vendredi 23 décembre 2011

Rencontre avec l’écrivain Anouar Benmalek : “La littérature, c’est ma vie”

  
Enfant des peuples du Maghreb quelque part entre le Maroc et l’Algérie, puisqu’il faut rappeler qu’il est issu d’un mariage mixte, Anouar Benmalek vous écoute entre des rires en cascade et des réponses où pointe un certain cartésianisme hérité de la discipline qu’il enseigne aujourd’hui dans une faculté de France. Avec un esprit qui jongle avec l’univers studieux des probabilités toutes mathématiciennes, il a bien voulu répondre à nos questions, lui l’écrivain  qui se livre dans une parole profonde. Ici l’entretien qu’il nous a accordé au cours de la vente-dédicace organisée samedi dernier par la Librairie du Tiers-Monde.



   Vous êtes ici pour dédicacer vos récents ouvrages Tu ne mourras plus demain et Chroniques de l’Algérie amère, 1985-2011». Pouvez-vous nous parler du premier livre qui a été qualifié par le Figaro de roman impitoyable ?

Le rôle du romancier est de montrer l’être humain comme il est. Ce dernier a toujours plusieurs figures : il peut être bon mais aussi avoir un visage terrible. Dans ce cas, le romancier ne doit pas écrire de façon caricaturale mais parler de la vie comme elle est. S’il se montre parfois impitoyable, c’est parce qu’il ne cherche pas à faire des romans à thèses mais à montrer la vie dans sa complexité même.

Le Magazine littéraire parle justement de ce livre qui se situe au cœur de l’intime comme le roman d’un amour posthume qui plonge au plus profond des complexités humaines. Pouvez-vous nous en parler ?

   C’est un compliment que vous me faites et j’espère le mériter. Au fond, ce que recherche un romancier, c’est cette complexité qui peut être souvent infinie parce qu’un être humain peut se montrer courageux mais aussi se révéler lâche. Le propre de l’écrivain est de montrer ces différents aspects de la vie. Celle-ci est diverse, et chacun peut l’interpréter comme il l’entend. Ce sont ces différentes facettes que l’on doit retrouver dans un roman en particulier quand il s’agit de l’histoire de l’Algérie, cette histoire cruelle qui se mêle à l’histoire individuelle, avec ses allers-retours entre la grande histoire et la petite. Je crois qu’il faut pouvoir montrer comment on est algérien et on n’est pas facilement algérien parce que notre histoire est douloureuse, qu’il s’agisse de l’histoire coloniale ou celle des dernières années. Un pays comme le nôtre où il y a eu 200.000 morts, c’est un pays pour le moins complexe.

Pouvez-vous nous entretenir du second livre que vous êtes venu présenter au public algérien, "Chroniques de l'Algérie amère" ?

   Ce livre est le résultat  d’une expérience qui fut fondatrice et riche pour moi. Il rassemble des écrits journalistiques qui couvrent une période de 25 ans. On y retrouve une variété de situations importantes à travers lesquelles on s’aperçoit au bout du compte que beaucoup de gens doutaient de ce qui allait advenir de l’Algérie mais à aucun moment on a pensé que cela pouvait être grave.
C’est un livre qui est le récit de notre ignorance et qui raconte comment l’Algérie a pu basculer dans l’horreur absolue parfois alors que tout paraissait indiquer au contraire qu’elle allait vers un horizon extraordinaire. L’histoire nous a montré que nous nous trompions beaucoup, c’est pour cela que ce livre est amer.

Mais vous avez eu des prises de position radicales avec la création d’un comité contre la torture vers la fin des années 1980, une activité qui vous a d’ailleurs quelque peu éloigné de l’écriture…

   Vous savez, c’était l’exigence de l’époque, il y avait des choses tellement horribles qui se passaient. Evidemment je ne pouvais plus continuer à écrire. Donc, pendant un certain temps, j’ai dirigé ce comité avec d’autres collègues, et les gens que nous avons pu interviewer étaient vraiment remarquables. Ils ont été pour moi une leçon de courage. Tous ces jeunes qui témoignaient à visage découvert faisaient preuve d’une telle résistance ! Je me suis alors dit que je n’avais plus d’excuse en tant qu’intellectuel et écrivain. J’ai compris à ce moment-là que je n’avais plus le droit de me taire, ma parole s’est libérée à ce moment-là.

La critique française vous a encensé en parlant de votre littérature comme d’un «art visionnaire» et de vous comme d’un «Faulkner méditerranéen». Ici même vous êtes considéré comme l’écrivain algérien le plus talentueux après Kateb Yacine. Qu’en pensez-vous ?

   Disons que les compliments sont écrasants mais il faut les prendre avec modestie parce que ce qui importe, c’est ce que contient votre livre. Je préfère retenir,  comme nous avons une mé-moire sélective, les gens qui disent du bien de moi bien qu’il s’en ait trouvé qui ont dit du mal. Les compliments servent parfois à vous pousser à aller plus loin dans l’écriture.  Maintenant  me comparer à Kateb Yacine ou William Faulkner, même de très loin, cela me fait plaisir.

Selon un sondage de la presse privée algérienne, vous faites partie des dix personnalités qui ont marqué l’année 2009. Par ailleurs, votre nom a été cité dans la liste des écrivains nobélisables. Qu’en dites-vous ?

   Il vaut mieux dire dans ce genre de situations : No comment ! Les compliments engagent ceux qui les font et pas nécessairement ceux qui les reçoivent. Là, je dois dire qu’ils sont excessifs. Quand vous écrivez un livre, c’est d’abord parce que c’est une nécessité profonde. La littérature, pour moi, c’est ma vie. Je n'aurais pas dit cela il y a une vingtaine d’années. Une fois qu’on s’est laissé guider par l’écriture, on ne peut plus s’en passer car  cette vie est une tragédie : on naît pour mourir, et dans l’intervalle, la littérature tente de trouver une réponse à cette question fondamentale. Je pense qu’elle peut se résumer dans cette phrase : essayer de comprendre cette chose étrange qu’est la vie.

Entretien réalisé par Lynda Graba

20 questions à … Anouar Benmalek, par Sarah Elkaïm (Afrique Magazine, décembre 2011-janvier 2012)



  


1.Votre idée du bonheur ?
Être aimé, lire de bons livres, en écrire quelques-uns pas trop mauvais, écouter de la belle musique, vivre longtemps en bonne santé et quitter cette terre sans trop d’amertume.

2. Votre idée du malheur ?
N’être plus aimé et ne plus pouvoir l’écrire.

3.Votre caractéristique maîtresse ?
L’obstination.


4. Votre plus grand succès ?
Rencontrer un lecteur pour lequel un de mes livres aura été décisif dans sa vie personnelle.

5. Votre plus grande peur ?
Elle concernerait mes enfants, donc je ne l’expliciterai pas

6. Votre personnage vivant préféré ?
Mandela.


7. Le personnage historique auquel vous vous identifiez ?
Le personnage qui me servirait de modèle serait un cocktail de Ben Mhidi et de Jean Moulin, de Pasteur et de Victor Hugo, le tout mâtiné d’un zeste de Dante et d’Émir Abdelkader…


8. Le trait de votre caractère que vous déplorez particulièrement ?
L’emportement.

9. Le trait de caractère que vous déplorez particulièrement chez les autres ?
La trop grande habileté verbale, mère de l’hypocrisie, du mensonge et des grands renoncements.

10. Votre voyage favori ?
Inde et Sahara algérien

11. Votre plus grand regret ?
Ne pas avoir dit à ma mère, avant qu’elle ne meure, combien je l’aimais ; ne pas avoir eu avec mon père la conversation qui nous aurait définitivement réconciliés. J’ai écrit mon dernier livre « Tu ne mourras plus demain » pour tenter de réparer ces deux grands échecs. Trop tard, évidemment.

12. Votre état d’esprit actuel ?
Combattif, avec un peu d’épuisement cependant.

13. Votre possession la plus importante ?
Le cadeau de la vie plutôt : mes deux enfants.

14. Ce que vous détestez par-dessus tout ?
La lâcheté qui se pare des arguments de l’intelligence ; le mot « trop tard » (voir plus haut).

15. Votre occupation favorite ?
Écrire.

16. La qualité que vous appréciez le plus chez un homme ?
La fidélité aux idéaux, malgré les sarcasmes du siècle.

17. La qualité que vous appréciez le plus chez une femme ?
La même que chez un homme (en y ajoutant immédiatement, pour ne pas être trop tartufe, toutes les autres « qualités » qui troublent profondément l’hétérosexuel de base que je suis).

18. Comment voudriez-vous mourir ?
Entouré de ceux que j’aime et sans trop de douleur (j’ai vu ma mère mourir d’un cancer à Alger…)

19. Si vous deviez renaître, sous quelle forme voudriez-vous revenir sur terre ?
D’abord en Homme de Neandertal (pour comprendre pourquoi notre cousin en humanité a disparu, alors qu’il était probablement notre égal en intelligence) ; puis en successeur de l’Homo sapiens, pour savoir ce que cela fait d’être moins bête que notre espèce actuelle, capable de la pire violence et du mépris le plus dévastateur envers ses propres représentants.

20. Quelle est votre devise ?
Aller toujours en avant, même si cela doit se faire à tâtons.

"Tu ne mourras plus demain", recension par Mohammed Yefsah (La cause Littéraire, 21 décembre 2011)




Tu ne mourras plus demain est le dernier livre de Anouar Benmalek, écrit après la mort de sa mère, dans lequel il lui rend hommage en tentant de remonter sa généalogie aux innombrables croisements. Le romancier, docteur en mathématiques et poète, a voulu cette fois-ci résoudre l'équation de ses propres origines, lui qui s'est souvent intéressé aux racines des autres, notamment dans ses romans, O Maria, Les amants désunis et L'enfant du peuple ancien.

  Issue de l'union d'une suisse et d'un marocain, une rencontre qui « n'avait donc pas dû être évidente à l'époque ségrégationniste du protectorat » (p.26), la mère s'installe ensuite en Algérie, le pays de son époux, après l'indépendance. Par ce récit émouvant, Benmalek a voulu trouver entre les blancs de la mémoire la voix de sa mère, une voix qui avait essayé de vaincre le silence, de donner de l'amour à ses enfants, le goût des livres et de la lecture à son fils futur écrivain, mais qui se taisait devant l'exil et la tourmente de l'Histoire. La maman de l'écrivain a vécu avec l'angoisse d'être refoulée de son pays d’accueil à cause du conflit des frontières entre le Maroc et l'Algérie. Aux silences des siens, à l'intolérance des autres, au mutisme d'un père décédé  emportant avec lui les mots de tendresse qu'il ne savait que chuchoter quand ses enfants s'endormaient, Benmalek questionne le passé.
  La parole pudique de sa défunte mère n'a pas facilité la tâche à l'auteur, qui a ainsi tenté de trouver le mot juste pour restituer ses pensées et  sentiments, ses regrets et joies. Il a voulu en savoir plus sur son enfance à elle. Or cette quête est restée jonchée de questionnements plus que d'affirmations. A défaut d'une histoire complète de l'enfance de la mère, l'écrivain évoque la sienne, avec les bonheurs des moments de joies et de bêtises enfantines, et les malheurs des angoisses et des difficultés.
« Quoi qu'on dise, le passé est la substance du présent. Nous construisons notre présent principalement avec le bois piqué de la mémoire des jours passés, quitte à la déformer, à l'ajuster à nos souhait ou, mieux, à la réinventer de fond en comble » (p.29).
  L'histoire de la mère, qui pourrait être commune à première vue dans la banalité des choses de la vie, est placée dans un contexte historique avec sa complexité. Le récit brasse le siècle à travers la loupe familiale et la vie d'une femme dans les conditions d'une société patriarcale. Mais en dépit de la douleur, Benmalek ne perd jamais l'ironie et l'humour qui sont l'une des marques de ses romans. Par ailleurs, il a su exprimer l'inévitable culpabilité qui ronge après la perte d'une personne chère au cœur, en pensant ne pas avoir su apporter plus d'attention, ne pas avoir donné assez de tendresse ou d'amour, ne pas avoir consacré suffisamment de temps ou prononcé les mots d'affection restés au bout des lèvres. Il aborde aussi cette mort de l'autre qui renvoit à la peur de mourir et aux questions existentielles.
  « Avant ta mort, je projetais déjà d'écrire sur ta famille et sur celle mon père. S'y trouvaient réunis, me semblait-il, tous les ingrédients pour une saga enfiévrée courant sur deux siècles et demi au moins, mêlant Afrique, Europe, monde arabe, religion, langues, sur fond de fureur apocalyptique, d'amour et de violences folles » (p.43).
Finalement, ce récit n'est ni une saga ni une biographie, plutôt un dialogue post mortem du fils avec les « fantômes » des souvenirs, des propos, des gestes et des anecdotes, remontant l'histoire familiale et de l'Algérie, et le chemin de vie de l'auteur sous l'œil protecteur de la mère.
  Avec Tu ne mourras plus demain, titre qui sonne comme le premier vers d'un poème, Anouar Benmalek a posé les plus beaux chrysanthèmes sur la tombe de sa mère, un immense bouquet de pages d'amour.


Mohammed Yefsah


jeudi 8 décembre 2011

"Le Rapt": Un superbe "Crimes et Châtiments" (French Review USA, novembre 2011)

French Review (USA), Alek Baylee Toumi, novembre 2011: "... Souvent comparé à Faulkner ou encore à Dostoïevski, Benmalek nous entraîne à travers maintes histoires cachées, celles des bavures et autres génocides emmurés dans les oubliettes de l'histoire. Avec beaucoup d'imagination, d'humour et de suspense, ce superbe Crimes et Châtiments de plus de 500 pages accroche rapidement le lecteur qui le lit d'une traite."

Lire le texte entier:

lundi 5 décembre 2011

"Tu ne mourras plus demain", France Inter, émission Cosmopolitaine de Paula Jacques, dimanche 4 décembre 2011)




"Tout de suite, c’est Anouar Benmalek, le grand romancier d’origine algérienne qui nous fait le plaisir d’être avec nous en direct... C'est un grand chant d'amour, une lettre adressée à votre mère... Votre livre commence au contraire de celui de Camus... Un chant incantatoire pour la mère disparue... Terriblement émouvant, la vie passionnément présente... De l'intérieur du tombeau va surgir la vie..."



 Voici le lien  pour écouter en streaming : http://boomp3.com/mp3/6b9d0ay68ps-anouarbenmalek-franceinter-cosmopolitaine-4dec2011

Un autre lien pour télécharger le podcast:  http://www.megaupload.com/?d=VFO6XG52