mardi 22 novembre 2011

Le Cahier Noir d'Octobre (téléchargeable)

Vingt ans après, que reste-t-il d’Octobre 1988 et de ses centaines de morts ?  Un crime impuni d’abord, la torture. Puis des victimes suppliciées qui souffrent encore dans leurs âmes, et, pour beaucoup, dans leurs corps. Enfin des tortionnaires d’État  impunis et confortés dans leurs pratiques.
Ce constat est amer.
 Pour que la victoire des tortionnaires ne soit pas complète en Algérie, il faut lui opposer sans cesse la parole des victimes, à défaut de justice.
Il y a presque vingt ans, mes compagnons du Comité national contre la torture m’avaient fait l’honneur, largement non mérité, de me choisir comme secrétaire général de notre association. Mais c’est en tant que simple militant pour le respect des droits de l’homme et du plus sacré d’entre eux, celui du respect, inconditionnel en toutes circonstances, de l’intégrité du corps humain que j’ai pris l’initiative de « republier », deux décennies après,  le terrible document que constitue le Cahier Noir d’Octobre. En plus des témoignages déchirants des victimes et de documents en annexes sur les activités du CACT et de prises de position de différentes organisations, je me suis permis d’y ajouter un certain nombre d’articles que j’avais écrits alors sur ce sujet.
                                                                                                                                                                                                             
Anouar Benmalek, octobre 2008


télécharger librement le recueil complet de témoignages sur la torture en Octobre 1988 en Algérie à l'adresses suivante:

http://www.megaupload.com/?d=3V4DLL7N


"Anouar Benmalek présente «Tu ne mouras plus jamais» au Sila: un ouvrage autobiographique, déchirant et poignant

 Midi Libre, 2 octobre 2011


L’une des figures emblématiques de la littérature algérienne, à savoir Anouar Benmalek a été avant-hier l’invité du café littéraire organisé dans le cadre de la 16e édition du Salon international du livre d’Alger. Une occasion à travers laquelle il a présenté son nouvel ouvrage «Tu ne mouras plus jamais » et à travers laquel il est revenues sur les événements phares de sa vie lié a son pays natal.


L’auteur des Amants désunis (Calmann-Lévy), de L’Enfant du peuple ancien, de Ô Maria et du Rapt, dont les œuvres furent traduite en dix langues et pour lesquelles il a reçu plusieurs prix, n’a pas manqué de rendre hommage à sa défunte mère: «Qui s’étonnera que j’écrive ? Ma généalogie est un roman. Mais aujourd’hui maman est morte. Et le seul roman que j’aimerais écrire, c’est celui de l’amour que je ne lui ai pas assez manifesté», annonce-t-il dans son œuvre.
Nous comprendrons que ce livre est né d’un chagrin incommensurable et d’une colère débordante.

D’abord le chagrin de voir la mort arracher le dernier souffle à sa maman puis de la colère contre les hôpitaux algériens qui en sont la cause, puisque «ma mère a été laissée à l’abandon ». Il dira à ce propos «il est insupportable de voir autant de mépris envers les malades qui ont le plus besoin d’attention et de réconfort ». A l’occasion de cette rencontre il reviendra sur ses écrits caractérisés par une la violence et la colère «j’aurai peut-être écrit des choses plus clémentes si j’avais vécu ailleurs, mais lorsqu’on a vécu en Algérie on n’arrive pas a se détacher de cela ».

Le plus grand regret d’Anouar Benmalek est de n’avoir pas confié à sa mère ses sentiments profonds envers elle «je regretterai toute ma vie le fait de n’avoir pas dit à ma mère que je l’aime ». C’est ainsi qu’il justifiera ce récit autobiographie «je n’ai pas pu écrire autre chose maintenant qu’un récit personnel dans lequel le narrateur et l’auteur n’en font qu’un»

Anouar Benmalek écrivain, poète, nouvelliste, romancier et journaliste, est né d’un mariage mixte (mère marocaine et père algérien) le 11 janvier 1956 à Casablanca. Il est aussi l’auteur de plusieurs œuvres littéraires, l’écrivain a pourtant fait des études dans un domaine autre que la littérature et est professeur de mathématiques à l’université des sciences et des technologies d’Alger à Bab-Ezzouar (doctorat d’État en probabilités et statistique à Kiev et maîtrise de mathématiques à Constantine). Durant cette même époque, Anouar Benmalek était journaliste au quotidien Algérie-Actualité.

Les événements d’octobre 1988 le contraignent à laisser momentanément en marge ses «activités littéraires», pour se mettre entièrement au service d’une autre cause. Il a été l’un des fondateurs, après les émeutes, du Comité algérien contre la torture. Ce n’est qu’en 1998 qu’il décide de reprendre l’écriture, faisant dans la prolifération de romans.
Il obtient plusieurs prix : Médaille de la ville de Rennes (France) pour son activité littéraire, le Prix Rachid Mimouni pour son roman Les Amants désunis ; sélection Fémina, sélection Médicis pour son roman les Amants désunis, traduit en dix langues; et son roman l’Enfant du peuple ancien, traduit en huit langues, obtiendra aussi en 2000 les prix Millepages, celui des auditeurs de la RTBF (Radio Télévision Belge) et le prix RFO (Réseaux France Outre-mer) en 2001, ainsi que d’autres prix tout aussi honorables.

 Ses livres ? Un jardin littéraire parsemé de mots, de scènes, d’images et de décors, autant d’éléments qui révèlent une écriture qui fourmille d’imagination. Son univers? L’Algérie. Mais pas seulement. Mais plutôt l’exploration d’une multitude de territoires géographiques (Damas, Beyrouth, Los Angeles, l’Australie, l’Espagne...), attitude qui dénote un souci d’ouverture sur l’extérieur. Sa temporalité ? Passé. Présent. L’un imbriqué dans l’autre. L’un faisant écho à l’autre, une démarche qui attribue à ses fictions une dimension essentiellement contemporaine. Ses personnages ? Des êtres humains ordinaires aux histoires de vie marquées par les blessures de la vie, en quête d’amour et de bonheur. Son œuvre ? Un Livre ouvert qui met en évidence une parole inspirée et qui inspire ; une écriture qui vous touche par l’élégance de son verbe et vous transcende par son amour pour la Liberté et son désir d’Humanité. Tout simplement. Et c’est un coup de projecteur sur l’écrivain et la lumière de grâce qui illumine son esprit inventeur de rêves hors d’atteinte, nichés çà et là, dans les jardins aux secrets mystérieux, que nous propose A. Benmalek à travers cette parole qui dit, témoigne et marque son empreinte dans l’histoire de la littérature algérienne et universelle.

La plupart des écrivains commencent par un ouvrage autobiographie, car cela est nécessaire pour eux afin de dépasser le stade de l’enfance pour arriver à celui de la maturité littéraire. Cela n’a pas été le cas d’Anouar Benmalek qui a d’abord écrit des œuvres de fictions...

Par : Kahina Hammoudi

 

Anouar Benmalek : «Le contrat moral, l’idylle présumée entre l’armée et le peuple ont été rompus» (El Watan, 5 octobre 2011)

 Notre révolution démocratique, nous l’avons faite en octobre 1988.» Tous le disent aujourd’hui. Surtout les dignitaires du régime. Ahmed Ouyahia, Premier ministre et secrétaire général du RND, Mourad Medelci, ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN et ministre d’Etat, représentant personnel du président Bouteflika, et d’autres, célébrant sans complexe la «révolution démocratique» d’Octobre et revendiquant son héritage. Qui l’aurait cru possible il y a seulement quelques mois ? Conjurent-il ainsi le «mauvais» sort jeté par les peuples maghrébins et arabes à leurs autocrates ? Rien n’est moins sûr.Que les dirigeants du pays revendiquent le 5 Octobre après l’avoir qualifié de «complot», de «jacquerie», de «chahut de gamins» et ses manifestants traités de «voyous»  relève de l’«obscène, tient de cet hommage que rend parfois le vice à la vertu», commente Anouar Benmalek, écrivain, journaliste et président du très impertinent CCT, le Comité national contre la torture créé dans la foulée du soulèvement populaire d’Octobre.
Cette tartuferie politicienne est symptomatique, d’après Benmalek, du degré d’amnésie affectant la société : «Une amnésie perpétuelle. Car n’oublions pas que ces responsables, à l’époque piliers du système répressif, endossent une lourde responsabilité dans les tueries et tortures pratiquées en octobre 1988.» 23 ans après cette séquence révolutionnaire au goût d’inachevé, 500 morts plus loin, beaucoup d’amertume et un insondable sentiment d’injustice et d’impunité parcourent la «génération d’Octobre». A ce jour, aucun des assassins et tortionnaires d’Octobre, «amnistiés» au lendemain des événements, n’a été jugé. (E.W)



interview d'El Watan, 5 octobre 2011


-Ouyahia, Medelci, Belkhadem louent aujourd’hui les vertus démocratiques de la révolte d’Octobre 1988. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?
Cela ressemble presque à une farce. Que les dirigeants actuels revendiquent le 5 Octobre, cela ne peut être qu’obscène. Cela prouve aussi la force du symbole : ceux qui, hier, étaient traités de petits voyous sont devenus indispensables pour asseoir la légitimité du pouvoir. Cela illustre aussi le degré d’amnésie affectant la société. Car n’oublions pas que ces responsables, comme c’est le cas de l’inénarrable Belkhadem, pilier s’il en est du système répressif, endossent une lourde responsabilité dans les tueries et tortures pratiquées en Octobre 1988. Je constate qu’il y a comme une amnésie perpétuelle. Le peuple préfère parfois oublier. C’est terrible car nos morts sont méprisés ; ils meurent deux fois, en fait. Les événements qui ont suivi Octobre étaient tellement épouvantables que les 500 morts des événements paraissent presque insignifiants.
-L’Armée nationale populaire a tiré sur le peuple. Pensez-vous que cela constitue en soi un grave précédent ? Que l’armée choisira, dans un contexte révolutionnaire similaire à Octobre, le même camp, celui du régime…
Ce n’est pas la première fois que l’armée tire sur le peuple. Le «contrat moral», l’idylle présumée entre l’armée et le peuple ont été rompus bien avant Octobre 1988. Les appareils répressifs de l’armée avaient tous les pouvoirs et l’ont fait comprendre au peuple. Il faut rappeler les affrontements de l’été 1962 entre l’armée des frontières et les maquisards de l’intérieur. A Annaba, après le coup d’Etat de 1965, l’armée a assassiné des Algériens. N’oublions pas la chape de plomb et la terreur que faisait régner en Algérie la Sécurité militaire.
-A la veille de chaque commémoration d’Octobre 1988, le même débat resurgit. Octobre 1988, jacquerie ou révolte spontanée ?
Je pense que c’est un mélange des deux. Au départ, je crois que cela été voulu par un clan du pouvoir. Un clan qui a surestimé par ailleurs sa force. Mais la colère du peuple, l’emballement des évènements ont été tels que ce clan a été complètement dépassé par la suite. C’est ma conviction intime et je n’ai pas d’arguments à faire valoir. Ce n’était pas tant la démocratie que le peuple réclamait, en Octobre 1988. La révolte du peuple n’avait pas d’objectif précis mais elle était orientée contre toutes les formes d’humiliation qu’on lui faisait subir. Les partis d’opposition clandestins étaient déphasés par rapport au peuple, dépassés par les événements.
Les services de sécurité, rongés par l’incompétence, l’ont été aussi. Je crois qu’il y avait dedans un cocktail de magouilles politiciennes de très bas niveau et d’incompétence des appareils répressifs du régime. Car la révolte était là, potentiellement forte, mais elle a pêché par une absence totale d’encadrement politique. Les forces démocratiques étaient très faibles et elles le sont toujours, tandis que la seule force organisée était les islamistes. Ces derniers ont tout naturellement tiré profit de la situation. Avec du recul, il ne peut pas en être autrement. Les Algériens qui manifestaient et défiaient le régime découvraient en fait leur force.
-Le Comité national contre la torture a été mis en place en réaction à la répression féroce qui s’est abattue sur les manifestants. Quel a été votre rôle exactement ?
J’étais alors journaliste à Algérie Actualité. Comme dans toutes les rédactions, à l’époque, on savait qu’il y aurait quelque chose le 5 octobre. Dès le départ, les prévisions étaient tellement précises que la thèse de la manipulation par les «services» apparaît vraisemblable. Maintenant, qui de la Présidence ou de l’armée ont été les véritables instigateurs, je crois, personnellement, qu’il ne faut pas trop s’attarder sur cet aspect et ne retenir en définitive que l’immense élan populaire et les espoirs suscités, notamment celui de la dignité retrouvée. On avait fait une grande assemblée générale à l’université d’Alger. Les gens sont venus témoigner des tortures subies. Nous étions choqués par les récits donnés par les victimes, étonnés par le courage dont elles faisaient preuve pour raconter les tortures que les services de sécurité leur ont infligé. Je me souviens du témoignage d’un manifestant de Bab El Oued torturé par la police. Son sexe avait été introduit dans un tiroir, pris en tenailles, écrasé violement avec le casier. «On a tué mon âme», hurlait-il.
-La torture a été pratiquée à grande échelle lors de ces événements…
Connaissant la nature du régime, ce n’était pas une surprise. Le régime a toujours fonctionné par la torture. Cela étant, il n’y a pas eu déchaînement subit de violence. La torture a été démocratiquement pratiquée. Tous les services de sécurité que compte le pays avaient participé démocratiquement à la torture. Nous avions honte, nous, intellectuels, de rester en marge. D’où l’idée de constituer un Comité national contre la torture qui, malheureusement, n’a pas été jusqu’au bout de sa raison d’être malgré ses nombreuses manifestations. Beaucoup de gens nous avaient rejoints, beaucoup ont abandonné sous la pression et l’intimidation. Je me souviens que les dirigeants du Comité ont été convoqués par l’un des patrons de la Sécurité militaire à l’époque. Ce dernier nous mettait en garde, nous hurlait : «Nous sommes le cœur de l’Etat.» Evidemment, on a eu peur, mais cela ne nous a pas empêchés de publier le «Cahier noir d’Octobre» avec des témoignages épouvantables.
23 ans après, on constate qu’aucun des responsables des tueries, aucun des tortionnaires n’a été inquiété, n’a payé ne serait-ce que le prix de la honte. C’est l’impunité totale. Notre Comité n’a été officiellement autorisé qu’au lendemain du vote de l’amnistie. Les tenants du régime poussent l’ironie encore plus loin : les victimes, considérées officiellement comme étant victimes d’accident du travail, ont été indemnisées par la Caisse de sécurité sociale ! Accident du travail, disent-ils : travail des bourreaux, s’entend !
-Les acquis d’Octobre n’ont pas résisté à l’épreuve du temps et les coups de boutoir du régime…
Oui, c’est vrai du point de vue politique. La façade a été ravalée : multipartisme, une Assemblée plurielle, etc., mais ce n’est qu’une vitrine car le personnel politique a été domestiqué. Le seul acquis d’Octobre qui demeure encore est la liberté de parole, la liberté d’expression des Algériens. Il ne faut ni le sous-estimer ni le surestimer.
                   
                                            propos recueillis par Mohand Aziri

D’amour et de haine (Les Lettres Françaises, suppléments de l’Humanité, 6 octobre 2011)


 
 Tu ne mourras plus demain,   d’Anouar Benmalek, Éditions Fayard. 180 pages,   17 euros. 

  Le récit d’Anouar Benmalek commence par   un cri, celui de la mère de l’auteur – « Ce   matin de mai, vers dix heures, tu as hurlé de   douleur, d’une voix particulièrement aiguë : “Écartez-   vous de moi, écartez-vous de moi !”… » – juste   avant qu’elle ne meure : « Et, d’un seul coup, dans   une grande explosion de souffrance, tu es morte. »   Ce cri de douleur, cette explosion de souffrance,   ce sont aussi ceux du fils, on le comprendrait à   moins, pourtant la suite du récit apportera d’utiles   précisions sur son attitude.
  C’est effectivement avec   une rage non dissimulée qu’Anouar Benmalek jette   tout cela sur le papier. Rage devant l’inéluctable de   la nature humaine ? Sans doute, encore qu’il y a, chez lui, la parfaite acceptation de notre condition.   Alors ? La mort de la mère et les souffrances la   précédant auraient pu être différées si seulement   son mal avait été détecté un peu plus tôt et si elle   avait été correctement soignée, toutes choses impensables   dans l’Algérie d’aujourd’hui, semble-t-il : les   quelques épisodes « médicaux » que narre Anouar   Benmalek sont terrifiants. Ils ne sont, hélas, que l’un   des nombreux signes de la dégénérescence du pays   qui a sombré, dans les années 1990, dans la folie   meurtrière. Rage encore de l’auteur qui a « raté » la   mort de sa mère : il était à l’étranger où il s’est exilé   et il est arrivé trop tard (« Pardon, maman, je n’étais   pas là quand tu as rendu ton dernier souffle », or   c’était « le seul (moment) de ta vie que je n’avais   pas le droit de rater »…), comme il est arrivé trop   tard pour la mort de son père.

   Pourtant Tu ne mourras plus demain, et à cet   égard le titre est on ne peut plus clair, est avant tout   une lettre d’amour – un amour qu’il n’a pas su   dire comme il convenait, mais le peut-on jamais ? –   de l’auteur à la disparue. Oui, l’amour comme   envers de la rage. Anouar Benmalek s’adresse   directement à sa mère. Cette lettre à la mère se   doublera bientôt d’une lettre au père, bien moins   féroce que celle de Kafka au sien, parce qu’empreinte   malgré tout d’une immense tendresse.
   À   partir de là Benmalek remonte le temps dans des   « pages affamées de passé », et reconstitue son   roman familial, et quel roman ! Avec des protagonistes   qui sont de véritables figures de fiction   (« que d’invraisemblances dans nos vies ! ») : une   grand-mère maternelle suisse autrefois trapéziste   en tournée au Maroc, et qui épousera un enfant du   pays tombé en admiration devant elle, l’artiste de   cirque. Lui-même, probable fils d’une esclave peule,   wolof ou soninké… Un père, passionné de théâtre,   qui fuira Constantine pour s’installer au Maroc où   il rencontrera de manière tout à fait romanesque   celle qui deviendra sa femme, la mère d’enfants   qui s’égailleront pour la plupart à l’étranger, en   exil… et bien d’autres personnages tout aussi hauts   en couleur. Ce qui se dessine en creux derrière ces   descriptions volontairement laconiques, ce sont des   pans entiers de l’histoire de l’Algérie et du Maroc   contemporains.

  Ce « petit » livre, aux antipodes des   sagas coutumières de l’auteur, est précieux à plus   d’un titre : il met au jour la tragédie d’exister, et son   bonheur aussi, à travers la recherche d’une écriture   qui, enfin, pour dire l’indicible, ne bégayerait plus.   Mais est-ce possible ? 
Jean-Pierre Han 

"Un récit poignant" (El Moudjahid, 5 octobre 2011)


L’auteur des Amants désunis, de l’Enfant du peuple ancien, de Ô Maria et du Rapt, Anouar Benmalek, se distingue de nouveau avec son dernier roman Tu ne mourras plus demain, paru aux éditions Fayard, qu’il a présenté au grand public au Salon international du livre d’Alger.

 

L’œuvre d’Anouar Benmalek est un récit poignant, par lequel il a essayé de présenter la seule et dernière preuve d’amour et d’affection pour une personne trop chère mais qui ne pourra, hélas, plus l’entendre. « Ma généalogie est un roman. Mais aujourd’hui maman est morte, et le seul roman que j’aimerais écrire, c’est celui de l’amour que je ne lui ai pas assez manifesté. Je croyais avoir tout le temps pour le faire et que ma mère s’éternisera, mais je me suis trompé,   » déclare-t-il, tout en ajoutant que ce roman ne relève pas de sa vie personnelle. Ce n’est pas une autobiographie intime, mais d’une situation désolante vécue et  dont il dit avoir la difficulté à la définir dans son dernier livre. « Jamais un texte ne fut plus imprévu pour moi ni plus dur et, simultanément, plus doux quoique amère  à écrire. Ce livre n’est certainement pas une autobiographie, je ne pense pas que ma vie personnelle soit à ce point captivante qu’il soit impératif de l’exposer au grand public. Cependant, qu’y a-t-il de plus intime que les sentiments que l’on porte à ses parents et, en particulier, à sa mère ! » souligne-t-il.

 L’auteur lance un appel à tous ceux qui se privent de déclarer leur affection à leurs parents et surtout à leur mère, de le faire pendant qu’il en est encore temps. Il regrette toutes les fois où il ne l’a pas fait pour sa maman. « Nous avons tous une mère que nous perdrons un jour. Si nous avons de la chance, cette mère, son existence durant, nous a follement aimé, sans condition aucune, au point d’être prête à sacrifier sa vie malgré notre ingratitude, nos défauts, nos oublis, notre indifférence parfois. Pourquoi alors nous nous privons de lui transmettre et de lui  faire sentir à quel point nous l’aimions et à quel point sa présence nous était indispensable. Il faut toujours se rendre à l’évidence que la vie va  tellement vite, qu’elle passe sans que nous nous apercevions de sa valeur. Alors il faut profiter de chaque moment et dire à ceux qui nous sont chers, que nous les aimons, affirme-t-il.  L’auteur ne se limite pas à l’amour d’une mère qu’il  a perdue et il ne reste pas captif de ce triste chagrin. Bien au contraire, il évoque également des  situations alarmantes du vécu social dans notre pays. Il y retrouve, en retraçant douloureusement la vie de celle à qui il doit la vie, les thèmes qui hantent son œuvre depuis toujours : la misère des origines, le racisme, l’intolérance, et le combat infatigable contre l’absurdité intrinsèque de l’existence, avec  un attachement à l’espérance et la bonté. Le combat quotidien des citoyens algériens contre une dure quotidienneté avec les différentes  directions, les hôpitaux, etc. Il  décrit ce vécu pénible et douloureux des Algériens.

Anouar Benmalek trouve toujours un refuge dans l’écriture, il retrace aussi la période d’indignité relevant de l’époque coloniale, très importante pour nos parents. « Il  ne faut jamais oublier que nous  n’étions même pas considérés comme des êtres humains à part entière. Il est aussi important de  dire que les régimes qui se sont succédé à la tête du pays n’ont pas fait œuvre utile, mais rien n’est comparable à un régime aussi indigne que le colonialisme », tient-il à préciser avant d’ajouter :  « Je voulais aussi parler de cette Algérie qui aime et hait en  même temps ses enfants, qui est égoïste et cruelle mais qui est nôtre. Alors je parle de ma génitrice et de ma deuxième mère qui est l’Algérie ». Par ailleurs Anouar Benmalek fait le souhait d’une vie meilleure  pour tout le monde, pleine de respect, de droit et de dignité. Il exhorte aussi les jeunes à aimer le savoir et la lecture.

Kafia Ait Allouache

"Un livre déchirant comme l’est la disparition d’un être cher" (La Nouvelle République, 4 oct 2011)



Avec Tu ne mourras plus demain, paru, il y a peu, chez Casbah Éditions et Fayard, Anouar Benmalek signe un ouvrage très intimiste où il revient sur la souffrance dans laquelle il s’est retrouvé plongé au lendemain du décès de sa chère maman.


 Lettre à l’absente, exorcisme de la douleur, catharsis, peu importe le nom que nous pouvons lui donner. Le fait est qu’au lieu du livre sur sa généalogie qu’il comptait écrire, Anouar Benmalek s’est retrouvé -un peu malgré lui-, dans un autre projet d’écriture, celui où il ouvre la boîte de Pandore pour revivre, le temps d’un souvenir, dans la chaleur de cet amour maternel, à jamais perdu. Admise dans un hôpital de la capitale pendant plusieurs jours, la maman d’Anouar Benmalek a succombé des suites d’une longue maladie. En dépit du mal qui la rongeait et des intenses souffrances endurées au quotidien, ses enfants caressaient l’espoir de la voir guérir. Mais c’était compter sans ce terrible destin qui prive des enfants de leur maman. Du coup, sa perte les a laissés perdus.

«D’un seul coup, dans une grande explosion de souffrance, tu es morte. Aussi simplement que ça. Et là, tu vas rire maman. Je me suis retrouvé, nous nous sommes retrouvés, toute la fratrie, dont le plus jeune approchait la cinquantaine, comme une volée de poussins éberlués au bord d’un gouffre. Un gouffre, inévitable certes mais fichtrement bien réel puisque tu venais justement d’y tomber», écrit-il dans les premières pages. Anouar qui se trouvait à l’étranger arrivera trop tard. «Pardon, maman, je n’étais pas là quand tu as rendu ton dernier souffle», dit-il encore.
Anouar Benmalek, accablé par le chagrin, laissera alors libre cours à ses émotions, se dévoilant sans fausse pudeur. Des excuses, des regrets, des questionnements, des espoirs. Ce livre traduira tout ceci à la fois.
Née au Maroc d’une mère trapéziste d’origine suisse et d’un père moitié marocain, moitié mauritanien, la mère de l’auteur connaît une enfance difficile. Après la séparation de ses parents, elle et son frère sont confiés à la garde de leur mère. Cette dernière tente, tant bien que mal de les élever mais la misère ne tarde pas à poindre le bout de son nez. Aussi, c’est la mort dans l’âme que cette Suissesse envoie ses enfants vivre chez leur père, remarié. La fille sera privée de tout, y compris d’instruction. Confinée dans un rôle de bonne à tout faire, elle ne connaîtra rien d’autre que les quatre murs de la maison, jusqu’à l’âge de 20 ans. Age où elle sera demandée en mariage par un jeune homme, de quinze ans son aîné mais dont elle était secrètement tombée amoureuse. «Tu apprendras plus tard que celui qui te courtisait ainsi muettement était acteur de théâtre par passion et instituteur par nécessité, pas très grassement payé, bien entendu». Cinq enfants naîtront -au Maroc- de cette union. Anouar raconte l’enfance, l’école au Maroc, les sorties familiales, les punitions paternelles et plein d’autres souvenirs avec beaucoup de nostalgie et parfois même une note d’humour. dans son monde.

D’histoires en confidences, d’anecdotes en aveux, il partage avec nous les émotions les plus intimes, comme cet accident domestique qui aura coûté la vie à son père, dans les années 1980. Un départ prématuré qui l’aura empêché d’avoir une «ultime conversation orageuse et réconciliatrice entre un père et son fils». Certes, ils n’étaient pas fâchés mais il aurait aimé que le destin lui accorde une petite heure pour avoir enfin cette conversation dont son père l’a privé de son vivant. Plus qu’un cri de douleur, Tu ne mourras plus demain, c’est le fil illusoire qui rattache un fils au souvenir de sa mère, par delà la mort.

Un livre déchirant comme l’est la disparition d’un être cher. A lire absolument !

Hassina A.

Anouar Benmalek, Tu ne mourras plus demain, éd. Casbah, Alger 2011, 179 pages.

ANOUAR BENMALEK PRÉSENTE "TU NE MOURRAS PLUS DEMAIN" (L'Expression, 2 oct 2011)

«Un livre de mémoire...»



Invité à parler de son œuvre, Anouar Benmalek s'est montré très attachant bien qu'assez virulent et nourri de colère contre un pays riche qui s'occupe mal de ses enfants...

Pas facile d'écrire sur une chère personne qu'on vient de perdre. Anouar Benmalek vient de le faire dans son récit Tu ne mourras plus demain édité aux éditions Casbah. Avant la mort de sa mère, l'auteur de Ô Maria projetait d'écrire sur la famille de cette dernière et sur celle de son père. «S'y trouvaient réunis, me semblait-il, tous les ingrédients pour une saga enfiévrée courant sur deux siècles et demi au moins, mêlant Afrique, Europe, Monde arabe, religions, langues, sur fond de fureurs apocalyptiques, d'amours et de violences folles» mais voilà que survient la cassure à laquelle on ne s'y attend pas et qui fait basculer l'être humain dans un trou béant indescriptible. «Qui s'étonnera que j'écrive? Ma généalogie est un roman. Mais aujourd'hui maman est morte. Et le seul roman que j'aimerais écrire, c'est celui de l'amour que je ne lui ai pas assez manifesté», écrit Anouar Benmalek.

Dans un long monologue où l'écrivain s'adresse à sa mère, l'auteur nous plonge dans sa vie intime mais aussi celle des Algériens avec et ses instants de bonheur et ses aléas. Un livre intime plein de pudeur mais intransigeant et profond. Invité à parler de son œuvre, Anouar Benmalek s'est montré très attachant bien qu'assez virulent et nourri de colère contre un pays riche qui «soigne mal ses enfants et respecte mal sa population». «Mon très grand regret est de ne pas avoir dit suffisamment, je t'aime, à ma mère; nous sommes la seule créature qui a conscience qu'elle va mourir et qui n'en tient pas compte», dira-t-il en substance. Anouar Benmalek qui déplorera l'état de nos hôpitaux et le manque de civisme qui y règne, des signe indignes dira-t-il d'un grand pays. Et de se demander: «Comment cela puisse changer si tout le monde se fiche de ses concitoyens? Cela dénote du mépris que nous éprouvons envers nous-mêmes. Pourquoi subissons-nous ce mépris? Malgré tout, nous ne sommes pas condamnés à l'indignité. Je suis optimiste de nature.»

Aussi, selon Anouar Benmalek, l'Algérie n'a pas de quoi rougir ou avoir honte, condamnée à sortir qu'elle est de cette crise. L'auteur de L'Enfant du peuple ancien fera remarquer que bien avant l'Egypte et la Tunisie, l'Algérie a contribué à cette révolte arabe en prenant part à cette envie de liberté en 1988. Il soulignera aussi les potentialités des Algériens à se battre tout en indiquant que nous avons une presse qui est la moins corsetée. Revenant à son écriture, Anouar Benmalek admettra que s'il avait vécu sous d'autres cieux il aurait écrit des livres plus sereins, bien qu'il aime bien ce qu'il fait. Evoquant une autre femme qui a marqué son enfance et qu'il a perdue trop tôt, l'auteur, né de père algérien et mère marocaine, confiera que sa disparition fut également soudaine ne lui laissant pas le temps de lui dire, «je t'aime». Cette femme est sa grand-mère russe trapéziste de son état à laquelle Anouar Benmalek vouait -cela se ressent- une admiration sans borne. Evoquant la diversité culturelle en Algérie et l'apport de l'étranger à juste titre dans cet enrichissement, Anouar Benmalek déplorera le fait que les Algériens refusent le métissage.


A propos de son titre, Tu ne mourras plus demain, Anouar Benmalek dira qu'écrire ce livre était une manière de sauver sa mère de l'oubli, qui est une seconde mort qui accable en général les gens qui partent «si tenté de la maintenir en vie par le souvenir car c'est aussi un livre de la mémoire». Pour améliorer notre vie, Anouar Benmalek soulignera cette nécessité de faire chacun son travail à son niveau afin, dira-t-il «de réussir l'utopie. Nous le devons à nos parents».

Revenant à son activité, Anouar Benmalek reprochera aux autorités le fait de ne pas pouvoir aller à la rencontre des jeunes des écoles comme c'est le cas en France. «En Algérie, il faut une autorisation ministérielle! En France je rencontre souvent les écoliers...»
Enfin, évoquant la gabegie aussi qui règne dans notre pays, Anouar Benmalek qui souligne que «jamais un slogan d'un Salon du livre n'a été aussi juste (le Livre délivre)», dira que l'une des solutions à mettre en place pour s'en sortir sont les bibliothèques de prêt qui peuvent avoir un impact important eu égard à l'importance des moyens que possède l'Algérie. «C'est l'un des plus grands services à rendre à la jeune génération» fera-t-il remarquer.

Par O. HIND -