility which constitutes the grandeur of the truly universal novels, such as, for example, the Bible or the Upanishads.

And then, suddenly, I had a kind of illumination—an epiphany, I tell you: in the debasing context of my novel, contemporary Syria, the book must show the power of art (of song, in this case) in the will to survive of the apprentice artist I had created. And it was this famous Tammouz, a devil perhaps, who would give her (in the sense of a gift) a voice infinitely more beautiful than those of Asmahan, Umm Kulthum, and Fairuz—a voice that could even "struggle" against the barbarity of the assassins! In this implausible (yet credible!) way, Houda’s life—and her death—could be justified; for, at heart, only love and art legitimize, at least provisionally, the insignificant existence we lead on our tiny planet within an abominably immense and deaf universe.

The very next day, I knew I "had" my novel, that it had just been endowed with a "soul," and that the rest—the second phase—was nothing more than a matter of relentless toil, discipline, and a monastic faith in the religion of the novel!

This is exactly what has just happened to me with my new book. For several months, I have been stirring pieces of text mixing Russia and Algeria, and the repression in both countries. I lived for several years in the former USSR while preparing a mathematics thesis; I love Russian literature infinitely, its poetry; I have always been stunned by the excessive character of everything concerning that country's history: the monstrosity of its misfortunes, the incredible cruelty of the communist penitentiary system and the collective assassinations of the Stalinist regime bordering on genocide in Kazakhstan and Ukraine, the unimaginable sacrifice of the Soviet population during the Second World War...

But the epiphany (decidedly, I like this word more and more!) that allowed me to feel (quite violently, in truth) that my new novel was going to "exist" of its own accord was, this time, an extremely unpleasant experience, the mere recollection of which still leaves me deeply uneasy.

This is how that nightmare inscribed itself, almost without my knowledge, into my new work. I wrote the first draft of this passage the very night of the dream, for I no longer dared go back to sleep. Perhaps it revealed to me, in passing, that the "true" novel I am attempting to write about Russia can only be likened to the ascent of the Himalayas by a naive climber who lacks both the experience of mountaineering and the knowledge of the innumerable dangers of such an undertaking.



...He and Irina are on holiday somewhere in a land of sun, in Crimea perhaps; he is not certain, but she often spoke with longing of the enchanting climate of Crimea. Their first night at the hotel was wonderful. In the morning, it is so hot that Irina preferred to remain idling in the room, while he opted for a walk through what resembles a market. At this moment in the vision, few human beings could boast of being happier than the man prey to the dream in his Algiers bed.

Then a rather sharp exchange occurs with a merchant over a trifle; the seller calms down immediately following the intervention of a policeman in a Russian uniform, but sporting an Algerian cap and epaulettes. The lack of definition of the place alarms the sleeper, the gelatinous mass of his brain retaining the fearful memory of previous nightmares. Even if the militiaman’s dual uniform is laughable, anxiety overcomes the prisoner of the dream. He decides to rejoin his friend as quickly as possible. But the steps of the nightmare lead him against his will toward another building, a large luxury hotel. A cleaning woman there is unceremoniously washing the entrance with great floods of soapy water. He is quite drenched when he enters the elevator car—with another tourist, visibly just as preoccupied as he.

On the top floor, they both find themselves in a hall where men are brutally dragging guests out of a room; one of these guests, an elderly Asian man carried by his feet and shoulders, is revealed to be a corpse. Distraught, the dreamer thinks only of his defenseless lover in the other establishment. The cries in the hall redouble, turning into bellows of terror, as if the massacre of everyone on the floor has begun. Seized by a base panic, he takes refuge in a restroom; the noises draw closer; he then lifts a kind of hatch and, slipping through the miraculous opening, finds himself in another elevator car, this one with transparent walls. He has barely enough time to feel safe before he notices an individual with a large mustache staring at him with a furious expression from a staircase. The killer—for he is one, he is certain now—begins to descend with great strides to catch him, bellowing to an acolyte: "Deal with his whore!"

The sleeper—but his eyes are already open midway through his scream—begins in turn to shriek: "Irina, save yourself! Irina..."

"The Lucifer of nightmares": thus did he designate him in the early morning, exhausted from having fought with strong coffees against sleep and its hotel of sinister killers. This dream he did not bother to record in writing—indeed, he threw away the notebook of previous dreams. It was unnecessary, so tenacious was the nauseating fear it caused him: at first, he tried to argue that it was merely a vulgar hodgepodge of electrochemical reactions between tired neurons and there was no reason to make a fuss. Yet a part of his reason whispered that it was not a simple foul-smelling bubble rising from the swamp of a slumber thwarted by intestinal upset; perhaps even, it dared to suggest, a repetition of the same nightmare reaching its conclusion might—who knows!—cause it to cross into reality, allowing it to truly strike at his life and that of his dear and cursed Irina.

Yes, it was more than ridiculous, this superstitious suspicion that a nightmare could harbor anything other than a dream-hallucination, perhaps even prove to be the equivalent of a premonition awaiting fulfillment—but it took him several months, nonetheless, to be delivered from it. By reconciling himself, in particular, to a transparently thin psychoanalytic explanation: "Your soul wants to free itself definitively from the morbid passion you feel for Irina, so your subconscious found a radical expedient to be done with her: kill the object of that love..."

dimanche 7 décembre 2025

Censure : Travaux pratiques par Anouar Benmalek ( Avril 1988)

 

                                             Censure : Travaux pratiques

Colloque sur « l’écrivain face à l’expression »

                                                                  Avril 1988


                Je voudrais, avant de commencer, remercier la Ligue algérienne des droits de l’homme de me permettre de m’exprimer. Je désirerais, cependant, regretter publiquement que ne soient pas présentes à cette tribune d’autres personnes, peut être mieux placées que moi pour parler de la censure et des atteintes à la liberté d’expression. Je pense en particulier à maître Ali Yahya qui, malgré toutes les mesures répressives prises à son encontre, n’a jamais cessé d’être au premier rang de la lutte pour les droits de l’homme, je pense au grand Kateb et à ses multiples déboires dans sa pratique théâtrale, je pense au chanteur Ferhat, à Matoub Lounes et à tant d’autres qui refusent de penser qu’un « peuple trop fier n’est pas un bon peuple » ou qu’un habitant du monde arabe est fait seulement pour avoir peur.



Comment un écrivain peut-il parler sereinement de son ennemi suprême : la censure ? Comment l’écrivain, ou l’artiste, dont Fellini disait récemment que sa seule fonction est d’élever une voix différente dans un concert de voix homologuées, chantant toutes le même hymne, récitant le même sermon, comment ce même écrivain pourrait-il analyser avec les yeux de l’objectivité scientifique ce monstre froid, la censure, qui ne rêve que de standardisation, d’autorisation et d’interdiction ?

Voilà l’exercice difficile auquel je me suis astreint…et auquel, malheureusement, je n’ai pu donner qu’une réponse très insatisfaisante. D’une part, parce que les mots m’ont manqué devant l’impudence et la tranquille assurance de ceux pour qui les mots sont justement là pour être réquisitionnés, assagis, disciplinés.

D’autre part, parce que c’était une tâche bien présomptueuse, en si peu de temps, de parler de la vie et de la mort, de la vie qui est désordre, joie, création, angoisse, doute, de la mort qui est l’ordre, le prévu, le calme, la censure extrême…

Je ne ferai donc pas une analyse générale. Je me contenterai de rapporter mon expérience personnelle dans ce domaine, jugeant, peut-être à tort, que cela pourrait fournir matière à généralisation.

J’ai eu la chance de voir déjà publiés quatre de mes livres. Mais, chez nous, publication ne veut pas dire forcément vente en librairie.

Mon premier livre, un recueil de poèmes, « Cortèges d’impatiences », publié à l’étranger, avait été refusé à l’achat par le service des importations de l’ENAL, l’Entreprise nationale du livre en Algérie, dans des conditions qu’a posteriori, il m’est difficile de ne pas considérer comme ironiques.

J’avais, en effet, proposé ce recueil, accompagné de diverses coupures de journaux. La presse nationale avait eu l’indulgence de trouver un certain nombre de qualité à ce petit opuscule et ne s’était pas privé de le dire.

Coupable faiblesse de sa part, semble-t-il, puisque, quelques semaines plus tard, un des responsables du service d’importation m’apprenait que « Cortèges d’Impatiences » ne pouvait figurer sur la liste des achats étrangers de l’ENAL. Il m’expliquait alors que : « malgré l’opinion favorable de notre comité de lecture, nous avons le regret de vous informer que nous avons été obligés de signaler qu’un de vos poèmes critiquait durement un pays du Golfe. Et sur cette base, la tutelle a apposé son veto. Vous comprenez, ajoutait le fonctionnaire,  un peu gêné, que si nous ne l’avions pas signalé… »

Cela se passait en 1984. Le fonctionnaire avait raison : dans un poème intitulé : « Bacchanale du Prince Fahd », j’avais commis la faute de m’indigner de ce que des hommes eussent pu être décapités sur la place publique, après avoir eu les pieds et les mains coupés. Évidemment, ce faisant, j’avais porté atteinte à la souveraineté nationale d’un peuple frère.

J’ai qualifié ces conditions d’ironiques car, comme pour se rattraper, ce monsieur, charmant par ailleurs, me proposait de soumettre mes autres manuscrits à l’ENAL. « Au moins, vous n’auriez plus à passer par cette commission d’achat. Vous seriez sur place… »  

Aussitôt dit, aussitôt fait. Trois livres furent donc édités par l’ENAL.   Passons sur les difficultés qu’il y a d’être écrivain chez l’ENAL, sur les délais pharaoniques d’impression, sur e manque absolu de promotion du livre.

Passons également sur la présentation déplorable des ouvrages, des coquilles. « Rakesh, Vishnou et les Autres », publié en février 86 est un modèle du genre. Une nouvelle y est même privée de sa fin. Commentaire d’un employé du service de la fabrication : « Oh, ce n’est pas très grave, vos lecteurs ne s’en apercevront pas puisque la nouvelle se termine malgré tout par un point ! » .

Fermons pudiquement les yeux sur le non paiement, parfois, des droits d’auteur. Comme tout écrivain algérien publié par l’ENAL, je me suis rapidement résigné, jugeant que tout cela était secondaire devant l’essentiel : que les livres paraissent et soient lus…

Optimisme, quand tu nous tiens !

Mon dernier livre, un roman, « Ludmilla ou le violon à la mort lente », a été publié en août 86 (et bien vendu, si l’on considère la rapidité d’écoulement de certains stocks…) puis brusquement retiré de toutes les librairies d’Algérie sur simple instruction de l’ENAL. Consultés, le Directeur Général et le Directeur du département édition m’ont donné comme seule justification que l’instruction venait d’une structure hiérarchiquement supérieure à eux (Que les Algériens sont forts en euphémismes! ). Le livre aurait fortement déplu à certains et aux « amis » de certains… Parlons en clair : l’ambassade d’Union Soviétique se serait plainte à qui de droit et qui de droit, ne voulant pas d’histoire, s’est incliné.

J’ai fait remarquer que si l’on examinait et le contrat et les textes de loi régissant l’édition dans notre pays, seule une décision des tribunaux, motivée par des articles du code pénal, pouvait prétendre « bannir » un ouvrage publié par une maison d’édition gouvernementale. Rien n’y fit puisqu’à une seconde demande d’explications, on me fit savoir, par le biais de la secrétaire de service, que, non, « on » ne pouvait m’accorder une audience, que, non, « on » ne pouvait me fixer une date de rendez-vous, aussi éloignée fût-elle, que, non, je ne recevrais aucune décision officielle d’interdiction, que, non,…

Et voilà que, par la vertu du mépris administratif, je passais du rang d’écrivain à celui de quémandeur rabroué !

Dans cette affaire, il n’est pas de mon propos d’accabler l’ENAL. Dans cet acte de censure, les responsables de l’ENAL n’ont été que les exécuteurs, zélés certes, mais exécuteurs seulement d’une décision prise plus haut. Quant à savoir qui a ordonné réellement la saisie du livre, cela est beaucoup plus compliqué car tout se passe oralement ou par téléphone. Les écrits seraient trop susceptibles évidemment, d’être brandis devant un tribunal par le censuré.

En vous exposant ces deux expériences personnelles de censure, je n’ai pas désiré seulement illustrer le titre de mon intervention : « censure : travaux pratiques ».

C’est parce que je suis persuadé que beaucoup de confrères, plus connus que moi, ont vécu de semblables déboires que je me suis permis de parler de moi, de ce moi dont on dit, souvent à raison, qu’il est si haïssable de le faire passer avant les autres.

C’est parce que, comme tant de mes concitoyens, je suis non seulement contre la censure, mais aussi contre son compagnon inséparable : le mensonge. C’est parce que je crois profondément à ce proverbe des anciens Arabes : « un quartier de charogne de chien sent meilleur que le mensonge d’un homme ».

Laissez moi vous faire part de mon utopie. Le pasteur Martin Luther King, dont on a commémoré il y a quelques jours l’assassinat, le Dr King avait dit dans un célèbre discours : I have a dream, j’ai un rêve. Il disait que, dans son rêve, les États Unis d’Amérique devenaient un peuple fraternel, de justice, de paix, d’égalité entre les races. Bien sûr, ce n’était qu’un rêve.

Mais, moi aussi, pour mon pays, j’ai un rêve. I have a dream.

Je rêve que mon pays devienne un pays où il ne soit plus dangereux d’être un citoyen libre, responsable, doué de raison, de jugement, de discernement et donc, finalement, de choix.

Je rêve que, dans mon pays, cela ne soit plus un malheur ou un délit de penser, d’écrire ou d’agir autrement que selon la ligne officielle.

Je rêve que dans mon pays, les gens puissent s’organiser comme ils l’entendent, à la seule condition qu’ils respectent les lois d’une République juste et démocratique, qu’ils puissent fonder les associations et les partis qu’ils désirent parce que nous sommes à la fin du 20ième siècle, siècle malgré tout du progrès, et parce que la notion de parti unique est une notion extrêmement réductrice et ne peut englober toutes les contradictions et les opinions diverses qui traversent et agitent une communauté aussi importante qu’un peuple.

Je rêve de ce pays tolérant où l’homme et la femme libres pourront s’exprimer sans que les services de sécurité ne viennent les cueillir, la nuit tombée ou au petit matin.

Je rêve d’un pays où je pourrais lire, voir et écouter avec respect des livres, des journaux, la télévision, la radio sans être obligé, comme c’est le cas aujourd’hui, d’essayer de lire entre les lignes de la propagande la plus éhontée ou de me rabattre sur les médias étrangers pour être au courant de ce qui se passe chez nous.

Je rêve, enfin, d’un pays qui prendrait sa vraie place au sein d’un monde arabe rénové, de ce monde arabe enfin débarrassé de la sujétion et de l’asservissement que la plupart des pouvoirs en place exercent sur ceux qu’ils sont censés mener vers un avenir meilleur.

Bien sûr, ce n’est qu’un rêve, mais les hommes sont ainsi faits que leurs rêves, et parfois leurs cauchemars, sont destinés à se réaliser.

Œuvrons donc, ensemble, dans ce sens, pour réaliser ce rêve, parce que nous le devons à nos innombrables martyrs qui, pendant la guerre de libération, sous la torture la plus sauvage, n’ont pas parlé, afin que nous, maintenant, l’indépendance recouvrée, nous puissions parler.

                   Merci de m’avoir écouté jusqu’au bout.

                    ( Avril 1988)



 


Here is the English translation of the text by an AI. Consequently, contextual inaccuracies or errors in meaning may occur.



Censorship: A Practical Exercise

Colloquium on "The Writer Confronting Expression" April 1988


Before I begin, I should like to thank the Algerian League for Human Rights for granting me this opportunity to speak. I must, however, express my public regret that others are not present at this rostrum—individuals perhaps far better placed than I to speak of censorship and the encroachments upon the freedom of expression. I think particularly of Maître Ali Yahya who, despite all repressive measures leveled against him, has never ceased to stand at the vanguard of the struggle for human rights; I think of the great Kateb and his manifold tribulations within the theater; I think of the singer Ferhat, of Matoub Lounes, and of so many others who refuse to believe that a "people too proud is not a good people," or that an inhabitant of the Arab world is destined only for fear.

How can a writer speak serenely of his supreme enemy: censorship? How can the writer, or the artist—of whom Fellini recently remarked that his sole function is to raise a different voice within a concert of sanctioned voices, all singing the same hymn, all reciting the same sermon—how could this same writer analyze with the eye of scientific objectivity that cold monster, censorship, which dreams only of standardization, of authorization, and of interdiction?

Such is the arduous exercise to which I have bound myself... and to which, alas, I have been able to offer only a most unsatisfactory response. On one hand, because words failed me in the face of the impudence and the tranquil assurance of those for whom words exist precisely to be requisitioned, tamed, and disciplined. On the other, because it was a most presumptuous task, in so brief a time, to speak of life and death—of life, which is disorder, joy, creation, anguish, and doubt; and of death, which is order, the foreseen, the calm, the ultimate censorship...

I shall not, therefore, offer a general analysis. I shall content myself with recounting my personal experience in this domain, judging—perhaps wrongly—that it might provide the raw material for a broader generalization.

I have been fortunate enough to see four of my books published. But in our country, publication does not necessarily translate to sales in the bookshop.

My first book, a collection of poems entitled Cortèges d’impatiences, published abroad, was refused purchase by the import service of the ENAL (the National Book Enterprise in Algeria), under circumstances that, in retrospect, I find difficult not to describe as ironic. I had indeed submitted this collection accompanied by various press clippings. The national press had been indulgent enough to find a certain merit in this slim volume and had not hesitated to say so.

A guilty weakness on their part, it would seem; for a few weeks later, an official from the import service informed me that Cortèges d’Impatiences could not be included on the list of ENAL's foreign acquisitions. He explained: "Despite the favorable opinion of our reading committee, we regret to inform you that we were obliged to report that one of your poems harshly criticized a Gulf country. And on that basis, the oversight body exercised its veto. You understand," the official added, somewhat embarrassed, "that had we not reported it..."

This was in 1984. The official was right: in a poem titled "Prince Fahd’s Bacchanalia," I had committed the fault of expressing indignation that men could be beheaded in a public square after having their hands and feet severed. Evidently, in doing so, I had infringed upon the national sovereignty of a brotherly people.

I called these conditions ironic because, as if to make amends, this gentleman—charming in other respects—suggested I submit my other manuscripts directly to ENAL. "At least then you wouldn't have to go through the purchasing commission. You would be on the inside..."

No sooner said than done. Three books were subsequently published by ENAL. Let us pass over the difficulties of being a writer at ENAL—the Pharaonic delays in printing, the absolute lack of promotion. Let us also pass over the deplorable presentation of the works and the typographical errors. Rakesh, Vishnou et les Autres, published in February 1986, is a model of its kind. One short story is even deprived of its ending. The comment from a production employee: "Oh, it isn't very serious; your readers won't notice, since the story ends with a full stop regardless!"

Let us modestly close our eyes to the non-payment, at times, of royalties. Like every Algerian writer published by ENAL, I quickly resigned myself, judging all of this secondary to the essential goal: that the books appear and be read...

Optimism, how you hold us in your grip!

My latest book, a novel titled Ludmilla ou le violon à la mort lente, was published in August 1986 (and sold well, considering the speed with which certain stocks were depleted...) then was abruptly withdrawn from all bookstores in Algeria upon a simple instruction from ENAL. When consulted, the Director General and the Director of the Publishing Department gave me the sole justification that the instruction came from a structure hierarchically superior to them (how adept Algerians are at euphemisms!). The book had supposedly greatly displeased certain parties and the "friends" of certain parties... To speak plainly: the Soviet Embassy allegedly complained to the proper authorities, and the proper authorities, wishing for no trouble, bowed down.

I pointed out that if one examined both the contract and the laws governing publishing in our country, only a court decision, motivated by articles of the penal code, could claim to "ban" a work published by a state publishing house. It was all to no avail; upon a second request for explanation, I was informed via the duty secretary that, no, "one" could not grant me an audience; no, "one" could not set a date for a meeting, however distant; no, I would receive no official decree of prohibition; no...

And so, by the virtue of administrative contempt, I passed from the rank of writer to that of a rebuffed petitioner!

In this matter, it is not my purpose to overwhelm ENAL. In this act of censorship, the officials of ENAL were merely the executors—zealous, to be sure, but executors nonetheless—of a decision made higher up. As for knowing who actually ordered the seizure of the book, that is far more complicated, for everything transpires orally or by telephone. Written records would be too susceptible, evidently, to being brandished before a court by the censored party.

In setting forth these two personal experiences of censorship, I did not merely wish to illustrate the title of my talk: "Censorship: A Practical Exercise." It is because I am persuaded that many colleagues, more renowned than I, have suffered similar setbacks that I have taken the liberty of speaking of myself—of that "self" of which it is often said, and rightly so, that it is odious to place it before others.

It is because, like so many of my fellow citizens, I am not only against censorship, but also against its inseparable companion: the lie. It is because I believe profoundly in that proverb of the ancient Arabs: "A quarter of a dog's carcass smells better than the lie of a man."

Allow me to share my utopia with you. The Reverend Martin Luther King, whose assassination was commemorated a few days ago—Dr. King said in a famous speech: "I have a dream." He said that in his dream, the United States of America became a brotherly people of justice, peace, and equality between races. Of course, it was only a dream.

But I, too, for my country, have a dream. I have a dream.

I dream that my country becomes a land where it is no longer dangerous to be a free citizen, responsible, endowed with reason, judgment, discernment, and therefore, ultimately, choice.

I dream that in my country, it is no longer a misfortune or a crime to think, to write, or to act otherwise than according to the official line.

I dream that in my country, people may organize themselves as they see fit, on the sole condition that they respect the laws of a just and democratic Republic; that they may found the associations and parties they desire because we are at the close of the 20th century—a century of progress despite all—and because the notion of a single party is an extremely reductive concept that cannot encompass all the contradictions and diverse opinions that traverse and agitate a community as significant as a people.

I dream of this tolerant country where free men and women can express themselves without the security services coming to pluck them away at nightfall or in the early dawn.

I dream of a country where I could read, watch, and listen with respect to books, newspapers, television, and radio without being obliged, as is the case today, to attempt to read between the lines of the most shameless propaganda or to fall back on foreign media to know what is happening in our own home.

I dream, finally, of a country that would take its true place within a renovated Arab world—an Arab world finally rid of the subjection and enslavement that most powers in place exercise over those they are meant to lead toward a better future.

Of course, it is only a dream; but men are so fashioned that their dreams, and sometimes their nightmares, are destined to be realized.

Let us therefore work together toward this end, to realize this dream, because we owe it to our innumerable martyrs who, during the war of liberation, under the most savage torture, did not speak—so that we, now that independence is regained, may speak.

Thank you for listening to me to the end.

(April 1988)