dimanche 9 novembre 2025

 


Anouar Benmalek : « Écrire, c’est penser malgré l’évidence… »


Djamal Guettala
Le Matin d'Algérie, samedi 8 novembre 2025

Avec Irina, un opéra russe, paru le 22 août 2025 aux Éditions Emmanuelle Collas, Anouar Benmalek signe une œuvre où la mémoire, la douleur et l’exil s’entrelacent comme des fils invisibles d’une tragédie humaine. À travers Irina et Walid, il explore les tumultes de l’histoire russe et les fragilités de l’existence, où l’amour devient refuge et la fiction, un espace de liberté.

Pour Anouar Benmalek, « écrire, c’est penser malgré l’évidence » : chaque personnage devient miroir de nos propres blessures, chaque phrase tisse un pont fragile entre ce qui fut, ce qui souffre et ce qui persiste. Lire Irina, c’est se confronter à l’épreuve de vivre, sentir battre le pouls du passé et entrevoir, au cœur des douleurs, la lumière fragile de la réconciliation. Dans cet entretien accordé au Matin d’Algérie, l’écrivain revient sur les racines de son œuvre, son rapport à la mémoire et à l’exil, et cette quête de vérité qui traverse toute son écriture.



Le Matin d’Algérie : Votre roman met en scène des trajectoires multiples, marquées par l’exil, la mémoire et la douleur. Comment ces personnages se sont-ils imposés à vous ?

Anouar Benmalek : À mon sens, un roman répond d’abord à une question : que se passerait-il si… C’est la vieille question qui nous taraude tous, à laquelle l’être humain tente de trouver une réponse depuis l’aube de l’humanité. La mémoire et la douleur sont des composantes essentielles de la définition même du fait d’être humain. Sans mémoire, nous ne sommes rien ; sans douleur, il est peu probable de mener une vie digne de l’être, puisque toute vie digne d’être vécue suppose de se colleter avec ce qui l’empêche justement d’être digne. Quant au fait d’être exilé, nous le sommes tous d’une manière ou d’une autre : exilé de son pays dans le sens le plus littéral du terme, exilé de son enfance, exilé d’une époque où l’on a été heureux avec ses parents ou avec des êtres chers. Vivre est une tragédie, qui se termine toujours mal, comme aucun de nous ne l’ignore, malheureusement.

Dans Irina, un opéra russe, j’ai voulu rejouer cette tragédie de vivre avec les ingrédients propres à la Russie que j’ai connue à l’époque où je préparais une thèse de mathématiques. Je suis parti, comme toujours, d’un couple, Irina et Walid, dont l’histoire d’amour va évoluer dans le temps et dans l’espace dans cet immense monde soviétique, en me concentrant plus particulièrement sur sa partie russe. Comme la Russie ne se comprend pas sans un détour par son passé, il m’a fallu introduire un personnage, Vladimir, conçu au départ comme secondaire, mais qui, rapidement, s’est imposé à moi comme une pièce essentielle au cours de la construction du roman.

Le Matin d’Algérie : La transmission intergénérationnelle est au cœur du récit. Est-ce pour vous une manière de lutter contre l’oubli ou le silence imposé ?

Anouar Benmalek : En caricaturant, nous avons généralement une mémoire de moineau en ce qui concerne les grands événements historiques. Leur complexité est, très souvent, galvaudée, donc niée, en transformant le récit de cet événement en une espèce de « pitch » tenant plus du slogan publicitaire que de la vérité historique. Chaque État entend se construire son propre roman national, de préférence héroïque, qu’importe si le résultat ressemble plus souvent à un scénario de film hollywoodien qu’autre chose ! Si l’Histoire, la vraie, ne correspond pas aux desiderata du scénariste en chef du moment, eh bien, on change l’Histoire ! La lutte contre l’oubli ou, pire, la réécriture sans vergogne du passé est sans fin, harassante, un véritable labeur de Sisyphe, dont on ne sort pas vainqueur en règle générale.

Le Matin d’Algérie : Dans vos pages, l’intime croise toujours l’Histoire collective. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre ces deux dimensions sans sacrifier ni l’une ni l’autre ?

Anouar Benmalek : Je respecte infiniment le travail des historiens, mais je n’ai pas vocation à écrire des romans historiques. Ce qui m’intéresse, c’est la réaction individuelle, particulière, de quelqu’un d’ordinaire qui se trouve confronté à l’Histoire avec un grand H (ou, plutôt, avec une grande hache !) Les thèmes de mes livres sont souvent très graves, leur écriture me mobilise pendant de longues périodes et la seule manière pour moi de garder mon énergie littéraire est d’y introduire une histoire d’amour. Mais, somme toute, n’est-ce pas également le but de notre vie : que vaudrait cette dernière si l’amour lui demeurait étranger ?

Le Matin d’Algérie : Peut-on lire votre livre comme une fresque des blessures du siècle, mais aussi comme une tentative de réconciliation ?

Anouar Benmalek : Probablement. Au fond, je suis ce qu’Emile Habibi nommait un « peptimiste », c’est-à-dire un pessimiste qui ne demande qu’à être optimiste. Écrire, c’est penser malgré l’évidence que les deux à trois années passées à s’échiner sur un roman que personne ne vous a demandé peuvent valoir la peine que l’on s’est donnée parce que quelques lecteurs vous diront après la lecture : « Ah, cette Irina, j’en suis presque tombé amoureux ; et ce Vladimir, c’est un véritable salaud, mais, après réflexion, peut-être n’aurais pas été différent de lui, peut-être n’aurais-je pas eu à mon tour le courage d’être héroïque tout le temps ; et cette famine d’une si grande ampleur au Kazakhstan, pourquoi n’en ai-je jamais entendu parler, etc. »

Le Matin d’Algérie : On dit souvent de vos romans qu’ils sont portés par une écriture « incandescente », où la poésie côtoie la violence. Comment parvenez-vous à travailler cette tension dans la langue ?

Anouar Benmalek : J’applique au travail sur mes fictions la réponse de Joe Louis, l’immense boxeur du milieu du siècle dernier, à des journalistes qui lui avaient demandé sa recette pour avoir été aussi longtemps champion du monde toutes catégories : « J’ai fait du mieux que j’ai pu. »

Quant à moi, plus modestement, je me mets réellement à la place de chaque personnage, leur destin devient littéralement le mien et, comme le contexte dans lequel je les plonge est parfois abominablement compliqué, ma réaction et, par conséquent, mon écriture sont pleines de cette tension que nécessite la survie ! Faire de son mieux est la première obligation du romancier s’il entend faire œuvre nouvelle, originale, une obligation artistique et éthique à la limite du commandement religieux. À quoi bon écrire sinon ?

Le Matin d’Algérie : Y a-t-il, derrière cette écriture, un héritage littéraire précis qui vous accompagne encore aujourd’hui ?

Anouar Benmalek : Je suis l’héritier de tous les livres que j’ai lus, des plus médiocres aux plus remarquables. Et j’en ai lu beaucoup, des romans policiers de base aux ouvrages les plus sophistiqués, des comics tellement aimés de mon enfance à la science-fiction la plus échevelée. Et puis la poésie, ah, la poésie…

Le Matin d’Algérie : Votre livre convoque plusieurs temporalités et points de vue. Était-ce une contrainte narrative ou, au contraire, une liberté indispensable ?

Anouar Benmalek : Notre principal ennemi est le temps, cet assassin qui nous pousse sans arrêt dans le dos jusqu’à nous précipiter dans l’abîme à la fin. Qui résisterait à la possibilité magique, si elle lui était accordée, de remonter ce maudit temps afin de changer le passé et de repartir à l’assaut de l’avenir, à nouveau plein d’espoir et d’illusion ? L’auteur que je suis n’y a pas résisté, mais il a introduit dans son roman une contrainte : remonter le temps se paie toujours très cher, car l’univers n’est en rien conçu pour être tendre envers les créatures vivantes.

Le Matin d’Algérie : Quel rôle joue pour vous la fiction dans l’exploration de la mémoire historique ?

Anouar Benmalek : Je suis d’abord romancier, c’est donc le théâtre des sentiments des êtres humains qui est au centre de mon travail : la fiction est donc l’essentiel, la mémoire historique, le décor en quelque sorte où se meuvent mes personnages. J’ai à cœur cependant que cette restauration de la mémoire soit la plus précise possible ; ce scrupule de présenter l’histoire telle qu’elle aurait dû être présentée, de la débarrasser des oripeaux du mensonge, est pour moi la politesse minimale que l’on doit au lecteur.

Le Matin d’Algérie : Votre œuvre est traversée par des préoccupations politiques et morales. Pensez-vous qu’un écrivain puisse rester en retrait des grands drames contemporains ?

Anouar Benmalek : Un écrivain est aussi un citoyen. Mais il ne doit pas mélanger ses deux identités, car les exigences de l’une et de l’autre ne se sont pas interchangeables. D’un autre côté, j’ai toujours tenté autant que faire se peut de remplir mes devoirs de citoyen, en particulier de m’élever contre les trop nombreuses atteintes à la démocratie et à l’État de droit depuis l’indépendance de notre pays. Mais dans ce domaine, on est toujours très loin d’en faire assez, malheureusement.

L’Algérie est un pays « difficile », et les différents pouvoirs qui s’y sont succédé peuvent vous faire payer très cher vos velléités de participation à la vie de la nation…

De plus, la « compréhension » qu’ont les dirigeants de la nécessaire liberté qui accompagne la création est très relative, sinon nulle.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes vous-même exilé depuis longtemps. Quelle part de votre expérience personnelle irrigue ce livre ?

Anouar Benmalek : L’exil est formateur, dans le sens qu’il vous apprend à vous départir de vos habitudes de pensée et, partant, de nombre de vos préjugés. L’exil est parfois âpre, sinon douloureux. Mais je sais également que je n’aurai pas pu écrire les livres que j’ai écrits en restant en Algérie. L’accueil qui a été réservé en Algérie, par exemple, à mon roman Ô Maria, avec son cortège d’articles incendiaires et de menaces de mort, m’est resté en travers de la gorge, cette gorge qu’un groupe terroriste se promettait justement de trancher pour crime supposé, et absurde, d’atteinte aux « constantes spirituelles » du pays.

Le Matin d’Algérie : Dans un monde saturé de violence, où les guerres et les exils se multiplient, quel rôle attribuez-vous encore à la littérature ?

Anouar Benmalek : Un écrivain ne doit pas espérer changer le monde, tout au plus, s’il n’est pas trop maladroit, de créer un instant d’échange, parfois précieux, entre lui et une poignée de lecteurs. Si la littérature avait le pouvoir de changer le monde, cela se saurait.

Regardez la pléthore d’écrivains de génie qui ont traversé le vingtième siècle : cela n’a pas empêché ce siècle de subir plusieurs génocides, deux guerres mondiales, la barbarie coloniale sur tous les continents, l’impérialisme arrogant et meurtrier des uns et des autres, etc.

On continuera malgré tout à écrire des romans, des nouvelles, de la poésie parce que, comme le soutient une célèbre maxime, il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.

Le Matin d’Algérie : Enfin, que diriez-vous aux jeunes lecteurs algériens et francophones qui vous découvrent aujourd’hui avec ce roman ?

Anouar Benmalek : Lisez, et lisez autant que vous pouvez. C’est la meilleure hygiène morale et spirituelle qui soit dans ce monde décérébré par la propagande des chaînes de télévision et la bêtise souvent crasse des réseaux sociaux.

Entretien réalisé par Djamal Guettala 



Here is the English translation of the text by an AI. Consequently, contextual inaccuracies or errors in meaning may occur.



Anouar Benmalek: "To write is to think in spite of the obvious…"

By Djamal Guettala Le Matin d'Algérie, Saturday, November 8, 2025


With Irina, a Russian Opera, published on August 22, 2025, by Éditions Emmanuelle Collas, Anouar Benmalek has crafted a work where memory, pain, and exile intertwine like the invisible threads of a human tragedy. Through Irina and Walid, he explores the upheavals of Russian history and the frailties of existence, where love becomes a sanctuary and fiction a space for freedom.

For Anouar Benmalek, "to write is to think in spite of the obvious": every character becomes a mirror of our own wounds, and every sentence weaves a fragile bridge between what was, what suffers, and what persists. To read Irina is to confront the trial of living, to feel the pulse of the past beating, and to glimpse, at the heart of sorrow, the fragile light of reconciliation. In this interview granted to Le Matin d’Algérie, the writer reflects on the roots of his work, his relationship with memory and exile, and the quest for truth that runs through all his writing.

Le Matin d’Algérie: Your novel portrays multiple trajectories marked by exile, memory, and pain. How did these characters impose themselves upon you?

Anouar Benmalek: In my view, a novel primarily answers a question: what would happen if… It is the age-old question that haunts us all, and to which human beings have sought an answer since the dawn of time. Memory and pain are essential components of the very definition of being human. Without memory, we are nothing; without pain, it is unlikely one could lead a life worthy of the name, for any life worth living presupposes a struggle with the very things that threaten its dignity. As for being an exile, we are all exiles in one way or another: exiled from one’s country in the most literal sense, exiled from childhood, or exiled from an era when we were happy with our parents or loved ones. Living is a tragedy that always ends poorly—as none of us, unfortunately, are unaware.

In Irina, a Russian Opera, I wanted to restage this tragedy of living using the ingredients specific to the Russia I knew back when I was preparing a doctoral thesis in mathematics. I started, as I always do, with a couple—Irina and Walid—whose love story evolves through time and space within that immense Soviet world, focusing particularly on its Russian heart. Since Russia cannot be understood without a detour through its past, I had to introduce a character named Vladimir. Conceived initially as secondary, he quickly imposed himself upon me as an essential piece in the construction of the novel.

Le Matin d’Algérie: Intergenerational transmission is at the heart of the narrative. Is this, for you, a way to fight against oblivion or imposed silence?

Anouar Benmalek: To put it bluntly, we generally have the memory of a sparrow when it comes to major historical events. Their complexity is very often cheapened—and thus denied—by transforming the account of an event into a kind of "pitch," closer to an advertising slogan than historical truth. Every State intends to build its own national myth, preferably a heroic one; it matters little if the result looks more like a Hollywood film script than anything else! If history—the real history—does not match the desiderata of the chief scriptwriter of the moment, well, they simply change history! The struggle against oblivion, or worse, the shameless rewriting of the past, is endless and exhausting—a true labor of Sisyphus from which one rarely emerges victorious.

Le Matin d’Algérie: In your pages, the intimate always intersects with collective history. How did you find the balance between these two dimensions without sacrificing either?

Anouar Benmalek: I have infinite respect for the work of historians, but I have no vocation for writing historical novels. What interests me is the individual, particular reaction of an ordinary person confronted with History with a capital H (or rather, with a great hatchet!). The themes of my books are often very grave; the writing occupies me for long periods, and the only way for me to sustain my literary energy is to introduce a love story. But, after all, is that not also the goal of our lives? What would life be worth if love remained a stranger to it?

Le Matin d’Algérie: Can we read your book as a fresco of the century’s wounds, but also as an attempt at reconciliation?

Anouar Benmalek: Probably. Deep down, I am what Emile Habibi called a "peptimist"—that is, a pessimist who only asks to be an optimist. To write is to think, despite the obvious, that the two or three years spent toiling over a novel no one asked for might be worth the effort, because a few readers will tell you after reading: "Ah, that Irina, I almost fell in love with her; and that Vladimir, he is a true scoundrel, but on reflection, perhaps I wouldn’t have been any different; and this vast famine in Kazakhstan, why had I never heard of it?"

Le Matin d’Algérie: It is often said that your novels are carried by an "incandescent" style, where poetry sits alongside violence. How do you manage this tension within the language?

Anouar Benmalek: I apply to the work on my fiction the response given by Joe Louis, the great boxer, when journalists asked for his secret to remaining world champion for so long: "I did the best I could."

As for me, more modestly, I truly put myself in the place of each character; their fate literally becomes mine. Since the context into which I plunge them is sometimes abominably complicated, my reaction—and consequently my writing—is filled with the tension that survival demands! Doing one’s best is the primary obligation of the novelist if he intends to create something new and original—an artistic and ethical obligation bordering on a religious commandment. Why write otherwise?

Le Matin d’Algérie: Is there, behind this writing, a specific literary heritage that accompanies you today?

Anouar Benmalek: I am the heir to all the books I have read, from the most mediocre to the most remarkable. And I have read many: from basic detective novels to the most sophisticated works, from the comics I loved in my childhood to the most wild science fiction. And then there is poetry—ah, poetry…

Le Matin d’Algérie: Your book summons several timelines and points of view. Was this a narrative constraint or an indispensable freedom?

Anouar Benmalek: Our primary enemy is time—that assassin who constantly pushes us from behind until we are hurled into the abyss at the end. Who could resist the magical possibility, were it granted, to wind back this cursed time to change the past and charge toward the future once more, full of hope and illusion? The author in me did not resist it, but I introduced a constraint into the novel: turning back time always comes at a high price, for the universe was in no way designed to be tender toward living creatures.

Le Matin d’Algérie: What role does fiction play for you in exploring historical memory?

Anouar Benmalek: I am first and foremost a novelist; thus, the theater of human emotions is at the center of my work. Fiction is the essential part; historical memory is, in a way, the stage upon which my characters move. I am committed, however, to making this restoration of memory as precise as possible. This scrupulousness in presenting history as it should have been presented—stripping it of the rags of lies—is, for me, the minimal politeness owed to the reader.

Le Matin d’Algérie: Your work is shot through with political and moral concerns. Do you believe a writer can remain detached from the great contemporary dramas?

Anouar Benmalek: A writer is also a citizen. But he must not confuse his two identities, for the requirements of one are not interchangeable with the other. On the other hand, I have always attempted as far as possible to fulfill my duties as a citizen, particularly by speaking out against the all too many attacks on democracy and the rule of law since our country’s independence. But in this area, one is always far from doing enough, unfortunately.

Algeria is a "difficult" country, and the various powers that have succeeded one another can make you pay a high price for any desire to participate in the nation’s life… Furthermore, the "understanding" that leaders have of the necessary freedom that accompanies creation is very limited, if not non-existent.

Le Matin d’Algérie: You have been an exile yourself for a long time. What part of your personal experience feeds into this book?

Anouar Benmalek: Exile is formative, in the sense that it teaches you to shed your habits of thought and, consequently, many of your prejudices. Exile is sometimes bitter, if not painful. But I also know that I could not have written the books I have written had I remained in Algeria. The reception given to my novel O Maria in Algeria, with its flurry of incendiary articles and death threats, has remained stuck in my throat—that very throat that a terrorist group promised to slit for the supposed, and absurd, crime of undermining the "spiritual constants" of the country.

Le Matin d’Algérie: In a world saturated with violence, where wars and exiles are multiplying, what role do you still attribute to literature?

Anouar Benmalek: A writer must not hope to change the world; at most, if he is not too clumsy, he may create a moment of exchange—sometimes a precious one—between himself and a handful of readers. If literature had the power to change the world, we would know it by now.

Look at the plethora of genius writers who traversed the twentieth century: it did not prevent that century from enduring several genocides, two world wars, colonial barbarity on every continent, and the arrogant, murderous imperialism of various powers. We will continue to write novels, short stories, and poetry regardless, because, as a famous maxim holds: it is not necessary to hope in order to undertake, nor to succeed in order to persevere.

Le Matin d’Algérie: Finally, what would you say to the young Algerian and Francophone readers discovering you today through this novel?

Anouar Benmalek: Read, and read as much as you can. It is the best moral and spiritual hygiene there is in this world, which has been decerebrated by the propaganda of television channels and the often crass stupidity of social networks.


Irina, un opéra russe : "Une puissante volonté d’interroger les zones obscures de nos existences", El Watan, 9 nov 2025

 


Irina, un opéra russe d’Anouar Benmalek : Le roman algérien d’un vertige russe (El Watan, 9 novembre 2025)

Qu’est-ce qu’être algérien aujourd’hui ?» Cette question que Mohammed Dib jugeait «enfermante» et «aliénante» (revue Apulée, n°8, éditions Zulma, 2023), poursuit encore toujours les écrivaines et les écrivains d’Algérie, au premier chef, ceux qui écrivent en français et publient à Paris.

A rebours de certaines plumes qui acceptent leur place d’«instrument» pour expliquer l’Algérie à l’observateur étranger, c’est-à-dire ceux qui signent des dissertations pseudo-historiques pour absoudre les crimes et le caractère inhumain du colonialisme dans le dessein de «rétablir la démocratie dans leur pays», l’œuvre d’Anouar Benmalek témoigne d’une puissante volonté d’interroger les zones obscures de nos existences selon un registre singulier, émancipé des fausses problématiques identitaires et linguistiques. Quand l’auteur du Rapt (Fayard, 2009) conçoit et écrit ses fresques romanesques, il part plutôt d’une question ouverte : «Qu’est-ce qu’un écrivain aujourd’hui ?» L’écriture de ce professeur de mathématiques bouscule.

Classique et limpide, sa densité historique et émotionnelle défait tous les manichéismes. Pour lui, il ne s’agit pas de désigner les coupables et les complices de tel ou tel désastre, mais de comprendre et surtout de voir et de sentir la bascule d’êtres ordinaires dans le gouffre du crime aveugle, de la déshumanisation jouissive. Par-delà l’appartenance nationale et les diverses assignations identitaires, l’auteur de Chroniques de l’Algérie amère (Fayard, 2003) saisit sans pathos aucun la douleur brute, les ambiguïtés et les ambivalences des êtres humains dans les torrents de l’histoire. Depuis ses précédentes publications dont on peut citer L’Enfant du peuple ancien (Pauvert / Casbah, 2000) ou L’amour au temps des scélérats (Emmanuelle Collas / Casbah, 2021), il ne cesse de complexifier son exploration fictionnelle des géographies et des formes de la violence. Pour cette rentrée littéraire, et plus de quarante ans après la publication de Ludmila ou le Violon de la mort lente (ENAL, 1986), l’écrivain revient dans Irina, un opéra russe, l’un des rares romans qui donnent à voir la Russie soviétique par le biais du regard d’un ancien boursier algérien, à une passion ancienne, intime : la civilisation russe. Loin de se limiter à l’histoire de l’amour empêchée entre Walid et Irina, ce livre investit deux questions fondamentales qui interpellent notre époque – affreusement lacérée par les sidérations que provoquent les entreprises annihilatrices et génocidaires menées par les puissances coloniales et impériales – : jusqu’à quel point mener le consentement à l’euphémisation et à la négation des crimes de masse ? Et quelles réceptions possibles pour une œuvre artistique quand se rencontrent, dans un contexte asymétrique, les descendants des victimes et des bourreaux ? Entretien avec Anouar Benmalek.

Propos recueillis par Faris Lounis (*)                                             

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El Watan: Le personnage principal de votre histoire (Irina, un opéra russe) est un jeune doctorant qui mène une thèse sur Napoléon en Egypte dans l’ancienne URSS. Bien qu’Irina, un opéra russe, ne soit pas un roman strictement autofictionnel, votre parcours estudiantin ressemble fortement à celui de Walid, car vous avez également préparé une thèse de doctorat en mathématiques durant cinq ans entre Kiev, Odessa, Moscou et Leningrad. Je souhaiterais ouvrir notre échange en vous demandant quelques éléments de contexte : qu’est-ce qu’être un chercheur algérien dans l’empire russe durant les années 1970 ?

A.B: A l’époque, l’Etat algérien était assez généreux en matière d’envoi des étudiants nationaux à l’étranger afin qu’ils s’y spécialisent dans telle ou telle discipline ou, par exemple, y préparent des thèses de doctorat. Cela a été le cas de l’ensemble de ma promotion de mathématiques à l’université de ma chère ville de Constantine. Nous étions une douzaine d’étudiants concernés, tous bénéficiaires à la fin de notre dernière année de cette fameuse bourse à l’étranger. Mais, comme vous devez vous en douter, il y avait toujours une sorte de «loterie» dans le tirage du pays où vous deviez continuer vos études : les plus chanceux (ou les plus pistonnés) se voyaient envoyés aux USA, en Angleterre, en France ; les plus défavorisés par le sort devaient se contenter de pays dits de l’Est, dont l’URSS… C’était le temps de la blague, de mauvais goût, certes, mais révélatrice où le premier prix d’un concours fictif était un séjour d’une semaine à Moscou et le second prix d’un séjour de deux semaines à Moscou…
Dans cette promotion, nous avions été deux malchanceux à nous trouver dans cette situation inconfortable d’avoir à choisir entre perdre une année universitaire à nous tourner les pouces ou nous rendre dans un pays à la réputation pour le moins «austère» dont nous ne parlions pas la langue et dont le climat n’était guère rassurant pour les Méditerranéens que nous étions.

En fin de compte (ou, plutôt, en désespoir de cause…), j’ai été le seul de mon département de mathématiques, cette année-là, à me résigner au voyage dans l’empire du froid. Les premiers mois n’y furent pas très agréables, mais ce (long) séjour en URSS fut probablement et paradoxalement une des meilleures choses qui me soient arrivées dans la vie, tant du point de vue scientifique que du point de vue strictement personnel. $ Réglons d’abord la question des études : j’ai eu le privilège, inestimable, de soutenir une thèse dans un pays de grande tradition mathématique. Beaucoup d’avancées spectaculaires dans ma spécialité portent les noms de chercheurs de cette région du monde ! J’ajouterais, cela va de soi, un bémol, étant donné le contexte politique : j’étais mathématicien, et donc non concerné par l’allégeance idéologique que j’aurais eu nécessairement à montrer dans mon travail de thèse si j’avais été, par exemple, un chercheur en sociologie ou en économie…

Quant au reste, c’est-à-dire l’essentiel, j’ai fini par tomber amoureux, amoureux scandalisé certes, mais amoureux quand même de cet immense conglomérat de nations, de religions, d’histoires et de confrontations souvent sanglantes. Amoureux, singulièrement, de la partie russe de ce quasi-continent – et, bien sûr, de sa langue. J’insiste : profondément, rageusement épris, souvent avec indignation, de cette Russie dont la fille de Staline disait avec chagrin, elle dont la mère avait été «suicidée» : «Mon si merveilleux et si terrible pays !» 

Mon amour n’était pas un amour aveugle, loin de là, car, en même temps que le jeune provincial que j’étais découvrait la grande littérature russe, l’extraordinaire poésie russe, la merveilleuse musique russe, il prenait encore plus conscience de l’immensité des drames qui avaient jalonné le vingtième siècle de cette Russie : l’incroyable dictature de Staline et de ses semblables, l’épouvantable cauchemar des camps du Goulag et de leurs millions de morts, la trahison impardonnable des rêves de liberté et de démocratie de ceux qui s’étaient soulevés contre le régime inique des tsars, sans oublier les sacrifices (sur lesquels on n’insistera jamais assez) consentis pendant la Seconde Guerre mondiale.

E.W: «Galoubtchik, mon chéri, je ne t’ai pas fait trop attendre ? s’enquiert à voix haute, un peu trop joyeusement, la jeune femme qui s’est rangée à ses côtés. – Eh, c’est quoi ça, un peu de respect, demoiselle, on ne grille pas la queue ! se récrie avec acrimonie quelqu’un derrière eux.» Qu’est-ce qui va arriver à Walid quand, durant l’hiver 1978, à Leningrad, une jeune inconnue quelque peu intrépide s’agrippe à lui pour devancer les nombreuses personnes faisant la queue devant l’illustre musée de l’Ermitage ?

A.B: Mon livre n’est pas du tout autobiographique. Mais, comme tout romancier, je m’inspire souvent de faits réels en les triturant selon le besoin de la fiction. Cette scène de la queue devant le musée de l’Ermitage, j’ai eu la chance de la vivre presque de la manière dont je la décris dans le roman – et donc, de tomber amoureux, mais cette fois-ci non pas du pays, mais d’une jeune femme bien réelle. Ce qu’on appelle, parfois paresseusement, l’âme russe, est contagieuse à l’âge que j’avais ! On se met à écrire de la poésie au moindre battement de cœur, et l’on passe ensuite des ébauches de nouvelles plus ou moins réussies au roman presque sans s’en rendre compte. Depuis, je suis resté infiniment reconnaissant à celle ou, plus exactement, à celles qui m’ont permis d’oser pénétrer dans le monde magique de l’écriture de fiction : j’étais parti en URSS comme mathématicien, j’en suis revenu toujours mathématicien mais apprenti écrivain de surcroît…

E.W: Au début des années 1980, les autorités russes obligent Walid à quitter le pays. De quelle manière sa relation avec Irina va-t-elle évoluer après cette «quasi expulsion» ?

A.B: Le roman exigeait cette séparation, car mon propos n’était pas de décrire la chute de l’URSS, mais de «triturer» le temps de manière à aborder trois grandes périodes de la vie de cet empire : la période stalinienne à travers le personnage du grand-père d’Irina, celle des années soixante-dix de l’amour flamboyant que Walid éprouve pour Ia soprano, avant qu’il ne soit expulsé du pays, puis le retour de ce dernier dans la «nouvelle» Russie, quarante ans plus tard, à la recherche de celle dont il ne sait même plus si elle est encore de ce monde. La manipulation du temps, avec ses allers et retours se payant au prix fort, est essentielle dans ce roman cherchant à répondre à l’éternelle question qui nous tourmente tous, nous autres êtres humains à l’existence si fugitive : que serait-il advenu si l’on avait agi d’une manière différente, aurions-nous changé de destin, évité tel malheur, connu tel bonheur…

E.W: Membre d’une délégation officielle, Irina donne un spectacle à Alma-Ata, la capitale du Kazakhstan. Soudainement, une femme surgit du public et lui balance «à plusieurs reprises un seau d’eau colorée en rouge», tout en lançant des cris accusatoires. Cela s’est passé dans les années 1990. Qui était cette femme, et pourquoi a-t-elle agi de la sorte ?

A.B: J’ai longtemps hésité avant d’entreprendre l’écriture de ce livre. J’avais déjà écrit un roman sur l’URSS après mon retour en Algérie au début des années quatre-vingt. Publié par l’ENAL, le roman n’était resté en vente que pendant une dizaine de jours, avant d’être retiré de toutes les librairies d’Algérie à la suite d’une plainte de l’ambassade d’URSS jugeant le contenu un peu trop «sarcastique» à son goût. Quand, quarante ans plus tard, m’a de nouveau taraudé l’envie d’écrire sur cette Russie si importante pour moi, j’ai d’abord longuement hésité. En attendant une éventuelle décision, j’ai procrastiné avec ce que j’adore faire en pareil cas : réunir et lire de la documentation…

Le hasard faisant bien les choses, je suis tombé sur des articles évoquant des événements à peine croyables pour moi qui prétendais n’être pas totalement ignorant en matière d’histoire de l’Algérie : durant la Première Guerre mondiale, des paysans-soldats russes envoyés par le Tsar en renfort aux côtés de l’armée française avaient refusé de continuer à se battre en apprenant la chute des Romanov. Après des affrontements meurtriers avec l’armée française, beaucoup de ces rebelles russes s’étaient retrouvés en prison… près de Biskra, dans le sud de l’Algérie !

C’est la découverte d’une autre période de l’histoire de l’URSS, celle-là d’une ampleur à la dimension cataclysmique qui allait me précipiter définitivement dans le chantier de ce roman : l’Asharshylyk, le nom que donnent les Kazakhs à la famine organisée par le pouvoir de Staline afin de contraindre les nomades du Kazakhstan de rejoindre les nouvelles structures agricoles collectives soviétiques, famine qui dépassa, en proportion de victimes, l’autre famine beaucoup plus connue – le Holodomor en Ukraine.

Même si l’Asharshylyk est parfaitement documenté par de nombreux documents historiques, livres et travaux universitaires, il n’est pas au menu de la «mémoire commune», celle formée, par accrétions successives, par les romans, les poèmes, le chant, le cinéma… Pour ma part, je n’en avais jamais entendu parler ! Ce n’est pas chose nouvelle, nous le savons tous du côté sud de la Méditerranée : le devoir de mémoire tant invoqué en Europe ne concerne, ainsi que le rappelait vertement Aimé Césaire, que les massacres commis contre les peuples occidentaux, non contre ceux considérés comme trop «bronzés» !

E.W: Qu’est-ce qui va changer dans la carrière d’Irina quand elle découvre que son grand-père Vladimir Alexievitch, cet ancien agent du NKVD (un «agronome», selon le Parti !) qui incarne à ses yeux la droiture et la rectitude morale, est en vérité l’«exécuteur docile de la famine voulue par Staline», et le cynique meurtrier de l’arrière-grand-père de Bibigul Sartbaïeva ?

A.B: Les Russes ont cru se débarrasser à bon compte du souvenir des atrocités commises au nom de la construction du nouvel homme soviétique. Mon roman est basé sur l’idée de la transmission d’une malédiction proférée par un chef religieux kazakh contre Vladimir, devenu un assassin un peu malgré lui. Cette malédiction est léguée ensuite, par la magie sournoise de la fiction, à sa petite-fille Irina. Le livre expose comment la soprano, en rencontrant Bibigul, la descendante du chef kazakh, va devoir se colleter avec le passé de son grand-père bien-aimé ou, plus généralement, des crimes de son peuple contre un autre peuple.

E.W: Quand Irina énonce : «Bibigul m’a maudite dans la lettre qu’elle a laissée avant de se tuer. Alors, j’ai décidé de punir mon grand-père en me punissant. Vladimir avait voulu que je sois cantatrice, j’ai résolu que je ne le serais plus. Je ne voulais plus chanter au prix du malheur de cette jeune femme et de sa famille. Je me suis rendue sur la tombe de Vladimir avec une bouteille de vodka», a-t-elle réalisé par ce geste politique une réparation symbolique de la famine (l’Asharshylyk  en langue kazakhe) infligée par Staline au peuple du Kazakhstan ?

A.B: Un crime de la dimension de l’Asharshylyk ne peut être réparé. De même, par exemple, que les crimes de l’ampleur de ceux perpétrés, par exemple, contre les Hereros et les Namas, puis contre les Arméniens au début du siècle dernier, contre les juifs et les Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale, contre les Cambodgiens et les Tutsis à la fin du siècle dernier ou, actuellement, sous les yeux du monde entier, contre les Palestiniens à Ghaza. Si l’on se représente notre espèce tout entière, l’Homo sapiens, comme un grand corps vivant, les génocides équivalent purement et simplement à trancher au moyen d’un équarrissoir dans la chair vive de notre humanité commune. Ces parties arrachées manqueront à jamais à l’aventure biologique, intellectuelle et spirituelle de notre espèce sur notre planète. On doit aux peuples victimes de ces abjections de l’histoire au moins la consolation de la reconnaissance de leur incommensurable douleur : à ce charcutage de notre chair commune, n’ajoutons pas le crachat insupportable de l’indifférence ou, pire, du négationnisme.

E.W: Walid n’a plus revu les terres russes depuis le début des années 1980. Les décennies passent, mais il ne cesse de ruminer quelque chose qu’il hésite à appeler «un échec», à savoir les quarante longues années d’amertume qui le séparent d’Irina, cette jeune soprano qui était promise à un avenir radieux au célèbre théâtre de la ville de Pierre le Grand, le Mariinsky. Plus le temps l’éloigne de son amoureuse, plus il récite avec justesse, et en langue russe, un célèbre texte d’Alexandre Pouchkine, la «fameuse lettre de Tatiana à l’aristocrate dédaigneux, Eugène Onéguine, dont elle venait de tomber éperdument amoureuse : "Je vous écris – que vous faut-il de plus ? / Que puis-je ajouter à cela ? / Maintenant, je le sais, il est en votre pouvoir / De me punir par votre mépris !" Serait-il juste de dire que la passion de Walid pour Irina est le reflet de votre profond intérêt pour la culture russe ?

A.B: Ne pas lire Guerre et Paix, Anna Karénine ou Le Maître et Marguerite, Pouchkine ou Akhmatova, pour ne donner que quelques exemples, c’est se priver de grands bonheurs de lecture ! Depuis plusieurs années, je m’efforce de lire régulièrement de la poésie, le matin, en prenant mon café.

La poésie étant l’Himalaya de la littérature, en lire constitue pour moi quelque chose que je tiens pour de la «musculation cérébrale», exercice qui m’aide à renouveler ma foi dans le pouvoir des mots et à commencer ainsi ma journée d’écriture. Je lis cette poésie d’ailleurs en trois langues : en français, en russe et, depuis peu, en arabe. Je regrette d’ailleurs profondément qu’on ne m’ait pas fait plus et mieux découvrir à l’école algérienne la poésie arabe contemporaine, si vivante, si talentueuse malgré le monde sclérosé qui tente souvent de la réprimer. Je me délecte actuellement de Nizar Kabbani, de Mahmoud Darwich, de Taha Mohamed Ali, de Ghassan Zaqtan… Je dois dire, à ma grande honte, que j’ai lu pour la première fois de ma vie un poème de Darwich non en arabe, mais dans la langue de Pouchkine, durant un séjour d’apprentissage du russe à Odessa alors que j’avais bien dépassé les vingt ans !

E.W: Lors d’un «entretien amical en situation d’ébriété», un officier russe apprend à Vladimir les rudiments du langage totalitaire – c’est-à-dire le fait de ne jamais faire correspondre les mots et les choses – tout en l’avertissant que sa langue ne doit jamais fourcher sur les atrocités commises au Kazakhstan par le pouvoir russe :  «Il n’y a jamais eu de famine au Kazakhstan, tonne-t-il, et encore moins de morts dus à une famine imaginaire dans cette République ! Prétendre le contraire, c’est travailler pour le compte des ennemis de notre pays ! (…) Tout, même le pire, finit nécessairement par être oublié, il suffit de ne pas en parler. En réalité, nous avons rendu service à ces arriérés de nomades, nous les avons un peu bousculés, c’est vrai, mais ils nous seront éternellement reconnaissants de les avoir sortis de leur Moyen-Âge et de leur lait de jument fermenté». A l’ombre des crimes perpétrés en Ukraine, au Soudan et dans d’innombrables régions du monde, trouvez-vous des similitudes entre les langages totalitaires d’hier et les discours du consentement à l’anéantissement des Palestiniens de Ghaza aujourd’hui ?

A.B: Un massacre réussi, c’est celui dont on ne parle plus, ou presque pas ! Qui est capable, en France par exemple, de dire pourquoi le 8 Mai est une journée de deuil en Algérie tandis que l’année 1947 est, de son côté, une année d’épouvante à Madagascar ? Le souvenir des génocides passe souvent, lui aussi, à la trappe : il a fallu plus de cent ans pour que l’Allemagne reconnaisse officiellement le génocide commis par elle à l’encontre des Héréros et des Namas de Namibie. Espérons qu’il ne faudra pas plus de temps avant qu’on admette, en particulier dans les moyens d’information américains et européens, que l’anéantissement actuel des Palestiniens de Ghaza au vu et au su du monde entier n’est ni plus ou moins que le premier génocide avéré de notre vingt et unième siècle ? Il est sidérant toutefois, et tellement avilissant pour notre dignité commune, de voir autant de moyens juridiques et financiers, d’esprits réputés intelligents, de spécialistes autoproclamés, de talents supposés artistiques mobilisés à longueur de journaux et de chaînes de télévision pour soutenir le contraire et justifier l’injustifiable. Le langage sert aussi sinon à tuer, du moins à contribuer à tuer, affirmait en substance Orwell. Il faut croire que ces «tueurs» de la langue s’en sont fait une spécialité à propos de Ghaza…

E.W: Concluons notre entretien par l’évocation d’un art mis en exergue dans votre fiction, la peinture. «Le Joueur de luth», l’unique tableau du peintre Michelangelo Merisi, surnommé le Caravage, que le musée de l’Ermitage expose, suscite la curiosité des visiteurs. Irina le fixe et s’arrête sur un détail, les traits d’un chiot apparaissant entre les fleurs et les poires. Cette distance qu’exprime la lenteur du regard serait-elle l’appel du large qui permet à toute œuvre d’imagination de saisir la laideur de notre temps de façon singulière, un peu à la manière de l’«Angelus Novus» du peintre Paul Klee et de l’ange de l’histoire tel qu’imaginé par le philosophe Walter Benjamin : une puissance qui «donne l’impression de s’apprêter à s’éloigner de quelque chose qu’il regarde fixement. Il a les yeux écarquillés, la bouche ouverte, les ailes déployées» (Sur le concept d’Histoire, Payot & Rivages, 2013) ?

A.B: L’art reste la démonstration que l’homme peut ne pas être seulement l’assassin de son frère. L’art permet de garder une certaine forme d’optimisme quant à la destinée de l’humanité. Dans mon précédent roman, L’amour au temps des scélérats, le chant de la grande Asmahan, repris par la jeune Houda permettait aux deux amants syriens du livre de ne pas sombrer trop rapidement dans le désespoir. Dans Irina, l’opéra joue ce rôle, de même que l’extraordinaire joyau qu’est l’Ermitage. Le joueur de luth du Caravage est, dans mon livre, le symbole, magique, de la place dérisoire et vitale de l’art.


(*) Journaliste littéraire

Note: cet article figure également sur le site de Mediapart (9 novembre 2025)

https://blogs.mediapart.fr/faris-lounis/blog/091125/irina-d-anouar-benmalek-le-roman-algerien-d-un-vertige-russe



Here is the English translation of the text by an AI. Consequently, contextual inaccuracies or errors in meaning may occur.



Anouar Benmalek’s Irina, a Russian Opera: The Algerian Novel of a Russian Vertigo

By Faris Lounis | El Watan, November 9, 2025


"What does it mean to be Algerian today?" This question, which Mohammed Dib once deemed "confining" and "alienating," continues to haunt the writers of Algeria—chiefly those who write in French and publish in Paris.

In contrast to those pens that accept the role of an "instrument" to explain Algeria to the foreign observer—those who sign pseudo-historical dissertations to absolve the crimes of colonialism—Anouar Benmalek’s work bears witness to a powerful will to interrogate the shadows of our existence. His register is singular, emancipated from the false quandaries of identity and linguistics. Benmalek’s writing is a disruption. Classical and limpid, its historical and emotional density undoes all Manicheanism. For him, the task is not to designate the guilty, but to perceive the tipping point where ordinary beings fall into the abyss of blind crime and joyful dehumanization.

In this literary season, more than forty years after his debut, Benmalek returns with Irina, a Russian Opera—one of the rare novels to view Soviet Russia through the gaze of a former Algerian scholarship student. Far from a mere story of thwarted love, this book confronts two fundamental questions of our age: to what extent can one consent to the euphemism and negation of mass crimes? and what reception is possible for art when the descendants of victims and executioners meet in an asymmetrical world?


El Watan: Your protagonist is a doctoral candidate in the former USSR. Though not strictly autofiction, your own path mirrors Walid’s; you prepared a thesis in mathematics between Kiev, Odessa, Moscow, and Leningrad. What was it like to be an Algerian researcher in the Russian Empire during the 1970s?

Anouar Benmalek: At the time, the Algerian state was quite generous in sending students abroad. There was always a "lottery" regarding the destination: the luckiest were sent to the USA or France; the less fortunate had to settle for the Eastern Bloc... the USSR. I was the only one in my department that year to resign myself to the "Empire of the Cold." Paradoxically, it was one of the best things that ever happened to me.

Scientifically, I had the privilege of defending a thesis in a land of great mathematical tradition. Personally, I fell in love—a scandalized love, perhaps, but love nonetheless—with this immense conglomerate of nations. I became deeply, reachingly enamored with Russia—its language and its soul. It was not a blind love. While I discovered the great Russian literature and music, I became acutely aware of the vast tragedies of its 20th century: the nightmare of the Gulags, the betrayal of democratic dreams, and the staggering sacrifices of the Second World War.

El Watan: In the winter of 1978, in a queue at the Hermitage, a young woman impulsively clings to Walid to skip the line. What happens to him in that moment?

Anouar Benmalek: That scene I actually lived. I fell in love with a very real woman. What we lazily call the "Russian soul" is contagious at that age. One begins to write poetry at the slightest heartbeat. I went to the USSR as a mathematician; I returned as an apprentice writer.

El Watan: In the early 1980s, Walid is forced to leave. How does his relationship with Irina evolve after this "quasi-expulsion"?

Anouar Benmalek: The novel required this separation. My intent was to "manipulate" time to address three eras: the Stalinist period through Irina’s grandfather; the flamboyant love of the 1970s; and the return to the "new" Russia forty years later. It answers the eternal question: What would have happened if we had acted differently?

El Watan: In the 1990s, Irina is performing in Kazakhstan when a woman throws a bucket of red-colored water at her. Who was this woman?

Anouar Benmalek: I discovered a cataclysmic episode of history: the Asharshylyk, the famine organized by Stalin to force Kazakh nomads into collectives. In proportion of victims, it surpassed the Holodomor in Ukraine. Yet it is absent from our "common memory." As Aimé Césaire sharply noted, the duty of memory in Europe often only concerns massacres committed against Westerners, not those considered too "tanned."

El Watan: What changes for Irina when she discovers her grandfather was not a mere "agronomist," but a docile executioner of this famine?

Anouar Benmalek: My novel is based on the idea of a curse uttered by a Kazakh religious leader against Vladimir, which is then bequeathed to his granddaughter. The book explores how Irina, upon meeting a descendant of the victims, must grapple with the crimes of her people.

El Watan: Is Irina’s decision to stop singing a symbolic reparation for the Asharshylyk?

Anouar Benmalek: A crime of that magnitude cannot be repaired. Genocides are like cutting into the living flesh of our common humanity. We owe the victims at least the consolation of recognizing their incommensurable pain. To the butchery of history, we must not add the spit of indifference or denial.

El Watan: Walid’s passion for Irina seems to reflect your own deep interest in Russian culture. You even quote Pushkin...

Anouar Benmalek: To not read Tolstoy or Bulgakov is to deprive oneself of the greatest joys! I read poetry every morning with my coffee—it is "mental bodybuilding." I read it in French, Russian, and recently, Arabic. I am currently delighting in Mahmoud Darwish and Nizar Qabbani. To my shame, I first read Darwish not in Arabic, but in Russian, while in Odessa!

El Watan: A Russian officer warns Vladimir that "there was never a famine in Kazakhstan." Do you see parallels between the totalitarian language of yesterday and the discourse surrounding Gaza today?

Anouar Benmalek: A "successful" massacre is one no longer spoken of. It took over a hundred years for Germany to recognize the genocide of the Herero and Nama. Let us hope it does not take as long to admit that the current annihilation of Palestinians in Gaza is the first proven genocide of the 21st century. It is staggering to see so much legal and artistic talent mobilized to justify the unjustifiable. As Orwell suggested, language can be used to kill. These "killers of language" have made a specialty of Gaza.

El Watan: Let us conclude with art. You highlight Caravaggio’s The Lute Player in the Hermitage. Is art the "open sea" that allows us to grasp the ugliness of our time?

Anouar Benmalek: Art is the proof that man need not only be his brother’s murderer. In Irina, opera and the Hermitage represent the derisory yet vital place of beauty. It allows us to maintain a certain optimism regarding the destiny of humanity.

jeudi 6 novembre 2025

"𝙄𝙧𝙞𝙣𝙖, 𝙪𝙣 𝙤𝙥𝙚́𝙧𝙖 𝙧𝙪𝙨𝙨𝙚" (𝙀𝙙 𝙀𝙢𝙖𝙣𝙪𝙚𝙡𝙡𝙚 𝘾𝙤𝙡𝙡𝙖𝙨) 𝐚̀ 𝐥𝐚 𝐥𝐢𝐛𝐫𝐚𝐢𝐫𝐢𝐞 "𝐥'𝐈̂𝐥𝐞 𝐚𝐮𝐱 𝐦𝐨𝐭𝐬" 𝐚̀ 𝐌𝐚𝐫𝐬𝐞𝐢𝐥𝐥𝐞, 𝐯𝐞𝐧𝐝𝐫𝐞𝐝𝐢 𝟏𝟒 𝐧𝐨𝐯𝐞𝐦𝐛𝐫𝐞 𝐚̀ 𝟏𝟖𝐡𝟑𝟎

ㅤ𝐿𝑒𝑠 𝑙𝑖𝑏𝑟𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑐𝑒𝑡𝑡𝑒 𝑙𝑖𝑏𝑟𝑎𝑖𝑟𝑖𝑒 𝑚𝑎𝑟𝑠𝑒𝑖𝑙𝑙𝑎𝑖𝑠𝑒, 𝑀. 𝑁𝑎𝑑𝑖𝑟 𝑌𝑎𝑐𝑖𝑛𝑒 𝑒𝑡 𝑀𝑚𝑒 𝑌𝑎𝑠𝑚𝑖𝑛𝑎 𝑇𝑜𝑢𝑎𝑖𝑏𝑖𝑎, 𝑜𝑛𝑡 𝑒𝑢 𝑙'𝑒𝑥𝑡𝑟𝑒̂𝑚𝑒 𝑎𝑚𝑎𝑏𝑖𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒 𝑚'𝑖𝑛𝑣𝑖𝑡𝑒𝑟 𝑎̀ 𝑝𝑟𝑒́𝑠𝑒𝑛𝑡𝑒𝑟 𝑚𝑜𝑛 𝑟𝑜𝑚𝑎𝑛 𝑎̀ 𝑙𝑒𝑢𝑟 𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑐. J𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑒𝑛 𝑟𝑒𝑚𝑒𝑟𝑐𝑖𝑒 𝑣𝑖𝑣𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡.
ㅤ𝐴𝑛𝑜𝑢𝑎𝑟 𝐵𝑒𝑛𝑚𝑎𝑙𝑒𝑘
ㅤ𝙸𝚗𝚏𝚘𝚛𝚖𝚊𝚝𝚒𝚘𝚗𝚜 𝚙𝚛𝚊𝚝𝚒𝚚𝚞𝚎𝚜:
𝙻𝚊 𝚕𝚒𝚋𝚛𝚊𝚒𝚛𝚒𝚎 𝚕'𝙸̂𝚕𝚎 𝚊𝚞𝚡 𝚖𝚘𝚝𝚜 𝚎𝚜𝚝 𝚜𝚒𝚝𝚞𝚎́𝚎 𝚍𝚊𝚗𝚜 𝚕𝚎 𝚚𝚞𝚊𝚛𝚝𝚒𝚎𝚛 𝚍𝚎 𝚕𝚊 𝙹𝚘𝚕𝚒𝚎𝚝𝚝𝚎/ 𝙰𝚛𝚎𝚗𝚌. 𝙻’𝙸𝚕𝚎 𝚊𝚞𝚡 𝙼𝚘𝚝𝚜 𝚎𝚜𝚝 𝚞𝚗 𝚜𝚊𝚗𝚌𝚝𝚞𝚊𝚒𝚛𝚎 𝚙𝚘𝚞𝚛 𝚕𝚎𝚜 𝚎𝚗𝚏𝚊𝚗𝚝𝚜 𝚎𝚝 𝚕𝚎𝚜 𝚊𝚍𝚞𝚕𝚝𝚎𝚜 𝚊𝚖𝚘𝚞𝚛𝚎𝚞𝚡 𝚍𝚞 𝚕𝚒𝚟𝚛𝚎 𝚎𝚝 𝚊𝚟𝚒𝚍𝚎𝚜 𝚍𝚎 𝚌𝚞𝚕𝚝𝚞𝚛𝚎. 𝙲'𝚎𝚜𝚝 𝚞𝚗 𝚊𝚞𝚝𝚑𝚎𝚗𝚝𝚒𝚚𝚞𝚎 𝚕𝚒𝚎𝚞 𝚍'𝚎́𝚌𝚑𝚊𝚗𝚐𝚎𝚜 𝚎𝚝 𝚍𝚎 𝚍𝚎́𝚋𝚊𝚝.
𝟽 𝚛𝚞𝚎 𝚄𝚛𝚋𝚊𝚒𝚗 𝚅, 𝙼𝚊𝚛𝚜𝚎𝚒𝚕𝚕𝚎-𝟸, 𝙵𝚛𝚊𝚗𝚌𝚎
+𝟹𝟹 𝟺 𝟸𝟸 𝟿𝟷 0𝟼 𝟷𝟸
𝚒𝚕𝚎_𝚊𝚞𝚡_𝚖𝚘𝚝𝚜@𝚙𝚛𝚘𝚝𝚘𝚗𝚖𝚊𝚒𝚕.𝚌𝚘𝚖
𝚙𝚊𝚜𝚜𝚌𝚞𝚕𝚝𝚞𝚛𝚎.𝚊𝚙𝚙/𝚕𝚒𝚎𝚞/𝟷0𝟹𝟾𝟿𝟿
Librairie L'île aux mots | pass Culture

lundi 3 novembre 2025

𝚂𝚘𝚗 𝚌𝚘𝚎𝚞𝚛 𝚊𝚟𝚊𝚒𝚝 𝚝𝚛𝚎𝚜𝚜𝚊𝚒𝚕𝚕𝚒... Extrait: 𝗜𝗿𝗶𝗻𝗮, 𝘂𝗻 𝗼𝗽𝗲́𝗿𝗮 𝗿𝘂𝘀𝘀𝗲, 𝗔𝗻𝗼𝘂𝗮𝗿 𝗕𝗲𝗻𝗺𝗮𝗹𝗲𝗸, 𝗘𝗱. 𝗘𝗺𝗺𝗮𝗻𝘂𝗲𝗹𝗹𝗲 𝗖𝗼𝗹𝗹𝗮𝘀)ㅤ

 

ㅤㅤ𝚂𝚘𝚗 𝚌𝚘𝚎𝚞𝚛 𝚊𝚟𝚊𝚒𝚝 𝚝𝚛𝚎𝚜𝚜𝚊𝚒𝚕𝚕𝚒 𝚍𝚎𝚟𝚊𝚗𝚝 𝚕𝚊 𝚜𝚒𝚕𝚑𝚘𝚞𝚎𝚝𝚝𝚎 𝚏𝚛𝚎̂𝚕𝚎 𝚍𝚎 𝚌𝚎𝚕𝚕𝚎 𝚍𝚘𝚗𝚝 𝚒𝚕 𝚜’𝚎́𝚝𝚊𝚒𝚝 𝚎́𝚙𝚛𝚒𝚜 𝚊𝚟𝚎𝚌 𝚕𝚊 𝚟𝚒𝚘𝚕𝚎𝚗𝚌𝚎 𝚍’𝚞𝚗 𝚋𝚘𝚞𝚕𝚎𝚝 𝚝𝚘𝚖𝚋𝚊𝚗𝚝 𝚜𝚞𝚛 𝚜𝚘𝚗 𝚊̂𝚖𝚎. 𝙴𝚏𝚏𝚛𝚊𝚢𝚎́, 𝚒𝚕 𝚕’𝚊𝚟𝚊𝚒𝚝 𝚛𝚎𝚓𝚘𝚒𝚗𝚝𝚎, 𝚎𝚗𝚟𝚎𝚕𝚘𝚙𝚙𝚊𝚗𝚝 𝚕𝚎𝚞𝚛𝚜 𝚍𝚎𝚞𝚡 𝚌𝚘𝚛𝚙𝚜 𝚗𝚞𝚜 𝚊𝚟𝚎𝚌 𝚕𝚊 𝚌𝚘𝚞𝚟𝚎𝚛𝚝𝚞𝚛𝚎. 𝙳𝚎𝚑𝚘𝚛𝚜, 𝚕𝚊 𝚕𝚞𝚖𝚒𝚎̀𝚛𝚎 𝚍𝚞 𝚖𝚊𝚝𝚒𝚗 𝚎́𝚝𝚊𝚒𝚝 𝚐𝚛𝚒𝚜𝚎, 𝚒𝚕 𝚗𝚎𝚒𝚐𝚎𝚊𝚒𝚝 𝚊̀ 𝚐𝚛𝚘𝚜 𝚏𝚕𝚘𝚌𝚘𝚗𝚜 𝚎𝚝 𝚕𝚎 𝚋𝚛𝚞𝚒𝚝 𝚍𝚎𝚜 𝚛𝚘𝚞𝚎𝚜 𝚍’𝚊𝚌𝚒𝚎𝚛 𝚍𝚞 𝚝𝚛𝚊𝚖𝚠𝚊𝚢 𝚙𝚊𝚛𝚟𝚎𝚗𝚊𝚒𝚝 𝚊𝚜𝚜𝚘𝚞𝚛𝚍𝚒 𝚊̀ 𝚕𝚎𝚞𝚛 𝚏𝚎𝚗𝚎̂𝚝𝚛𝚎 𝚍𝚞 𝚚𝚞𝚊𝚝𝚛𝚒𝚎̀𝚖𝚎 𝚎́𝚝𝚊𝚐𝚎.
— 𝚃𝚞 𝚟𝚊𝚜 𝚙𝚛𝚎𝚗𝚍𝚛𝚎 𝚏𝚛𝚘𝚒𝚍, 𝚕𝚞𝚒 𝚊𝚟𝚊𝚒𝚝-𝚒𝚕 𝚍𝚒𝚝 𝚎𝚗 𝚕𝚊 𝚜𝚎𝚛𝚛𝚊𝚗𝚝 𝚌𝚘𝚗𝚝𝚛𝚎 𝚕𝚞𝚒.
ㅤ𝙻𝚊 𝚟𝚘𝚒𝚡 𝚋𝚛𝚞𝚜𝚚𝚞𝚎𝚖𝚎𝚗𝚝 𝚎𝚗𝚛𝚘𝚞𝚎́𝚎, 𝚒𝚕 𝚌𝚑𝚞𝚌𝚑𝚘𝚝𝚊 :
— 𝙹𝚎 𝚝’𝚊𝚒𝚖𝚎, 𝙸𝚛𝚒𝚗𝚊, 𝚓𝚎 𝚖𝚘𝚞𝚛𝚛𝚊𝚒𝚜 𝚙𝚘𝚞𝚛 𝚝𝚘𝚒 𝚜’𝚒𝚕 𝚕𝚎 𝚏𝚊𝚕𝚕𝚊𝚒𝚝.
— 𝙹𝚎 𝚝’𝚊𝚒𝚖𝚎 𝚖𝚘𝚒 𝚊𝚞𝚜𝚜𝚒. 𝙼𝚊𝚒𝚜 𝚗𝚎 𝚙𝚛𝚘𝚏𝚎̀𝚛𝚎 𝚙𝚊𝚜 𝚍𝚎 𝚙𝚛𝚘𝚖𝚎𝚜𝚜𝚎 𝚍𝚎 𝚌𝚎 𝚐𝚎𝚗𝚛𝚎, 𝚝𝚞 𝚗’𝚎𝚜 𝚙𝚊𝚜 𝚜𝚞𝚏𝚏𝚒𝚜𝚊𝚖𝚖𝚎𝚗𝚝 𝚛𝚞𝚜𝚜𝚎 𝚙𝚘𝚞𝚛 𝚌̧𝚊, 𝚊𝚟𝚊𝚒𝚝-𝚎𝚕𝚕𝚎 𝚛𝚎́𝚙𝚕𝚒𝚚𝚞𝚎́ 𝚊𝚟𝚎𝚌 𝚞𝚗 𝚍𝚎́𝚋𝚞𝚝 𝚍’𝚒𝚛𝚛𝚒𝚝𝚊𝚝𝚒𝚘𝚗.