samedi 4 avril 2020

Anouar Benmalek flingue le système algérien et défend les détenus d’opinion (AlgerieCulture,1/04/2020)



Actualité


Anouar Benmalek flingue le système algérien et défend les détenus d’opinion
Nabila SKANDER (1/04/2020)



Anouar Benmalek, ex-secrétaire général du Comité Algérien Contre la Torture créé dans le sillage des événements d’octobre 1988, reste fébrilement fidèle à sa posture d’écrivain engagé. En plus des thématiques que traitent ses romans, notamment l’universalité de la souffrance et de la douleur qu’il met en scène dans des contextes multiples et qu’il conçoit comme autant d’appels à la réhabilitation de la sacralité de l’homme, il ne rate aucune occasion de crier sa colère intellectuelle face aux dérives des systèmes politiques.

« Une position de flèche dans le combat contre le mal ».

Dans une lettre au ton irascible qu’il vient d’adresser , à travers sa page Facebook officielle, aux autorités algériennes, il exprime à la fois son admiration de la fougue et de la vigueur qui habitent les Algériennes et les Algériens, leur passion de l’impossible, et son indignation face aux réactions grossières et infâmes du pouvoir. « Cette audace incroyable de l’Algérienne et de l’Algérien de se vouloir enfin citoyens, presque soixante ans après l’indépendance et de le clamer haut et fort est insupportable d’impudence pour les différents clans qui constituent le pouvoir algérien ! Les moyens les plus arbitraires sont alors mobilisés par ce dernier pour mater ce peuple rêvant de liberté et que lui, le conglomérat protéiforme qui maltraite l’Algérie, ne considère que comme un ramassis de moutons apeurés tout juste bons à subir une « hrawat el klab » (raclée de chiens), selon l’expression amusée d’un sinistre tortionnaire des services de sécurité dans les années quatre-vingts, » écrit-il avec majesté.

Anouar Benmalek a toujours été un écrivain « embarqué », angoissé par les questionnements qui habitent sa société, les remous et les frissons qui la secouent. On le savait intransigeant de par son passé de militant contre la torture et son exigence dans l’écriture qui l’ont érigé en symbole inébranlable de la résistance intellectuelle en Algérie, mais, là, en s’adressant directement aux autorités à travers une lettre ouverte au vitriol, il assume un irréversible face-à-face avec les forces du « mal algérien », un face-à-face qui rehausse sa trajectoire d’homme debout. En 2003 déjà, dans son excellent livre Chroniques d’une Algérie amère, il écrivait : « Prenons garde, nous Algériens, d’oublier cette règle simple de toute éthique sociale, que celui qui commet un crime doit payer car alors, en paraphrasant Pascal, ne pouvant fortifier la justice, nous aurions justifié la force! » Aujourd’hui, il est toujours sur la même lancée, occupant comme il aime le dire « une position de flèche dans le combat contre le mal ».

Anouar Benmalek: un intellectuel et demi

Ce faisant, Anouar Benmalek administre une belle leçon de responsabilité morale et citoyenne à ceux qui, par calcul ou par couardise, se maintiennent toujours à équidistance des bourreaux et des victimes au nom d’une supposé « sagesse » ou d’une immoral propension au compromis. L’auteur du Fils de Shéol, lui, ne tergiverse pas et n’hésite pas devant la félonie qui pèse sur une bonne partie de l’intelligentsia algérienne. Il accuse, il tire, il assume. Il compromet toute possibilité de compromission future avec ces adversaires du jour. Comme Sabato, comme Kateb et comme Labou Tansi, il est entier. Il détruit les ponts derrière lui pour ne plus avoir à reculer. Il avance, majestueusement et fièrement, vers la vérité qui libère, la liberté qui éclaire…  « Honte à vous, gens du pouvoir, divisés peut-être entre différents groupes prédateurs, mais toujours unis dans un semblable mépris envers la nation ! Honte à vous également, valets de ce même pouvoir, qui salissez de manière si indigne le terrible et grave métier de juger des concitoyens, non pas en votre âme et conscience, mais en vous inclinant si lâchement devant les injonctions illégales de vos maîtres du moment ! » écrit-il dans sa lettre qu’il dédie aux prisonniers politique et d’opinion en rappelant qu’ils ont été arrêtés « simplement pour avoir osé mettre en œuvre les droits et devoirs que leur reconnait la Constitution : le droit à l’expression et à l’association politiques libres et celui de manifester publiquement et pacifiquement l’opposition au régime, le devoir de combattre la corruption qui gangrène les institutions nationales et celui de transmettre à la nouvelle génération une Algérie plus « propre » et plus fière d’elle-même. »

À travers cette position franche et courageuse, Anouar Benmalek se réaffirme comme un écrivain ayant un sens très élevé des responsabilités intellectuelles et de l’exigence morale qui, en principe, constituent l’essence de toute personne naviguant dans les humanités.  Anouar Benmalek est, de ce fait, un intellectuel et demi.

Honte à vous, gens du pouvoir algérien, honte à vos valets !
 (27 mars 2020)
 
Ainsi donc, le pouvoir algérien, par le biais d’une justice aux ordres, n’a pas hésité à maintenir en prison des opposants emblématiques et en incarcérer d’autres en profitant cyniquement de l’épidémie de coronavirus ! Tablant sur l’absence du Hirak dans la rue pour cause de nécessaire et vital confinement, le pouvoir et ses sbires se sentent les mains encore plus libres pour châtier par l’emprisonnement ceux qui ont eu le courage de clamer haut et fort leur droit à la citoyenneté : ce que la « justice » algérienne reproche abusivement à Karim Tabbou, Samir Belarbi, Toufik Hassani, Khaled Drareni, Slimane Hamitouche, Hadj Ghermoul et aux centaines d’autres incarcérés ou poursuivis pour des faits similaires, c’est simplement d’avoir osé mettre en œuvre les droits et devoirs que leur reconnait la Constitution : le droit à l’expression et à l’association politiques libres et celui de manifester publiquement et pacifiquement l’opposition au régime, le devoir de combattre la corruption qui gangrène les institutions nationales et celui de transmettre à la nouvelle génération une Algérie plus « propre » et plus fière d’elle-même.

Cette audace incroyable de l’Algérienne et de l’Algérien de se vouloir enfin citoyens, presque soixante ans après l’indépendance et de le clamer haut et fort est insupportable d’impudence pour les différents clans qui constituent le pouvoir algérien ! Les moyens les plus arbitraires sont alors mobilisés par ce dernier pour mater ce peuple rêvant de liberté et que lui, le conglomérat protéiforme qui maltraite l’Algérie, ne considère que comme un ramassis de moutons apeurés tout juste bons à subir une « harwat el klab » (raclée de chiens), selon l’expression amusée d’un sinistre tortionnaire des services de sécurité dans les années quatre-vingts.

Dans le contexte d’épidémie par le coronavirus, le pouvoir sait, sans aucun doute, que ces condamnations à la prison ferme peuvent équivaloir, compte tenu de l’état déplorable des prisons algériennes et de leur surpeuplement, à des condamnations à la maladie par la contamination et à la mort dans certains cas pour les plus faibles. Il compte sans scrupule sur ce canon pointé du révolver-virus sur la tempe des militants de la liberté pour dompter définitivement la révolte citoyenne du peuple algérien.

Honte à vous, gens du pouvoir, divisés peut-être entre différents groupes prédateurs, mais toujours unis dans un semblable mépris envers la nation ! Honte à vous également, valets de ce même pouvoir, qui salissez de manière si indigne le terrible et grave métier de juger des concitoyens, non pas en votre âme et conscience, mais en vous inclinant si lâchement devant les injonctions illégales de vos maîtres du moment !

Vous, hommes de loi, avez des enfants, des mères et des pères, des parents aimés. Comment osez-vous les regarder en face, le soir, quand vous rentrez chez vous, une fois votre sale besogne achevée ?
Et vous, journalistes des médias courtisans du régime, aussi bien gouvernementaux que privés mais tous semblablement stipendiés, ne vous arrive-t-il donc pas de vous sentir écœurés par votre propre et incessante servilité lorsque vous ânonnez à longueur d’articles et de journaux radio et télévisés, toute dignité oubliée, les ridicules louanges dithyrambiques que vous adressiez hier au dirigeant suprême, Bouteflika, que vous adressez avec un identique empressement à Tebboune aujourd’hui ?
Et ne parlons même pas, parmi d’autres exemples aussi misérables, de ce pitoyable « Conseil national des droits de l’Homme » qui, au lieu de défendre ceux dont on bafoue les droits, comme le laisserait pourtant penser l’intitulé ronflant de sa raison sociale, se range avec zèle du côté du côté des oppresseurs, c’est-à-dire de ceux qui, en dernière instance, le récompensent…

Ne pensez cependant pas que vous avez gagné la partie, gens du pouvoir et la valetaille cupide et sans honneur qui vous sert aveuglément. Le Hirak des braves, des opiniâtres, des fous d’espoir, celui de la multitude longtemps dédaignée, moquée, rabaissée est enraciné pour longtemps en Algérie, malgré vos tribunaux, malgré vos multiples services de sécurité militaires et policiers, malgré même votre allié temporaire surprise, le coronavirus.

Anouar Benmalek
(écrivain, ex-secrétaire général du Comité Algérien Contre la Torture)

dimanche 25 août 2019

Arrogance et Incompétence meurtrières



La ministre de la culture, Mme Meriem Merdaci, tout juste "démissionnée", est à l'exacte image du pouvoir algérien dans toutes ses composantes, tant civiles que militaires : illégitime dès sa nomination, puisque membre d'un gouvernement nommé par un président corrompu et putschiste, illégale après le 9 juillet 2019, arrogante et suffisante toujours, et, pour finir, d'une négligence et d'une incompétence meurtrières : cinq jeunes gens morts et des dizaines de blessés !

Addenda: je viens d'apprendre que ce personnage vient d'annoncer sur son compte facebook "avec un certain enthousiasme, qu’il était affecté à d’autres fonctions, tout en se gardant d’en dire plus. Or, selon certaines sources informées, Mme Merdaci serait nommée conseillère auprès du chef de l’État intérimaire, Abdelkader Bensalah" (source plusieurs journaux électroniques).

Le système militaire algérien et ses valets civils ne changeront donc jamais: à la prédation, la corruption et l'arrogance, ils ajoutent, comme d’habitude, l'ignominie et l'irrespect le plus total envers les victimes de leur propre impéritie.

Dégagez, Mesdames et messieurs, qui prenez l'Algérie pour votre propriété personnelle: ce grand pays mérite largement mieux que vous!
Anouar Benmalek


jeudi 14 mars 2019

M. Bouteflika commet un coup d’Etat! (El Watan 13 mars 2019; L’Humanité 14 mars 2019)

   M. Bouteflika, en tant que personne et en tant que représentant du système de prédation qui dirige le pays, vient de commettre un coup d’État: dans n'importe quel pays "normal", un président qui s'arrogerait le droit de prolonger de lui-même son mandat en dehors de ce que prévoit la constitution, est considéré comme un putschiste.
     La constitution algérienne ne prévoit qu'un cas de prolongation automatique du mandat présidentiel : l'état de guerre. Or l'Algérie n'est pas en guerre. M. Bouteflika est donc un putschiste.
   La seule guerre qui existe en Algérie est celle que le pouvoir en place mène contre les droits de son propre peuple.
    M. Bouteflika, messieurs les complices de Bouteflika, vous commettez une forfaiture contre l'Algérie. Non, l'Algérie ne vous appartient pas, elle appartient aux citoyens algériens.
Anouar Benmalek (12 mars 2019)



dimanche 17 février 2019

Sisyphe et la haine


Ainsi donc, rien ne changerait : l’homme, la femme et l’enfant seraient toujours considérés comme des bêtes nuisibles à expulser, chasser, et même à tuer, pourvu que quelque chose dans leur apparence (couleur de peau, habillements, croyances religieuses…) les fît apparaître comme « étrangers », et, par conséquent, pas totalement humains !
Cette certitude misérable d’avoir toujours quelqu’un qui vous soit « inférieur » est largement répandue dans notre bête communauté de singes Homo sapiens et est même perçue comme un signe de « progrès » par certaines âmes indignes : en effet, avoir, par exemple, des migrants « chez soi »,  des migrants qui ont franchi votre frontière au péril de leurs vies et après des épreuves épouvantables, des migrants dont vous pouvez vous plaindre d’un ton pincé dans les discussions racistes de comptoir « prouve » que vous avez la chance, vous aussi, d’appartenir peu ou prou au monde des pays « riches », ou, du moins, moins pauvres que ceux de ces « envahisseurs pouilleux » qui auraient dû rester chez eux dans leur noire Afrique « au lieu de venir voler notre pain et agresser nos fille, chère madame ! »
Cette possibilité de mépriser autrui « à cause de ce qu’il est » est précieuse pour certains de ceux qui sont eux-mêmes susceptibles de subir cette dégradation dans l’ordre de l’humanité ! « Si nous pouvons traiter de haut des migrants africains », estiment d’aucuns en Algérie, pour ne citer que ce pays, qui est aussi le mien, « si nous avons le droit d’employer à leur encontre les mots du raciste occidental contre le migrant maghrébin, alors nous ne sommes plus au bas de l’échelle humaine, il y a plus infame que nous ! ».
Pour ceux de mes concitoyens dont le cœur se gonfle de haine consolante, c’est une pure jouissance que de pouvoir renvoyer, à leur tour, les mots souillés des xénophobes occidentaux dans la direction des clandestins africains qui ont traversé illégalement les frontières sud du pays, avant d’échouer sur les trottoirs d’Alger et d’autres villes du nord, affamés, épuisés de fatigue et à bout d’espoir.
Quel plaisir ignoble, en effet, que de pouvoir traduire — et avec l’aval en acte des autorités — les vieilles insultes européennes « Sale Arabe, bougnoule, violeur maghrébin, porteur de syphilis, etc. » en une version plus locale : « Sale Africain, négro, violeur noir, porteur d’Ebola, etc. » !
Quelle satisfaction écoeurante que d’être en mesure de reprendre, et, parfois au plus haut niveau officiel, les mêmes accusations proférées contre les Maghrébins ou les Syriens (pour ne citer qu’eux) par l’extrême droite européenne pour les appliquer contre ces maudits migrants à la peau trop sombre pour être tout à fait honnêtes : «  la présence des migrants et des réfugiés africains dans plusieurs localités en Algérie peut causer des problèmes aux Algériens, [les exposant] au risque de la propagation du sida ainsi que d’autres maladies sexuellement transmissibles » !
Ce sont les propres mots d’un triste sire occupant le poste officiel en Algérie de « président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme » (sic) prononcés après les rafles opérées à Alger dans les rangs des migrants subsahariens et leur convoyage manu militari aux portes du Sahara, avant leur expulsion définitive. Oubliant la solidarité pourtant consubstantielle à l’organisme qu’elle dirige, même la responsable du Croissant-Rouge algérien a justifié la mesure en y allant de sa vilaine phrase sur la « promiscuité qui pose des problèmes d’ordre sécuritaire » …
C’est tellement chic de pouvoir être ouvertement raciste à son tour : on se sentirait presque européen, on adhérerait, tiens ! au Front National avec enthousiasme et on voterait même Donald Trump si celui-ci ne détestait pas à ce point tout être humain dont le bronzage n’est pas dû au seul soleil d’une plage !
Comment ne pas désespérer devant cette misère faite aux migrants, nos semblables, qui ne veulent qu’une seule chose au fond : fuir la guerre et la misère pour donner une meilleure vie à leurs enfants ? Comment avoir foi en l’humanité que nous partageons avec eux, quand tant de milliers d’entre ces frères en humanité perdent la vie en traversant le désert ou la Méditerranée sans provoquer plus de scandale que ça à l’OUA, l’ONU, la Ligue arabe et tous ces « machins » dispendieux et volontiers donneurs de leçons par ailleurs ?
J’avais écrit il y a quelques années un poème se voulant caustique :

Tous les Cafards se ressemblent
au point que j’en arrive à me demander
« Mais comment font-ils donc
pour se distinguer? »
Tandis que Nous, les Punaises
ah! Nous, les Punaises...

Il m’arrive de désespérer plus souvent qu’à mon tour de la nature humaine. J’ai eu une discussion à ce propos avec une amie, artiste de grand talent, Emmanuelle Bunel. Lucide, elle professe, elle, l’optimisme en action. Elle m’a fait l’honneur de chanter un de mes poèmes, écrit en pensant, en partie, à cette « Mer Blanche Moyenne », l’un des autres noms de notre chère Méditerranée, devenue malgré elle tombeau de tant de migrants :


les oiseaux se posent sur les têtes
ils mangent du soleil
qu’ils découpent en tranches
et te donnent en échange des miettes d’étoiles

Dans mon pays
ne t’étonne pas
si la lune verte
aux ruses de fennec
s’essayant à chaque montagne
chapeau pointu et hilare
ne t’étonne pas
si à l’improviste
elle te croque soudain le cœur
en battant les mains de joie

Dans mon pays
la mer n’est pas la mer
c’est une griffe
bleue ou violette c’est selon
qui se pavane sur ses vagues
et se tait parfois
dans une grotte
pour écouter le souffle des plantes qui respirent

Dans mon pays
les oranges sont citrons
et les citrons sont oranges
les labyrinthes sont simples
et les fruits font beaucoup de bruit en naissant

Dans mon pays

Serre les dents, m’a-t-elle conseillé en substance, écris d’abord et plains-toi ensuite ! La lutte contre la haine est une tâche épuisante, de longue haleine, mais, bon, Sisyphe avait-il eu la possibilité de refuser son destin ?
Anouar Benmalek