Ainsi donc, rien ne changerait :
l’homme, la femme et l’enfant seraient toujours considérés comme des bêtes
nuisibles à expulser, chasser, et même à tuer, pourvu que quelque chose dans
leur apparence (couleur de peau, habillements, croyances religieuses…) les fît
apparaître comme « étrangers », et, par conséquent, pas totalement humains
!
Cette certitude misérable d’avoir
toujours quelqu’un qui vous soit « inférieur » est largement répandue
dans notre bête communauté de singes Homo sapiens et est même perçue comme un
signe de « progrès » par certaines âmes indignes : en effet,
avoir, par exemple, des migrants « chez soi », des migrants qui ont franchi votre frontière
au péril de leurs vies et après des épreuves épouvantables, des migrants dont
vous pouvez vous plaindre d’un ton pincé dans les discussions racistes de
comptoir « prouve » que vous avez la chance, vous aussi, d’appartenir
peu ou prou au monde des pays « riches », ou, du moins, moins pauvres
que ceux de ces « envahisseurs pouilleux » qui auraient dû rester
chez eux dans leur noire Afrique « au lieu de venir voler notre pain et agresser
nos fille, chère madame ! »
Cette possibilité de mépriser autrui
« à cause de ce qu’il est » est précieuse pour certains de ceux qui
sont eux-mêmes susceptibles de subir cette dégradation dans l’ordre de
l’humanité ! « Si nous pouvons traiter de haut des migrants
africains », estiment d’aucuns en Algérie, pour ne citer que ce pays, qui
est aussi le mien, « si nous avons le droit d’employer à leur encontre les
mots du raciste occidental contre le migrant maghrébin, alors nous ne sommes plus
au bas de l’échelle humaine, il y a plus infame que nous ! ».
Pour ceux de mes concitoyens dont le
cœur se gonfle de haine consolante, c’est une pure jouissance que de pouvoir
renvoyer, à leur tour, les mots souillés des xénophobes occidentaux dans la
direction des clandestins africains qui ont traversé illégalement les
frontières sud du pays, avant d’échouer sur les trottoirs d’Alger et d’autres
villes du nord, affamés, épuisés de fatigue et à bout d’espoir.
Quel plaisir ignoble, en effet, que
de pouvoir traduire — et avec l’aval en acte des autorités — les vieilles
insultes européennes « Sale Arabe,
bougnoule, violeur maghrébin, porteur de syphilis, etc. » en une
version plus locale : « Sale
Africain, négro, violeur noir, porteur d’Ebola, etc. » !
Quelle satisfaction écoeurante que
d’être en mesure de reprendre, et, parfois au plus haut niveau officiel, les
mêmes accusations proférées contre les Maghrébins ou les Syriens (pour ne citer
qu’eux) par l’extrême droite européenne pour les appliquer contre ces maudits
migrants à la peau trop sombre pour être tout à fait honnêtes : « la
présence des migrants et des réfugiés africains dans plusieurs localités en
Algérie peut causer des problèmes
aux Algériens, [les exposant] au risque de la propagation du sida
ainsi que d’autres maladies sexuellement transmissibles » !
Ce sont les propres mots d’un triste
sire occupant le poste officiel en Algérie de « président de la Commission nationale consultative de promotion et de
protection des droits de l’homme » (sic) prononcés après les
rafles opérées à Alger dans les rangs des migrants subsahariens et leur convoyage
manu militari aux portes du Sahara, avant leur expulsion définitive. Oubliant
la solidarité pourtant consubstantielle à l’organisme qu’elle dirige, même la
responsable du Croissant-Rouge algérien a justifié la mesure en y allant de sa
vilaine phrase sur la « promiscuité
qui pose des problèmes d’ordre sécuritaire » …
C’est tellement chic de pouvoir être
ouvertement raciste à son tour : on se sentirait presque européen, on adhérerait,
tiens ! au Front National avec enthousiasme et on voterait même Donald
Trump si celui-ci ne détestait pas à ce point tout être humain dont le bronzage
n’est pas dû au seul soleil d’une plage !
Comment ne pas désespérer devant
cette misère faite aux migrants, nos semblables, qui ne veulent qu’une seule
chose au fond : fuir la guerre et la misère pour donner une meilleure vie
à leurs enfants ? Comment avoir foi en l’humanité que nous partageons avec
eux, quand tant de milliers d’entre ces frères en humanité perdent la vie en
traversant le désert ou la Méditerranée sans provoquer plus de scandale que ça
à l’OUA, l’ONU, la Ligue arabe et tous ces « machins » dispendieux et
volontiers donneurs de leçons par ailleurs ?
J’avais écrit il y a quelques années
un poème se voulant caustique :
Tous les
Cafards se ressemblent
au point
que j’en arrive à me demander
« Mais
comment font-ils donc
pour se
distinguer? »
Tandis que
Nous, les Punaises
ah! Nous,
les Punaises...
Il m’arrive de désespérer plus
souvent qu’à mon tour de la nature humaine. J’ai eu une discussion à ce propos
avec une amie, artiste de grand talent, Emmanuelle Bunel. Lucide, elle
professe, elle, l’optimisme en action. Elle m’a fait l’honneur de chanter un de
mes poèmes, écrit en pensant, en partie, à cette « Mer Blanche
Moyenne », l’un des autres noms de notre chère Méditerranée, devenue
malgré elle tombeau de tant de migrants :
les oiseaux
se posent sur les têtes
ils mangent
du soleil
qu’ils découpent
en tranches
et te
donnent en échange des miettes d’étoiles
Dans mon
pays
ne t’étonne
pas
si la lune
verte
aux ruses
de fennec
s’essayant
à chaque montagne
chapeau
pointu et hilare
ne t’étonne
pas
si à
l’improviste
elle te
croque soudain le cœur
en battant
les mains de joie
Dans mon
pays
la mer
n’est pas la mer
c’est une
griffe
bleue ou
violette c’est selon
qui se
pavane sur ses vagues
et se tait
parfois
dans une
grotte
pour
écouter le souffle des plantes qui respirent
Dans mon
pays
les oranges
sont citrons
et les
citrons sont oranges
les
labyrinthes sont simples
et les
fruits font beaucoup de bruit en naissant
Dans mon
pays
Serre les dents, m’a-t-elle conseillé
en substance, écris d’abord et plains-toi ensuite ! La lutte contre la
haine est une tâche épuisante, de longue haleine, mais, bon, Sisyphe avait-il
eu la possibilité de refuser son destin ?
Anouar Benmalek
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