Tu ne mourras plus demain
est le dernier livre de Anouar Benmalek, écrit après la mort de sa
mère, dans lequel il lui rend hommage en tentant de remonter sa
généalogie aux innombrables croisements. Le romancier, docteur en
mathématiques et poète, a voulu cette fois-ci résoudre l'équation de ses
propres origines, lui qui s'est souvent intéressé aux racines des
autres, notamment dans ses romans,
O Maria,
Les amants désunis et
L'enfant du peuple ancien.
Issue de l'union d'une suisse et d'un marocain, une rencontre qui «
n'avait donc pas dû être évidente à l'époque ségrégationniste du protectorat
» (p.26), la mère s'installe ensuite en Algérie, le pays de son époux,
après l'indépendance. Par ce récit émouvant, Benmalek a voulu trouver
entre les blancs de la mémoire la voix de sa mère, une voix qui avait
essayé de vaincre le silence, de donner de l'amour à ses enfants, le
goût des livres et de la lecture à son fils futur écrivain, mais qui se
taisait devant l'exil et la tourmente de l'Histoire. La maman de
l'écrivain a vécu avec l'angoisse d'être refoulée de son pays d’accueil à
cause du conflit des frontières entre le Maroc et l'Algérie. Aux
silences des siens, à l'intolérance des autres, au mutisme d'un père
décédé emportant avec lui les mots de tendresse qu'il ne savait que
chuchoter quand ses enfants s'endormaient, Benmalek questionne le passé.
La parole pudique de sa défunte mère n'a pas facilité la tâche à
l'auteur, qui a ainsi tenté de trouver le mot juste pour restituer ses
pensées et sentiments, ses regrets et joies. Il a voulu en savoir plus
sur son enfance à elle. Or cette quête est restée jonchée de
questionnements plus que d'affirmations. A défaut d'une histoire
complète de l'enfance de la mère, l'écrivain évoque la sienne, avec les
bonheurs des moments de joies et de bêtises enfantines, et les
malheurs des angoisses et des difficultés.
«
Quoi qu'on
dise, le passé est la substance du présent. Nous construisons notre
présent principalement avec le bois piqué de la mémoire des jours
passés, quitte à la déformer, à l'ajuster à nos souhait ou, mieux, à la
réinventer de fond en comble » (p.29).
L'histoire de la
mère, qui pourrait être commune à première vue dans la banalité des
choses de la vie, est placée dans un contexte historique avec sa
complexité. Le récit brasse le siècle à travers la loupe familiale et la
vie d'une femme dans les conditions d'une société patriarcale. Mais en
dépit de la douleur, Benmalek ne perd jamais l'ironie et l'humour qui
sont l'une des marques de ses romans. Par ailleurs, il a su exprimer
l'inévitable culpabilité qui ronge après la perte d'une personne chère
au cœur, en pensant ne pas avoir su apporter plus d'attention, ne pas
avoir donné assez de tendresse ou d'amour, ne pas avoir consacré
suffisamment de temps ou prononcé les mots d'affection restés au bout
des lèvres. Il aborde aussi cette mort de l'autre qui renvoit à la peur
de mourir et aux questions existentielles.
«
Avant ta
mort, je projetais déjà d'écrire sur ta famille et sur celle mon père.
S'y trouvaient réunis, me semblait-il, tous les ingrédients pour une
saga enfiévrée courant sur deux siècles et demi au moins, mêlant
Afrique, Europe, monde arabe, religion, langues, sur fond de fureur
apocalyptique, d'amour et de violences folles » (p.43).
Finalement,
ce récit n'est ni une saga ni une biographie, plutôt un dialogue post
mortem du fils avec les « fantômes » des souvenirs, des propos, des
gestes et des anecdotes, remontant l'histoire familiale et de l'Algérie,
et le chemin de vie de l'auteur sous l'œil protecteur de la mère.
Avec
Tu ne mourras plus demain,
titre qui sonne comme le premier vers d'un poème, Anouar Benmalek a
posé les plus beaux chrysanthèmes sur la tombe de sa mère, un immense
bouquet de pages d'amour.
Mohammed Yefsah
