vendredi 23 décembre 2011

Rencontre avec l’écrivain Anouar Benmalek : “La littérature, c’est ma vie”

  
Enfant des peuples du Maghreb quelque part entre le Maroc et l’Algérie, puisqu’il faut rappeler qu’il est issu d’un mariage mixte, Anouar Benmalek vous écoute entre des rires en cascade et des réponses où pointe un certain cartésianisme hérité de la discipline qu’il enseigne aujourd’hui dans une faculté de France. Avec un esprit qui jongle avec l’univers studieux des probabilités toutes mathématiciennes, il a bien voulu répondre à nos questions, lui l’écrivain  qui se livre dans une parole profonde. Ici l’entretien qu’il nous a accordé au cours de la vente-dédicace organisée samedi dernier par la Librairie du Tiers-Monde.



   Vous êtes ici pour dédicacer vos récents ouvrages Tu ne mourras plus demain et Chroniques de l’Algérie amère, 1985-2011». Pouvez-vous nous parler du premier livre qui a été qualifié par le Figaro de roman impitoyable ?

Le rôle du romancier est de montrer l’être humain comme il est. Ce dernier a toujours plusieurs figures : il peut être bon mais aussi avoir un visage terrible. Dans ce cas, le romancier ne doit pas écrire de façon caricaturale mais parler de la vie comme elle est. S’il se montre parfois impitoyable, c’est parce qu’il ne cherche pas à faire des romans à thèses mais à montrer la vie dans sa complexité même.

Le Magazine littéraire parle justement de ce livre qui se situe au cœur de l’intime comme le roman d’un amour posthume qui plonge au plus profond des complexités humaines. Pouvez-vous nous en parler ?

   C’est un compliment que vous me faites et j’espère le mériter. Au fond, ce que recherche un romancier, c’est cette complexité qui peut être souvent infinie parce qu’un être humain peut se montrer courageux mais aussi se révéler lâche. Le propre de l’écrivain est de montrer ces différents aspects de la vie. Celle-ci est diverse, et chacun peut l’interpréter comme il l’entend. Ce sont ces différentes facettes que l’on doit retrouver dans un roman en particulier quand il s’agit de l’histoire de l’Algérie, cette histoire cruelle qui se mêle à l’histoire individuelle, avec ses allers-retours entre la grande histoire et la petite. Je crois qu’il faut pouvoir montrer comment on est algérien et on n’est pas facilement algérien parce que notre histoire est douloureuse, qu’il s’agisse de l’histoire coloniale ou celle des dernières années. Un pays comme le nôtre où il y a eu 200.000 morts, c’est un pays pour le moins complexe.

Pouvez-vous nous entretenir du second livre que vous êtes venu présenter au public algérien, "Chroniques de l'Algérie amère" ?

   Ce livre est le résultat  d’une expérience qui fut fondatrice et riche pour moi. Il rassemble des écrits journalistiques qui couvrent une période de 25 ans. On y retrouve une variété de situations importantes à travers lesquelles on s’aperçoit au bout du compte que beaucoup de gens doutaient de ce qui allait advenir de l’Algérie mais à aucun moment on a pensé que cela pouvait être grave.
C’est un livre qui est le récit de notre ignorance et qui raconte comment l’Algérie a pu basculer dans l’horreur absolue parfois alors que tout paraissait indiquer au contraire qu’elle allait vers un horizon extraordinaire. L’histoire nous a montré que nous nous trompions beaucoup, c’est pour cela que ce livre est amer.

Mais vous avez eu des prises de position radicales avec la création d’un comité contre la torture vers la fin des années 1980, une activité qui vous a d’ailleurs quelque peu éloigné de l’écriture…

   Vous savez, c’était l’exigence de l’époque, il y avait des choses tellement horribles qui se passaient. Evidemment je ne pouvais plus continuer à écrire. Donc, pendant un certain temps, j’ai dirigé ce comité avec d’autres collègues, et les gens que nous avons pu interviewer étaient vraiment remarquables. Ils ont été pour moi une leçon de courage. Tous ces jeunes qui témoignaient à visage découvert faisaient preuve d’une telle résistance ! Je me suis alors dit que je n’avais plus d’excuse en tant qu’intellectuel et écrivain. J’ai compris à ce moment-là que je n’avais plus le droit de me taire, ma parole s’est libérée à ce moment-là.

La critique française vous a encensé en parlant de votre littérature comme d’un «art visionnaire» et de vous comme d’un «Faulkner méditerranéen». Ici même vous êtes considéré comme l’écrivain algérien le plus talentueux après Kateb Yacine. Qu’en pensez-vous ?

   Disons que les compliments sont écrasants mais il faut les prendre avec modestie parce que ce qui importe, c’est ce que contient votre livre. Je préfère retenir,  comme nous avons une mé-moire sélective, les gens qui disent du bien de moi bien qu’il s’en ait trouvé qui ont dit du mal. Les compliments servent parfois à vous pousser à aller plus loin dans l’écriture.  Maintenant  me comparer à Kateb Yacine ou William Faulkner, même de très loin, cela me fait plaisir.

Selon un sondage de la presse privée algérienne, vous faites partie des dix personnalités qui ont marqué l’année 2009. Par ailleurs, votre nom a été cité dans la liste des écrivains nobélisables. Qu’en dites-vous ?

   Il vaut mieux dire dans ce genre de situations : No comment ! Les compliments engagent ceux qui les font et pas nécessairement ceux qui les reçoivent. Là, je dois dire qu’ils sont excessifs. Quand vous écrivez un livre, c’est d’abord parce que c’est une nécessité profonde. La littérature, pour moi, c’est ma vie. Je n'aurais pas dit cela il y a une vingtaine d’années. Une fois qu’on s’est laissé guider par l’écriture, on ne peut plus s’en passer car  cette vie est une tragédie : on naît pour mourir, et dans l’intervalle, la littérature tente de trouver une réponse à cette question fondamentale. Je pense qu’elle peut se résumer dans cette phrase : essayer de comprendre cette chose étrange qu’est la vie.

Entretien réalisé par Lynda Graba

20 questions à … Anouar Benmalek, par Sarah Elkaïm (Afrique Magazine, décembre 2011-janvier 2012)



  


1.Votre idée du bonheur ?
Être aimé, lire de bons livres, en écrire quelques-uns pas trop mauvais, écouter de la belle musique, vivre longtemps en bonne santé et quitter cette terre sans trop d’amertume.

2. Votre idée du malheur ?
N’être plus aimé et ne plus pouvoir l’écrire.

3.Votre caractéristique maîtresse ?
L’obstination.


4. Votre plus grand succès ?
Rencontrer un lecteur pour lequel un de mes livres aura été décisif dans sa vie personnelle.

5. Votre plus grande peur ?
Elle concernerait mes enfants, donc je ne l’expliciterai pas

6. Votre personnage vivant préféré ?
Mandela.


7. Le personnage historique auquel vous vous identifiez ?
Le personnage qui me servirait de modèle serait un cocktail de Ben Mhidi et de Jean Moulin, de Pasteur et de Victor Hugo, le tout mâtiné d’un zeste de Dante et d’Émir Abdelkader…


8. Le trait de votre caractère que vous déplorez particulièrement ?
L’emportement.

9. Le trait de caractère que vous déplorez particulièrement chez les autres ?
La trop grande habileté verbale, mère de l’hypocrisie, du mensonge et des grands renoncements.

10. Votre voyage favori ?
Inde et Sahara algérien

11. Votre plus grand regret ?
Ne pas avoir dit à ma mère, avant qu’elle ne meure, combien je l’aimais ; ne pas avoir eu avec mon père la conversation qui nous aurait définitivement réconciliés. J’ai écrit mon dernier livre « Tu ne mourras plus demain » pour tenter de réparer ces deux grands échecs. Trop tard, évidemment.

12. Votre état d’esprit actuel ?
Combattif, avec un peu d’épuisement cependant.

13. Votre possession la plus importante ?
Le cadeau de la vie plutôt : mes deux enfants.

14. Ce que vous détestez par-dessus tout ?
La lâcheté qui se pare des arguments de l’intelligence ; le mot « trop tard » (voir plus haut).

15. Votre occupation favorite ?
Écrire.

16. La qualité que vous appréciez le plus chez un homme ?
La fidélité aux idéaux, malgré les sarcasmes du siècle.

17. La qualité que vous appréciez le plus chez une femme ?
La même que chez un homme (en y ajoutant immédiatement, pour ne pas être trop tartufe, toutes les autres « qualités » qui troublent profondément l’hétérosexuel de base que je suis).

18. Comment voudriez-vous mourir ?
Entouré de ceux que j’aime et sans trop de douleur (j’ai vu ma mère mourir d’un cancer à Alger…)

19. Si vous deviez renaître, sous quelle forme voudriez-vous revenir sur terre ?
D’abord en Homme de Neandertal (pour comprendre pourquoi notre cousin en humanité a disparu, alors qu’il était probablement notre égal en intelligence) ; puis en successeur de l’Homo sapiens, pour savoir ce que cela fait d’être moins bête que notre espèce actuelle, capable de la pire violence et du mépris le plus dévastateur envers ses propres représentants.

20. Quelle est votre devise ?
Aller toujours en avant, même si cela doit se faire à tâtons.

"Tu ne mourras plus demain", recension par Mohammed Yefsah (La cause Littéraire, 21 décembre 2011)




Tu ne mourras plus demain est le dernier livre de Anouar Benmalek, écrit après la mort de sa mère, dans lequel il lui rend hommage en tentant de remonter sa généalogie aux innombrables croisements. Le romancier, docteur en mathématiques et poète, a voulu cette fois-ci résoudre l'équation de ses propres origines, lui qui s'est souvent intéressé aux racines des autres, notamment dans ses romans, O Maria, Les amants désunis et L'enfant du peuple ancien.

  Issue de l'union d'une suisse et d'un marocain, une rencontre qui « n'avait donc pas dû être évidente à l'époque ségrégationniste du protectorat » (p.26), la mère s'installe ensuite en Algérie, le pays de son époux, après l'indépendance. Par ce récit émouvant, Benmalek a voulu trouver entre les blancs de la mémoire la voix de sa mère, une voix qui avait essayé de vaincre le silence, de donner de l'amour à ses enfants, le goût des livres et de la lecture à son fils futur écrivain, mais qui se taisait devant l'exil et la tourmente de l'Histoire. La maman de l'écrivain a vécu avec l'angoisse d'être refoulée de son pays d’accueil à cause du conflit des frontières entre le Maroc et l'Algérie. Aux silences des siens, à l'intolérance des autres, au mutisme d'un père décédé  emportant avec lui les mots de tendresse qu'il ne savait que chuchoter quand ses enfants s'endormaient, Benmalek questionne le passé.
  La parole pudique de sa défunte mère n'a pas facilité la tâche à l'auteur, qui a ainsi tenté de trouver le mot juste pour restituer ses pensées et  sentiments, ses regrets et joies. Il a voulu en savoir plus sur son enfance à elle. Or cette quête est restée jonchée de questionnements plus que d'affirmations. A défaut d'une histoire complète de l'enfance de la mère, l'écrivain évoque la sienne, avec les bonheurs des moments de joies et de bêtises enfantines, et les malheurs des angoisses et des difficultés.
« Quoi qu'on dise, le passé est la substance du présent. Nous construisons notre présent principalement avec le bois piqué de la mémoire des jours passés, quitte à la déformer, à l'ajuster à nos souhait ou, mieux, à la réinventer de fond en comble » (p.29).
  L'histoire de la mère, qui pourrait être commune à première vue dans la banalité des choses de la vie, est placée dans un contexte historique avec sa complexité. Le récit brasse le siècle à travers la loupe familiale et la vie d'une femme dans les conditions d'une société patriarcale. Mais en dépit de la douleur, Benmalek ne perd jamais l'ironie et l'humour qui sont l'une des marques de ses romans. Par ailleurs, il a su exprimer l'inévitable culpabilité qui ronge après la perte d'une personne chère au cœur, en pensant ne pas avoir su apporter plus d'attention, ne pas avoir donné assez de tendresse ou d'amour, ne pas avoir consacré suffisamment de temps ou prononcé les mots d'affection restés au bout des lèvres. Il aborde aussi cette mort de l'autre qui renvoit à la peur de mourir et aux questions existentielles.
  « Avant ta mort, je projetais déjà d'écrire sur ta famille et sur celle mon père. S'y trouvaient réunis, me semblait-il, tous les ingrédients pour une saga enfiévrée courant sur deux siècles et demi au moins, mêlant Afrique, Europe, monde arabe, religion, langues, sur fond de fureur apocalyptique, d'amour et de violences folles » (p.43).
Finalement, ce récit n'est ni une saga ni une biographie, plutôt un dialogue post mortem du fils avec les « fantômes » des souvenirs, des propos, des gestes et des anecdotes, remontant l'histoire familiale et de l'Algérie, et le chemin de vie de l'auteur sous l'œil protecteur de la mère.
  Avec Tu ne mourras plus demain, titre qui sonne comme le premier vers d'un poème, Anouar Benmalek a posé les plus beaux chrysanthèmes sur la tombe de sa mère, un immense bouquet de pages d'amour.


Mohammed Yefsah


jeudi 8 décembre 2011

"Le Rapt": Un superbe "Crimes et Châtiments" (French Review USA, novembre 2011)

French Review (USA), Alek Baylee Toumi, novembre 2011: "... Souvent comparé à Faulkner ou encore à Dostoïevski, Benmalek nous entraîne à travers maintes histoires cachées, celles des bavures et autres génocides emmurés dans les oubliettes de l'histoire. Avec beaucoup d'imagination, d'humour et de suspense, ce superbe Crimes et Châtiments de plus de 500 pages accroche rapidement le lecteur qui le lit d'une traite."

Lire le texte entier:

lundi 5 décembre 2011

"Tu ne mourras plus demain", France Inter, émission Cosmopolitaine de Paula Jacques, dimanche 4 décembre 2011)




"Tout de suite, c’est Anouar Benmalek, le grand romancier d’origine algérienne qui nous fait le plaisir d’être avec nous en direct... C'est un grand chant d'amour, une lettre adressée à votre mère... Votre livre commence au contraire de celui de Camus... Un chant incantatoire pour la mère disparue... Terriblement émouvant, la vie passionnément présente... De l'intérieur du tombeau va surgir la vie..."



 Voici le lien  pour écouter en streaming : http://boomp3.com/mp3/6b9d0ay68ps-anouarbenmalek-franceinter-cosmopolitaine-4dec2011

Un autre lien pour télécharger le podcast:  http://www.megaupload.com/?d=VFO6XG52








Abduction, By Anouar Benmalek, trans. Simon Pare (The Independant, Friday 02 December 2011)


Ever since Camus, and perhaps in an inevitable reaction to his pessimism, Algeria has specialised in producing writers whose works are both hopeful and ripe with horror. The post-Independence Algerian novel is unmistakable: it will be engagé, unrelentingly violent, and its plot will gyrate around either the revolution (1954-1962) or the civil war (1992-2002). This is not to say that these books are predictable; in fact quite the opposite.

Abduction, Anouar Benmalek's seventh novel, is a case in point. Aziz loves his wife Meriem, is a doting father to daughter Shehera, and holds down a job at the zoo in Algiers. In theory, his only concern should be the uninhibited sexuality of the seven bonobo chimpanzees, a gift from the Republic of Congo. Everything changes when Shehera is kidnapped. Her captor makes himself clear: Aziz will be forced to kill, and watch others kill, in the hope of retrieving her. When Aziz protests, the kidnapper retorts: "Still insisting on your rights in such a crazy country?" What turned the kidnapper mad is grief, whose origins constitute the missing piece of the thriller's puzzle.

"Those to whom evil is done/ Do evil in return," wrote WH Auden. This is Abduction's greatest achievement, linking a crime in 2007 to one perpetrated over 50 years earlier. It is a journey through history, but also through the psychology of pain.
In a talk in 2008, Benmalek said: "Torture is one of the ways of demonstrating that the citizen's body belong to the boss." The physical and psychological torment inflicted on every character in Abduction is proof of this. Benmalek didn't have to look far for inspiration:  [he...] was  once threatened by extremists. Considering [his] outspokenness, this is unsurprising, but Aziz is supposedly a nobody – Benmalek's way of saying that only the bureaucrats and soldiers who have hijacked Algeria's future since 1965 are shielded from the retribution for past crimes. Everyone else is in danger, or traumatised, or dead.

Simon Pare's translation proves masterful in clinching Benmalek's weighty but pacey narration and its garrulous madness. On the heels of Dowlatabadi's The Colonel, Abduction is another well-chosen and expertly-handled addition to the Arabia list.


                                                                             André Naffis-Sahely

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Arabia Books, £12.99, 299pp. £11.69 from the Independent Bookshop: 08430 600 030

"Abduction", by Anouar Benmalek, Berfrois.com

par Anouar Benmalek, lundi 5 décembre 2011, 01:12
Abduction,
by Anouar Benmalek,
Arabia Books, Haus Publishing Co: London, 299 pp


Dick Cheney’s memoir, In My Time, is self serving, stonewalling and riddled with glaring omissions. But it does contain some startling revelations. Cheney was twenty-nine when he made his first trip abroad, in 1970 and then only on official White House business. His boss and mentor Donald Rumsfeld, head of Nixon’s Office of Economic Opportunity, invited him to attend Nasser’s funeral. Cheney scrambled to obtain his first passport. Makes you wonder, did our former VP and war leader ever in his entire life travel abroad as a simple citizen, without layers of protection from the grief of others?

In Cairo 1970, Cheney did not mingle with the crowd. He had been ordered not to. But the next night, when the crowds had dispersed, Rumsfeld, Cheney and Eliot Richardson, in dark business suits, rented camels and rode out to the pyramids.   Three soon to be famous men perched (like Steve Martin’s ¡Three Amigos!) on their mounts in the Cairo dusk, with no idea of the power destiny would place in their hands. We know of course and shudder at the ironies. Buried in Cheney’s book, in scenes like this one, is the material for some sort of drama. Tragedy or farce?

“Americans feel only their own pain,” read the headline in an Algerian newspaper on 9/11. That’s a silly statement, I thought, but after reading Cheney’s memoir you could almost agree. He’s particularly disappointing on the subject of torture, a word you won’t find in his book, and he clings to the euphemism : enhanced interrogation techniques. Bagram, black sites, extraordinary rendition to Morocco, Egypt and Syria are never mentioned. The aid and comfort our conduct of the war on terror gave to dictatorships that torture their own citizens, is not an issue for him, not even in this year of revelations from the Arab world.

Cheney by his own account doesn’t seem to be much of a reader; he’d rather go fishing. But he might benefit from Anouar Benmalek’s latest novel, Abduction. The two authors could swap. Pound for pound, Cheney would be getting the better deal. Benmalek is one of Algeria’s leading novelists writing in French and this is his sixth novel, the third to be translated into English. It is a thriller; a page turner about a hard working underpaid Algiers civil servant circa 2007, whose teenage daughter is abducted by a madman. It contains suspense and some humor, and the translation by Simon Pare is fast paced and snappier than the original. What’s more it is set in a country Cheney knows something about; Halliburton subsidiary Brown Root has lucrative contracts in Algeria’s oil fields. Some were signed during Cheney’s mid 90’s tenure as CEO, while the Algerian civil war raged and thousands disappeared into the regime’s notorious string of torture centers.

Benmalek, as I know him slightly, is a gentle, humorous, unassuming, man. As a novelist he is drawn to painful, difficult subjects: child murder by the Algerian rebels, during the war of liberation (the beautiful The Lovers of Algeria, a best seller in France, Graywolf, 2001); genocide in 19th century Tasmania (The Child of an Ancient People, Vintage 2004); ethnic cleansing of Muslims by church and crown in 17th century Spain (O Maria, Fayard 2006) and now this novel about the scandal of violence against children.

Whilst the book is heavy going at times, it is important to look where he’s coming from. Algeria had its Arab spring in October 1988. It was a very Algerian sort of rebellion, in that it didn’t start in the streets but with a bitter rivalry between two power hungry cliques in the monopoly ruling party that abducted the country at independence. One clique, hoping to upstage the other, spread rumors about a general strike at the end of a hot summer of acute food shortages. But the wicked cooks who dreamed up the Oct ‘88 rebellion miscalculated the real anger of the younger generation and their parents. The riots took on a life of their own. Unable to control what it had started, the regime sent tanks and troops into the streets, and by the end of the week five hundred men and teenage boys had been killed. Thousands more were arrested and tortured in police stations and military bases around the country.
After the shock of that week something had to give. Out of ‘88 came a short lived democratic opening, a new Constitution, many new political parties, independent newspapers and pressure groups, including the Algerian Committee against Torture, with Benmalek as recording secretary.

He and colleagues collected testimony from torture victims and published a book both horrible and hopeful (Le Cahier Noir d’Octobre) as its authors actually aimed to abolish torture in Algeria and bring the perpetrators of the ‘88 atrocities to trial. But as so often in Algeria, the torture cops were amnestied within the year. By 1992 the generals who still ran the country had mismanaged the tightly controlled democratic experiment into brutal civil war – with the help of a violently impatient Islamist coalition with its own authoritarian agenda.
Benmalek left for France in ‘92 and has lived there ever since. A mathematician by training, he teaches biostatistics at the University of Paris. In their graphic descriptions of atrocities, his novels continue the work he began with the committee against torture. Euphemism, abstraction, fake poetry, would betray the trust of the men who relived their ordeals in his hearing, a generation ago.

Algeria, in Abduction, is a dismal place. After the long trauma of the 90s civil war, there is no reliable police protection, no solidarity among neighbors, no sympathy for others’ suffering. Religious hypocrisy and outright bigotry prevail. A husband calming his troubled wife with a hug in the street is scolded for obscene behavior. A grief stricken woman, whose husband has just died in a car crash, is pelted with stones by the faithful outside the mosque damaged in the accident. The kidnapper, as if modeling himself on the regime he abhors for his own reasons (they have abducted a chunk of his past), harangues the kidnapped girl’s father, “…I exist and I have just proved that by making you my slave. Don’t be startled: the Arab world, the whole fucking Arab world, is made up of masters and slaves.” He mutilates the captive child’s hand, to prove his point.

Ouch. At times the novel staggers under the weight of its demanding agendas. But Benmalek’s generous moral imagination discovers moments of reprieve. The most original and affecting character is a French soldier, son of a poor Breton fisherman, who through a series of odd coincidences and sheer boredom and self hatred, winds up serving with a DOP in eastern Algeria, in 1957, a détachement operationnel de protection, a French army euphemism for torture centers. There were eighteen of them working full time around the country that year. After torturing an Algerian child in his father’s presence, the French soldier calls it quits. He deserts the army, deserts France itself, and many years later, in Algiers, atones for his past with a selfless, courageous act.

It’s no accident, I think, that this lonely, repentant torturer goes by the same name, Mathieu, as the colonel in the film, The Battle of Algiers. Mathieu, a riff on the name of the actual commanding officer in the city under military lockdown in 1957, General Jacques Massu. Massu, who late in life told French journalist Florence Beaugé (in Algerie, Une Guerre Sans Gloire, Calmann-Levy, 2000), “When I think back about Algeria, it grieves me. We could have done things differently.”
Add that one to Cheney’s reading list. But could he learn to grieve for past mistakes? Don’t hold your breath.

Suzanne Ruta



In My Time A Personal and Political Memoir,
by Dick Cheney,
Threshold Editions: New York, 565 pp.

Abduction,
by Anouar Benmalek,
Arabia Books, Haus Publishing Co: London, 299 pp

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Suzanne Ruta is an author and translator. Her novel To Algeria, with Love (Virago, 2011), will be published in Italy next year by Einaudi under the title La Repubblica di Wally.

mercredi 23 novembre 2011

Quelques extraits d’interviews d’Anouar Benmalek dans le livre : « Between terror and democracy : Algeria since 1989 »

Quelques extraits d’interviews d’Anouar Benmalek dans le livre : « Between terror and democracy : Algeria since 1989 » de James D. Le Sueur  (Fernwood Publishing , 2010)


Sur les événements de 1988 en Algérie :

      But few did so naïvely: it was understood that Algerian society  could not be transformed without the government’s willingness to  respect human rights. As Anouar Benmalek, a journalist writing for  the Algiers newspaper Algérie-Actualité, put it in an open letter to  President Chadli on November 3, 1989:  « To live as a republic requires at the minimum a contract of confidence  between the state and citizens. Torture is an extreme rupture  of this contract. Know that one can be tortured for thinking differently;  know that those responsible for this torture will continue to  carry out their business, either at the old jobs or at new ones. This is  what keeps all of us hostages in the grip of barbarism. »

Sur les appels au meurtre contre un écrivain :
    Truth to tell, despite the international support of Rushdie by other  writers, very few writers within Algeria took issue with Khomeini’s  fatwa.5 No doubt Algerian writers were consumed with their own  internal challenges in 1989, but nevertheless the absence of a general  protest was somewhat peculiar. In this context, one person stood out  as perhaps the first Algerian writer to criticize Khomeini: Anouar  Benmalek, a professor of mathematics at the University of Algiers and  a writer. For Benmalek the Khomeini fatwa was not only theologically  misguided, but, even worse, it trivialized far more pressing concerns  within the Arab world in 1989, such as poverty and oppression. For  this reason, Benmalek asked sarcastically if Khomeini was really  serious. How could it be that against the backdrop of “great tragedies  that have been known or are known today in the Muslim world,  underdevelopment, illiteracy, oppression, dictatorships, famine, that  all of this is nothing compared to this book: The Satanic Verses!?


Sur la censure et l’autocensure :

   Thus violence transformed cultural debates, but not  always in the ways that its perpetrators hoped. Why? I asked Anouar  Benmalek, who went into exile in 1994, this very question when I  interviewed him in Paris. Benmalek’s response is crucial to understanding  how violence boomeranged to become a creative cultural  force in Algeria:

  « The big problem for a society like Algeria’s between 1988 and 1989  was self-censorship, self-censorship that was obviously cultivated  by organs of repression – the army, the SM [military security], the  police  and so forth. This self-censorship was extremely powerful.  And, paradoxically, I would say that the violence [of the 1990s],  because it was limitless, in fact liberated people and writing. Why?  Because people discovered that no matter what one did – one could  write or not write, write with extreme caution, or throw caution to  the wind – either way, they got killed. There’s a poem about this  by Tahar Djaout that I like a lot. It says this: “If you speak, they will  kill you. If you do not speak, they will kill you. Therefore, speak  and die.” And that’s true, because in the newspaper where I was,  they killed Tahar Djaout, but they [radical Islamists] also killed  the newspaper’s accountant. Why? Because he worked for the  newspaper. That is to say that one can be killed for reasons that are  completely ridiculous. So people said to themselves, “Die just to  die? Enough! We’ve got to write what we really think.” People who  had been extremely frightened no longer had any fear, because the  price was the same. When they chop off your head – whether it be  for some tiny little thing or for something important – it’s the same  thing. Paradoxically, we owe this liberty to terrorism. But a lot of  people were forced to leave; a lot were forced into exile and to leave  behind that which was the dearest in the world to them. As for me,  I never imagined I would someday end up in France and be laid  to rest in France. Never! That was never part of the plan. I was very  content living in Algeria. I had a job at the university. I was involved  in the newspaper. I wrote about what I wanted, more or less. Then  terrorism changed my way of life. It made me say, “So now what are  you going to do? What are you going to do with yourself?” And it’s at  that moment when you say, “They killed my friends, and now there  remains only one thing left for me – to truly say what I think.” And  in the Arab world, that is revolutionary. »

   However, the fact is that revolutionary potential signaled by the end of self-censorship, as Benmalek would acknowledge, has never been fully realized.

Sur l’amnésie politique en Algérie :

   In a 2007 Paris interview, the exiled Algerian writer Anouar Benmalek  offered a slightly different reading of amnesty in Algeria, but  agreed that Algeria has sadly chosen amnesia over remembrance.  Benmalek, like many Algerians I have spoken with, expressed frustration  with what he called the “recurring theme” of amnesty in Algeria.  He pointed out that after the riots of 1988, the Algerian state granted  amnesty for those involved in the attacks on civilians. In Benmalek’s  words: “At each bloody confrontation there is an amnesty, and a  culture of amnesia is interwoven in Algerian history. There are no  lessons in Algeria. History offers no lessons, and each time it gets  worse.”This lack of accountability has made things worse, not better  in Algeria. As he pointed out, the situation went from the routine use  of “torture” in 1988 (against Islamists), to “mass killings” later on  “without any repercussions” and without ever bringing those guilty  of heinous crimes to trial.

Une psychanalyse de la société algérienne: Anouar Benmalek, "Tu ne mourras plus demain", Fayard, 2011

Artdz.Info
Le Portail des Arts et des Artistes Algériens
Lundi, 07 Novembre 2011

La vie quotidienne peut être dépourvue de romanesque. Elle peut aussi en déborder. Un auteur, psychanalyste de profession, traquait récemment les secrets de la vie de son père, qui les avait tus ou en avait couvert les traces, par un instinct naturel ou par choix, ou les deux . Ce faisant cet auteur avait probablement marqué une mutation de cultures dans le passage d'une génération à l'autre [...]

Anouar Benmalek semble avoir adopté un parti inverse.... C'est la figure de sa mère qui est au centre de son récit, celle de la mère morte, ou comme dans Rue Darwin de Boualem Sansal, le rassemblement autour de la Mère mourante. Peut-être s'agit-il là du signe de la prégnance de la figure maternelle en Algérie, de la Mama méditerranéenne, par opposition au père de la Loi, despote inflexible et archaïque. C'est la mère, dans « Tu ne mourras pas demain » qui est l'âme de l'opposition et de la résistance au despotisme arbitraire du Père.

Dans le récit d'Anouar Benmalek la mère est un carrefour d'influences, celles de l'européenne à travers la trapéziste suisse que fut la grand-mère de l'auteur ou encore à travers l'autre grand-mère, paternelle, qui fut esclave maurétanienne, ou encore la figure de la mère algéro-marocaine enfant persécutée par sa belle-mère arabe rivale de sa propre mère, sans compter l'ancêtre juive ou allemande exilée par son mari loin de ses enfants. Un joli cocktail de cultures mais qui consitue déjà la réalité de la société algérienne d'aujourd'hui ou demain, même quand elle la refuse ou y renâcle.

Ces figures essentielles de femmes sont aussi celles de l'amour. A travers elles  l'auteur convoque celles de la haine mesquine de l'autre, du refus du « différent » voisin et proche, du rejet méprisant de ce qui n'est pas conforme au diktat de la norme énoncée par la Tradition incarnée dans Loi inaltérable du Père.
Dans le tableau qu'Anouar Benmalek peint, les hommes sont les premières victimes d'une transmission dogmatique, rigide et conformiste de la Loi, d'un patriarcat despotique qui veut imposer sa règle à ses fils dans la destruction de leurs aspiration les plus intimes et de leurs instincts créateurs.
Dans le récit d'Anouar Benmalek l'histoire vraie et le destin veulent donc que le fils qui par ailleurs se trouve être le père de l'auteur et semble condamné à être éternellement un fils jamais vraiment un père, aille essayer ses goûts et talents d'homme de théâtre et se marie selon son coeur, loin de Constantine, au Maroc, ce Maroc vécu comme un frère ennemi et un traître.

La mère apparaît comme la victime sacrificielle d'une loi féroce et fondée uniquement dans la tradition, hors raison . La mère est néanmoins aussi la figure humanisatrice du récit d'Anouar Benmalek, celle de la Raison et de l'amour tout à la fois.. Elle est celle du partage de la tendresse entre les frères et sœurs . Elle est la pierre fondatrice de la famille et du groupe . Si la démocratie prend pied dans le groupe c'est à travers elle et par elle, par son pouvoir de partage et de don .

Pourtant, d'une façon ou d'une autre la figure de l'épouse ou de l'amante semble l'éternelle absente de cette configuration. Epouse ou amante du père ou fils elle apparaît oubliée, reléguée. Sans doute l'auteur a-t-il voulu soustraire au regard du lecteur une zone de sentiments qu'il a jugé lui être naturellement étrangers. La figure de la mère lui a semblé suffisamment symbolique et collective pour être évoquée sans trahir le secret de l'intimité familiale et personnelle qui l'entoure. Il n'empêche que les réalités de l'existence où il nous plonge sont intimement imbriquées dans l'expérience de l'amour entre être humains, hommes ou femmes. Il y a là un silence frustrant.

Libérer les sentiments amoureux du diktat d'une loi patriarcale, conformiste, extérieure et surtout, confondue avec l'exercice du pouvoir, semble être la conclusion implicite de ce beau livre tout en nuance, demie-teinte et pudeur où l'amour et la tendresse occupent une place essentielle. C'est à une sorte de psychanalyse de la société et de la famille algérienne, voire maghrébine que l'auteur, mathématicien de profession, semble s'être essayé, avec délicatesse et acuité de perception, sans chercher une généralisation abusive. L'histoire de sa famille lui a fournit une grande richesse d'événements, de situations et de personnages qu'il n'a jamais traités avec désinvolture, lourdeur aveugle ni indiscrétion. A aucun moment le lecteur n'a le sentiment d'avoir été manipulé ni entraîné à ses dépens à participer à des situations déplaisantes ni perverses.

Par contre il éprouve un sentiment de gratitude envers l'auteur pour lui avoir permis d’accéder à des aperçus sur les profondeurs intimes des sociétés du Maghreb et d'Algérie. La véritable tâche de la Littérature n'est-elle pas justement d'offrir à ses lecteurs cette richesse d'expérience humaine ?

Max VEGA-RITTER

mardi 22 novembre 2011

"Magnifique récit, un magnifique hymne à l'amour, un hommage extraordinaire..." (Canal Algérie, septembre 2011)


Canal Algérie, Expression livre, Youcef Sayeh, 18 septembre 2011:

        "Magnifique récit, un magnifique hymne à l'amour, un hommage extraordinaire..."


adresse de l'émission:

                  http://www.megavideo.com/?v=MVNHBY0Q

Anouar Benmalek présente "Tu ne mourras plus demain" au salon international du livre à Alger

http://www.youtube.com/watch?v=N55VGzlUtEs&feature=uploademail


Anouar Benmalek est interviewé par Canal Algérie dans l'émission Culture Club lors de la sortie de l'édition algérienne de son récit: "Tu ne mourras plus demain".

"Tu ne mourras plus demain": Un texte bouleversant (Culture Sud, novembre 2011)

Tu ne mourras plus demain
(Fayard, 2011)




Un texte bouleversant. L’écrivain franco-algérien, Anouar Benmalek, auteur de Les Amants désunis, Ô Maria, Le Rapt , romans remarquables et remarqués, entre autres, abandonne la distance et la fiction pour livrer une part intime de lui-même, de son histoire familiale.

 
Sous forme d’une lettre à sa mère, décédée dans un hôpital d’Alger, l’écrivain s’effondre, « comment des poussins, même au poil parsemé de fils d’argent, sauraient-ils vivre sans une mère pour les aimer, les défendre, les dorloter, les sermonner au besoin ? » La perte de sa mère est insurmontable, « …Toi, maman, dont l’absence me vide le cœur, avec qui dîneras-tu alors ce soir et les autres soirs de l’infini ? »

L’ouvrage n’est pas cependant qu’une longue complainte. Il est aussi l’occasion de revisiter les origines familiales et, par delà même, poser la question des origines. C’est quoi être algérien ? Qu’est-ce que l’identité algérienne ? La mère de l’écrivain est marocaine, fille d’un marocain dont la mère était une esclave –peule, wolof, soninké ?- et d’une trapéziste suisse, fille d’une union entre un Suisse et une Allemande. Quant à son père algérien, jeune acteur de théâtre qui, après l’indépendance, dirigea le théâtre municipal de la ville, il a pour ancêtre un prince et chef spirituel de Constantine qui avait combattu les envahisseurs turcs avant d’être trahi par les siens. De quoi étouffer les partisans de la pureté !
En revisitant l’histoire de sa famille, avec une grande sincérité et beaucoup de pudeur, Anouar Benmalek pourfend les pesanteurs et les failles de la société algérienne. Ainsi en est-il du statut de sa mère, pendant plusieurs années clandestine en Algérie, sans papiers, de peur d’être éloignée de son mari et de ses enfants. Au milieu des années soixante-dix, en effet, nombre de ressortissants marocains ont été renvoyés chez eux. De l’autre côté, le tarif était pareil. L’auteur dresse un tableau noir de la santé en Algérie où les soins palliatifs n’existent pas et le malade à la merci de l’humeur d’un infirmier qui « surgira, une grimace d’impatience aux commissures des lèvres. Après avoir accroché la nouvelle poche (qui contient le produit morphinique), il jettera l’ancienne sur ton lit en un geste de colère, à quelques centimètres seulement de ton visage. Puis, il sortira de ta chambre, nous défiant du regard d’émettre la moindre protestation. » Anouar Benmalek revient sur la guerre civile, appelée décennie noire en Algérie, et son lot d’assassinats, l’intolérance qui a recouvert de son hideux manteau toute la société algérienne, la précipitant dans un traumatisme terrifiant.

Le portrait de la mère, douce, généreuse, aimante, déracinée, s’oppose à celui du père, « Le sévère…, à l’autisme brutal », qui a, cependant tout fait pour que ses enfants réussissent leurs études, capable aussi, à soixante ans, de chanter besame mucho pour son épouse.

Anouar Benmalek, émouvant, questionne sa mère par delà la mort : « Qu’adviendra-t-il de ce livre, notre livre, maman ? » Et les mots sanglotent « reconstituer une partie de ton livre à partir de fragments glanés çà et là, afin de respecter une promesse que je m’étais faite alors que je portais ton corps dans son dernier logis :
Non, tu ne mourras plus demain, maman. »

 Yahia Belaskri

Entretien avec Anouar Benmalek à propos de "Tu ne mourras plus demain" (Culture Sud, novembre 2011)

  Amour posthume. Entretien avec Anouar Benmalek à propos de son dernier roman  Tu ne mourras plus demain. Yahia Belaskri a rencontré Anouar Benmalek pour s'entretenir de la genèse de son dernier roman qui est une plongée au cœur de l'intime.


     


 Vous publiez Tu ne mourras plus demain, un récit très personnel, intime, qui prend la forme d’une adresse à la mère, votre mère… Pourquoi cette forme ?
    Je ne me suis même pas posé la question de la manière d’écrire Tu ne mourras plus demain. Tout de suite, l’usage de la deuxième personne du singulier s’est imposé, tant ma mère était extraordinairement présente à mon esprit. Si une personne se trouve devant vous, il ne vous viendrait pas l’idée, en effet, de parler d’elle à la troisième personne — à moins que vous ne vouliez lui manquer de respect ! Jamais, cependant, je n’aurais imaginé écrire un livre aussi personnel. Je ne suis pas un adepte de l’autofiction littéraire, je trouve que ma trajectoire personnelle n’est pas si extraordinaire qu’elle mérite d’être transformée en objet littéraire. En comparaison, la liberté que procure la fiction est si enivrante que pour rien au monde je n’aurais pensé m’en priver : je crée des vies, je façonne leurs parcours à ma guise en leur attribuant les sentiments que je choisis, je les fais s’entrechoquer au gré des questions qui m’agitent, je clos les vies de mes personnages (autrement dit : je les tue) quand cela m’arrange. Pourquoi donc m’encombrer des limites imposées par la « vérité » — au sens de la relation brute de faits qui se sont déroulés à un moment donné, à un endroit donné, et mettant en cause une personne donnée ?
Et pourtant,  s’agissant de ma mère, alors qu’elle gisait dans le salon de son petit appartement algérois, yeux fermés pour toujours, déjà en route pour je ne sais quel éventuel néant, je me suis aperçu, à la manière d’une gifle qu’on reçoit alors qu’on ne s’y attend pas, que j’avais devant moi et l’objet de mon chagrin (écrasant par son intensité) et l’illustration même de cette contingence invraisemblable qui fait souvent l’objet du projet romanesque. Car, enfin, j’avais devant moi non seulement ma mère, ma très chère mère, mais aussi, au fond, une femme étrangère, elle-même fille d’un couple doublement étranger, procédant de deux continents, de deux, trois ou même quatre pays, cultures et religions,  dont la mère était une artiste de cirque au temps où cela était presque synonyme de paria, et dont le père descendait d’une esclave noire de Mauritanie, Peule peut-être, allez savoir… Et tout cela en un siècle où les guerres succédaient aux guerres, où les hommes ne faisaient la paix que pour mieux  préparer les massacres et les holocaustes des décennies à venir…
Comment ma mère, convergence de plusieurs destins que rien ne prédisposait à se télescoper, en était-elle arrivée  ? Et moi, le fils, devenu encore plus mortel maintenant que ne respirait plus celle qui l’avait mis au monde, qu’allais-je apprendre de cette effroyable expérience : la mort de celle que j’aimais au-delà de tout et qui, par le simple fait d'exister, me "protégeait" (ainsi que tout enfant le croit) de ma propre mort?
J’ai alors décidé que mon chagrin, ce chagrin tout ce qu’il y a de plus brut, de plus vrai, de plus insupportable, serait abordé, sinon circonvenu, par le biais de cette grande consolatrice qu’est la littérature - et offert comme présent posthume à cette femme sans vie allongée devant moi.
Cette "lettre" est aussi un voyage dans le temps et dans l'espace, à travers une généalogie où toutes les combinaisons, ou presque ont été présentes à un moment ou un autre: un ancêtre, juif peut-être, constructeur de synagogues en Bavière, un autre, musulman, défenseur de  l'austère Constantine face aux Turcs et qui deviendra, après avoir été empaillé, le saint patron de cette ville, un Suisse protestant qui fera expulser, au début du vingtième siècle, sa femme allemande enceinte de son propre fils, un grand-oncle qui s'engagera dans l'armée allemande au tout début de la seconde guerre mondiale, sans compter, évidemment, cette grand-mère suisse trapéziste qui volera dans ma mémoire jusqu’à mon dernier jour sur terre...

Derrière cette adresse à la mère qui meurt dans un hôpital algérien où elle n’est pas correctement prise en charge, se profile une peinture de la société algérienne et ses travers.
L’hôpital en Algérie est un résumé effroyable de la société de ce pays : le pire (souvent) y côtoie le meilleur. L’indifférence est plus souvent au rendez-vous que la simple compassion, la négligence que la conscience professionnelle. Les inégalités y sont plus frappantes qu’ailleurs car, en dernière instance, elles mettent en jeu la vie même de ceux qui les subissent. On y rencontre certes des gens humain et compétents, mais le système de gestion (de mauvaise gestion) est ainsi construit que le pire semble conduire la danse. Visitez les services d’oncologie et vous comprendrez la cruauté des rapports sociaux économiques en Algérie : si vous n’avez pas d’ « épaules », c’est-à-dire de connaissances influentes parmi le personnel médical et paramédical, si, pis, vous êtes pauvre, alors attendez-vous à souffrir le martyre…
De toute façon, les dirigeants du pays se fichent pas mal des dysfonctionnements du système hospitalier algérien car, au moindre souci de santé, eux n'hésitent pas à se faire transférer à grands frais dans les meilleurs hôpitaux des grandes capitales occidentales...

Votre mère est Marocaine et a vécu en Algérie une grande partie de sa vie. Elle y a vécu comme une étrangère, subissant les travers de l’administration, amenant votre père à ne pas la déclarer pendant un laps de temps de peur qu’elle ne soit renvoyée dans son pays, le Maroc. C’est terrible et scandaleux. Comment avez-vous vécu cela ?
Ma mère a vécu pendant longtemps dans l’exil le plus total, avec l’impossibilité, durant des années de se rendre dans son pays natal car elle craignait de ne plus pouvoir revenir auprès de ses enfants et de son époux. Elle n’a pas été la seule dans ce cas, loin de là : les deux pays ont rivalisé de sournoiserie politique et de bêtise bureaucratique dans ce domaine. Que de familles des deux côtés de la frontière algéro-marocaine ont été brisées par les absurdes et anachroniques querelles à courte vue opposant les classes politiques des deux pays ! Dans ce domaine du respect des droits des étrangers, aucun pays ne rachète l’autre.

Mère marocaine, grand-mère maternelle suisse, issue elle-même d’un mariage entre un Suisse et une Allemande, c’est la question des origines mêlées, croisées et, par conséquent la question identitaire longtemps taboue en Algérie.
L’Algérie pourrait être une Andalousie nouvelle si elle choisissait de vivre avec toutes ses richesses humaines, celles du passé, léguées — ou imposées— par les convulsions de l’histoire, et celles du présent, avec les opinions polyphoniques et, parfois nécessairement, contradictoires de ses concitoyens. Elle s’y refuse pour le moment, préférant se réfugier dans une prétendue identité monolithique, rigide et stérile, essentiellement fondée sur la langue arabe classique et la religion. Cette obstination de l'Algérie à refuser de se voir telle qu’elle est réellement est dangereuse, elle a  déjà coûté la vie à près de deux cent mille citoyens. Il lui en coûtera davantage à l’avenir, le pire n’étant pas d’être relégué petit à petit au rang de pays "antipathique" ayant choisi de se donner comme futur un passé moyenâgeux, meurtrier et encore plus dictatorial.
J’ajouterais cependant que cette tentation de la "pureté" n'est pas propre à l'Algérie et ne relève pas non plus d'un quelconque (et stupide) atavisme ethnique. Dans mon livre, je rappelle une autre tentation de la pureté, d'une échelle autrement plus catastrophique, qui s'est emparée d'une partie de l'Europe au mitan du siècle dernier, entraînant, entre autres crimes indescriptibles, deux génocides, celui des Juifs et des Tsiganes.
Aucun peuple, malheureusement, n'est vacciné contre les ravages de la haine et de l'intolérance !

À côté de cette mère, étrangère et tendre, il y a la figure du père, austère et sévère. Et qui est un homme de théâtre, ce qui est assez contradictoire. On se serait attendu à un personnage plus ouvert. Cela dit, là aussi ce sont les pesanteurs de la société algérienne qui l’influencent…
Ma lettre à ma mère est aussi, à certains endroits, une adresse à mon père, les deux personnes longtemps les plus décisives de ma vie. Si la contradiction comme figure philosophique avait besoin d'une représentation humaine, mon père aurait été un candidat idéal. Mais peut-être était-il d'abord un homme de son temps, à la fois empêtré dans les pesanteurs du passé et tendu de toute son âme vers les promesses de l'avenir. Homme du futur quand il s'agissait de s'opposer à la servitude coloniale, homme du passé (d'un certain passé) quand la question de la liberté de ses enfants (et surtout de ses filles) s'est posée. Je nuance immédiatement: il a tout fait pour que ces mêmes filles accomplissent des études, n'hésitant pas à leur permettre de les poursuivre à l'étranger quand la possibilité s'en est offerte. Emporté, d'un caractère difficile, mon père admettait peu la contradiction, mais, en même temps, inondait la maison de livres parfois peu orthodoxes, nous offrant ainsi les instruments de notre propre libération intellectuelle et spirituelle. Je lui dois beaucoup même s'il m'arrive de lui en vouloir, n'ayant jamais réussi à avoir avec lui la conversation décisive qui nous aurait définitivement réconciliés.

Derrière ce tableau familial, se profile donc la société algérienne intolérante, fermée.
Mon livre brasse un peu plus d’un siècle d’histoire. Un regard objectif sur les cent dernières années suffit pour constater que l’intolérance, le racisme, le sectarisme politique ou religieux ont été très « démocratiquement » (et très « sanguinairement ») partagés entre les différentes nations de notre planète. La société algérienne n'est donc pas un cas particulier, condamnée, par une absurde macule congénitale, à l’exclusion et au fanatisme. Les circonstances terribles de son histoire passée et présente, la nature prédatrice et profondément médiocre du pouvoir qui gère si mal l'Algérie depuis son indépendance, ne l'ont certes pas aidée à transformer en ouverture religieuse, morale et politique les grandes valeurs d'hospitalité et de générosité qui sont foncièrement les siennes. Elle a payé le prix fort pour découvrir les conséquences néfastes de l’imposition par la force et la terreur de l'unicité de pensée. Tout est possible pour elle, le meilleur comme le pire et rien n'est plus urgent pour ce pays que de se demander quel type d’avenir et de société il veut pour ses enfants et, en particulier, s’il souhaite réellement rester en marge de l'histoire. La tâche qui l'attend est immense car il ne lui suffira pas de se débarrasser du régime sclérosé qui règne sans grande utilité, sinon celle de se servir,  à sa tête.

Écrire un tel texte doit être assez éprouvant. Comment on en sort ?
 J’en suis ressorti à la fois meurtri et reconnaissant. Meurtri et plein de remord d’être passé à côté de ma mère, sans avoir jamais essayé d’en savoir plus sur l’être humain complexe qu’elle avait été en réalité ; reconnaissant, parce que le peu que j’ai gardé d’elle m’a durablement changé. En mieux, je crois. 

 Propos recueillis par Yahia Belaskri