«
La vie est une ombre qui marche,  un pauvre acteur qui se trémousse une heure en scène, puis qu’on cesse  d’entendre»,
 disait William Shakespeare. Et c’est ainsi que, adossé à sa  mort 
depuis le premier vagissement, l’homme se mit à philosopher. Ou la  mort
 comme génie inspirateur...
  
(Le Soir d'Algérie, 26 décembre 2011)
Avec 
Tu ne mourras plus demain,
 le dernier livre de Anouar Benmalek,    le lecteur pénètre brutalement 
au cœur même de la tragédie humaine parce    qu’il a connu la mort et, 
par-delà la mort, le narrateur commet ici une    œuvre très personnelle.
 Un récit où il rend hommage aux siens, ceux les    plus chers, en 
particulier cette maman dont la perte est la plus    violente douleur 
pour un homme. Cruel destin qui accable l’exilé enfin    rentré dans son
 pays. Tout un monde familier s’écroule. Miraculeusement,    il s’est 
accroché à sa seule bouée de sauvetage : la reconnaissance de    tous 
les siens pour continuer. L’orphelin raconte alors cette autre vie,    
son autre vie. Il dit le passé pour espérer vivre demain. Le temps est  
  compté, il faut écrire en toute hâte. Dans cette course contre la    
montre, les mots tendres pleurent d’amertume et de regrets.
Forcément,
    l’angoisse de l’absence, du vide, est révélatrice de l’existence    
elle-même. D’où la réflexion sur la vie et la mort. Ah ! tout cela est  
  d’une complexité... Anouar Benmalek démêle l’écheveau (le drame de ces
    personnages parfaitement humains, parce que complexes) par la    
littérature. Du moins, seule l’écriture peut apporter quelques réponses 
   aux questions de l’écrivain et l’aider à panser ses blessures. Maigre
    consolation ? Certes, oui, mais cette lettre à la chère disparue est
 un    sprint gagné sur l’abattement et le profond désarroi du début. La
 preuve    d’amour qui apporte la délivrance et le repos de l’âme. 
Surtout, les    mots du cœur exorcisent et libèrent l’énergie créatrice.
A ce moment    critique du parcours, T
u ne mourras plus demain
 est une victoire sur la    folie et la déraison. Ce beau livre témoigne
 du difficile combat de    l’auteur contre les forces obscures qui 
l’habitaient. Son territoire    enfin reconquis, il pourra désormais 
travailler jusqu’à épuisement. Pour    le plus grand bonheur des 
lecteurs qui, déjà, sont invités à dévorer son    dernier ouvrage. Ici, 
l’émotion est au rendez- vous et chaque page    frémit d’une vive 
sensibilité. Parce que, tout simplement, la maman    disparue est au 
centre du récit, l’amour filial et la tendresse y    occupent la 
première place.
«Un amour que je ne lui ai pas assez    
manifesté», regrette Anouar Benmalek. On le comprend, il est comme tous 
   les fils à qui la société algérienne dicte une certaine pudeur des   
 sentiments envers leur mère. La mort de la maman dans des conditions   
 terribles (elle a souffert le martyre dans un hôpital) est vécue par   
 l’auteur comme un déchirement atroce, un véritable séisme. Le livre    
s’ouvre sur cette tragédie pour, ensuite, raconter l’histoire de la mère
    et de la saga familiale. Le tableau ainsi peint est riche de 
séquences    mémorielles, d’événements, de personnages qui viennent 
mettre en lumière    la prégnance de la figure maternelle.
En
 même temps, cela permet de    mieux connaître (et comprendre) Anouar 
Benmalek lui-même et ce singulier    destin, aussi complexe que son 
propre pays. Comme la mère, il est lui    aussi un carrefour 
d’influences et un cocktail de cultures. Tu ne    mourras plus demain 
(et c’est tout le talent de l’écrivain) se décline    alors comme une 
fresque où s’entrecroisent, parfois s’entrechoquent des    destins 
individuels avec, en toile de fond, l’histoire de l’Algérie et    de ses
 rendez-vous ratés, ses attentes et ses aliénations. Parmi les    
sources d’aliénation qui empêchent la société algérienne d’aller    
résolument de l’avant, la désintégration opérée par le système colonial 
   et, par la suite, le renforcement du pouvoir patriarcal par la caste 
   postindépendance. De ce point de vue, le livre est aussi un 
témoignage    sur les errements de l’histoire contemporaine de 
l’Algérie, telle    qu'illustrée par les personnages aux multiples 
facettes qui peuplent le    récit.
L’écrivain 
«irrévérencieux» vient de publier, chez le même    éditeur (Casbah 
éditions), un autre ouvrage consacré aux rendez-vous    manqués : 
Chroniques de l’Algérie amère. Algérie 1985-2011 (472
 pages,    850 DA). Cette édition revue et complétée d’un précédent 
livre rassemble    des écrits journalistiques où le style net et 
tranchant comme un scalpel    opère habilement sur un patient dénommé 
Algérie. Une mise à nu des    fables, des mythes et des illusions qui 
empêchent l’épanouissement du    peuple algérien et paralysent sa 
créativité. Deux ouvrages à lire    absolument.
Hocine T.
Anouar Benmalek, 
Tu ne mourras plus demain, Casbah éditions, septembre    2011, 182 pages, 600 DA